Le parti islamiste Ennahdha célèbre le 6 juin son 43e anniversaire. Un anniversaire au goût amer puisque ses principaux dirigeants sont en prison. Pas sûr, cependant, que cette amertume soit ressentie par les Tunisiens qui voient en ce parti le Mal absolu. Sans Ennahdha, la Tunisie serait, sans aucun doute, en meilleure forme. Le 6 juin 1981 naît le Mouvement de la tendance islamique, haraket el ittijah el islami, dans le contexte de la révolution iranienne menée par Rouhollah Khomeïni, la mouvance des Frères égyptiens en plein essor et une certaine (fausse) ouverture du paysage politique tunisien. Il est fondé par le professeur de philosophie Rached Ghannouchi et l'avocat Abdelfattah Mourou, bien en vogue en cette période, connus pour leurs prêches très suivis dans les mosquées et leurs cercles de réflexion dans les facultés. La demande de visa déposée ce 6 juin fut refusée par le ministère de l'Intérieur, mais cela n'empêchera pas pour autant les deux fondateurs de poursuivre leur entreprise dans l'illégalité. Déjà ! En 1989, le parti change de nom pour devenir Ennahdha (Renaissance) et le 1er mars 2011, après la révolution, il obtient la légalisation accordée par un gouvernement provisoire des plus faibles. C'est là la vraie naissance du parti islamiste. Pour se faire une place dans l'espace politique tunisien, les dirigeants d'Ennahdha ont joué à fond la carte de la victimisation, et ce dans l'objectif d'attirer un maximum de sympathisants empathiques. Exagérations, mensonges et affabulations ont formé l'ossature de leur politique de communication de 2011 et les années suivantes. S'il est indéniable que certains parmi eux ont été torturés dans les prisons de Bourguiba et de Ben Ali, que d'autres ont été emprisonnés injustement et que d'autres ont été poussés à la clandestinité et l'exil, ils ne sont pas pour autant des saints, comme ils le crient sur tous les toits. Ils ont bien participé à des actes terroristes et ont bien violé les lois. Quoi qu'il en soit, l'amnistie de 2011 et leur légalisation du 1er mars devaient tourner cette page de leur Historie et celle de la Tunisie. Que nenni ! Les islamistes d'Ennahdha voulaient le pouvoir et le dédommagement. C'est leur nouvel objectif et ils n'ont pas tardé à l'atteindre grâce à de basses manœuvres politiques et des tricheries.
En cette année 2011, les dirigeants d'Ennahdha ont troqué leurs costumes fatigués et fripés par du sur-mesure et de grandes griffes. De l'argent, ils en avaient plein les caisses, contrairement à leurs adversaires aux élections de la Constituante. Argent provenant essentiellement du Qatar (grand promoteur de la mouvance islamiste) et de la Turquie, mais aussi des Etats-Unis et de l'Europe. Ces gros moyens financiers dont disposait le parti ont permis à Ennahdha le maillage de tout le territoire de la République. Pour convaincre les électeurs, les dirigeants distribuaient de l'argent et des dons à droite et à gauche, ils promettaient des dédommagements aux anciens prisonniers et leurs familles et racontaient des histoires, plein d'histoires. Leurs paroles les plus insensées étaient bues par de nombreux naïfs comme de la vérité absolue. Dans les annales, ces propos de Sahbi Atig qui affirme à la télé, sans sourciller, qu'il a pu s'évader de prison suite à la lecture d'une sourate du coran. Aussitôt cette sourate lue, les menottes autour de ses poignets ont été ouvertes et il a pu quitter sa geôle échappant à la vigilance de son geôlier qui avait, comme par miracle, le regard ailleurs. Grâce à cet argent qui a coulé à flot, à des histoires fabuleuses et à une victimisation à outrance, Ennahdha a remporté haut la main les élections de la Constituante, avec 1,5 million d'électeurs (37% des voix). C'est le début de dix ans de mainmise sur le pays, l'appareil de l'Etat, les entreprises et l'administration avec leurs tricheries habituelles en sus. Pour dédommager leurs adhérents et sympathisants, les islamistes d'Ennahdha ont ouvert les grandes portes de l'administration avec des recrutements massifs. Les années passées en prison et dans la clandestinité ont été considérées comme ancienneté avec le règlement, immédiat, des antécédents par les caisses de retraite. Dans les annales, le dirigeant islamiste Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur, qui a signé, pour sa propre personne, ses années d'ancienneté en qualité d'enseignant universitaire. Pour les autres, Ennahdha a mis en place en 2013 l'Instance Vérité et Dignité, chargée de la justice transitionnelle, transformée très rapidement en justice transactionnelle. L'instance est devenue une véritable tribune pour des mensonges éhontés et une réécriture orientée de l'Histoire de la Tunisie. Les chefs d'entreprise ayant obtenu des avantages de Ben Ali ont été invités à alimenter les caisses d'Ennahdha en guise d'amnistie. Ceux qui ont refusé le racket ou clamaient leur innocence ont été jetés en prison. Dans les annales, Djilani Daboussi et Sofiene Ben Ali, décédés après des incarcérations abusives, ou encore Sami Fehri patron d'une chaîne de télévision qui s'est opposé farouchement aux islamistes. À l'assemblée, majoritairement islamiste, les lois étaient taillées sur-mesure pour servir Ennahdha et ses amis. Quant au niveau de leurs députés, ils étaient une risée. Dans les annales, cette déclaration en plénière de Sonia Ben Toumia qui voulait créer une fondation où se rencontrent les martyrs entre eux. Appliquant à merveille la devise de « j'y suis, j'y reste », Ennahdha (avec son satellite CPR et son complice Ettakatol) a refusé de quitter le pouvoir à la fin de son mandat en octobre 2012. Il a fallu de grosses manifestations dans les rues et deux assassinats politiques en 2013 pour que les islamistes daignent quitter le pouvoir en octobre 2013. Mais là où Ennahdha a vraiment excellé dans la tricherie, c'est dans la Constitution de 2014, qui a été rédigée de telle sorte à permettre aux islamistes de se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam, envers et contre tous. Dans les annales, l'absence totale d'un article permettant la dissolution de l'assemblée.
Aux élections de 2014, Ennahdha a répété ses mêmes tricheries de 2011 avec de l'argent coulant à flot et du lobbying téléguidé depuis les Etats-Unis, mais aussi du Qatar grâce à la chaîne Al Jazeera qui a été une véritable caisse de résonnance pour les islamistes et leurs acolytes du CPR. Son capital de sympathisants a cependant bien maigri passant de 1,5 million à 947 mille électeurs (27,79%) classant ainsi le parti deuxième derrière Nidaa Tounes de Béji Caïd Essebsi. Alors que les deux partis étaient considérés comme ennemis jurés, ils ont fait une alliance contre nature, suite à un accord secret conclu à Paris avant les élections entre Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi. Cet accord a permis aux islamistes de se maintenir au pouvoir et de continuer leurs micmacs. Avant, ils faisaient les magouilles tous seuls, désormais ils les font avec les élus de Nidaa. Les lois étaient toujours taillées sur mesure et on faisait tout pour éviter des textes embarrassant les amis de Nidaa ou d'Ennahdha. L'argent continuait, comme par le passé, à couler à flot venant du racket des chefs d'entreprise et des islamistes turcs et qataris. En contrepartie, l'économie tunisienne leur a été grande ouverte, jusqu'aux cessions douteuses d'entreprises appartenant à l'Etat. Quant à l'efficacité, il fallait attendre, le pays ne s'est nullement amélioré durant cette période, c'est même tout le contraire. Ennahdha n'a quasiment rien réalisé de ses mirifiques promesses. Dans les annales, la non-création de la cour constitutionnelle, comme inscrit dans le marbre de la constitution, le parti islamiste ne voulait pas d'un gendarme surveillant de près ses magouilles législatives.
Aux élections de 2019, Ennahdha reproduit les mêmes tricheries que lors des élections précédentes. De l'argent à l'origine inconnue versé dans les caisses et du lobbying téléguidé depuis les Etats-Unis. Conscient qu'il a perdu plusieurs électeurs en cours de route, à cause de sa très mauvaise gestion des affaires du pays et de son éloignement de son idéologie islamiste originelle, Ennahdha a créé un parti de toutes pièces pour rassembler les plus radicaux parmi les sympathisants. Les deux maîtres d'œuvre de cette nouvelle architecture (aux origines turques) sont les deux avocats Noureddine Bhiri et Seïf Eddine Makhlouf qui créent la coalition Al Karama. Comme attendu, les électeurs d'Ennahdha ont diminué passant de 947 mille à 561 mille (19,63%). Mais la coalition Al Karama a obtenu 169 mille voix et il faut additionner ces deux résultats pour connaitre le vrai poids des islamistes au lendemain du scrutin 2019. Bien que premier aux élections, et en dépit du poids de sa créature nouvelle, Ennahdha avait besoin de plus de voix à l'assemblée pour pouvoir gouverner. Comme en 2014, il signe une alliance contre-nature avec un ennemi juré d'hier. Cette fois, il ne s'appelle pas Nidaa, mais Qalb Tounes de Nabil Karoui. Grâce à ce mariage, Ennahdha a obtenu la présidence du parlement et Qalb Tounes la vice-présidence. Al Karama a été provisoirement sacrifié sur l'autel de la tactique, mais on lui a quand même accordé le droit de vilipender l'opposition et les médias à outrance. L'assemblée de 2019 est, sans aucun doute, la pire de l'Histoire de la Tunisie tant les règlements, la bienséance et le civisme ont été malmenés. Rached Ghannouchi violait allègrement le règlement intérieur, exagérait avec le copinage et le parti-pris flagrant, interdisait à l'opposition l'accès aux réunions du bureau, changeait inopinément le lieu de la plénière pour empêcher l'opposition d'y assister, refusait la levée de l'immunité parlementaire, etc. De la triche, encore et toujours. On en est arrivé jusqu'aux agressions physiques sanglantes devant les caméras et en toute impunité, à ce jour. Alors que Rached Ghannouchi continuait à diriger l'assemblée, comme un cirque, les dirigeants de son parti poursuivaient leur racket du pays comme des charognards. Dans les annales, ce deadline donné en juillet 2021 par le dirigeant Abdelkrim Harouni au gouvernement pour dédommager les militants du parti. Ce qu'il ne faudrait jamais oublier c'est la situation socio-économique du pays qui était au plus bas, la gestion calamiteuse de la crise du Covid-19, avec des milliers de morts à la clé, et toujours l'absence de création de la cour constitutionnelle. Ennahdha ne malmène pas que l'assemblée, elle malmène tout le pays. Face à cette situation, le président de la République fait preuve d'un cynisme particulier, le 25 juillet 2021. Il met un véhicule de l'armée devant la porte de l'assemblée et en interdit l'accès à tous, islamistes comme opposition. Il décide de geler, puis de dissoudre, l'assemblée, alors que ce n'est pas prévu dans les textes. C'est le putsch. Justifié ou pas, Kaïs Saïed met tout le monde devant le fait accompli, profitant de l'absence d'une cour constitutionnelle et d'une lecture pernicieuse de l'article 80 de la constitution. Le parti islamiste est frappé par ses propres armes, c'est lui qui a mis en place cet article à la lecture alambiquée et c'est lui qui a refusé de nommer les membres de la cour constitutionnelle.
Le parti a bien essayé de rameuter les foules, au lendemain du coup de force présidentiel et après, mais celles-ci, fortement déçues, ne répondent plus aux appels. Les dirigeants d'Ennahdha sont seuls, bien seuls. Les uns derrière les autres, ils sont jetés en prison parfois injustement, souvent pour des raisons bien valables juridiquement. Qu'ils soient innocents ou coupables, ils ont fait beaucoup de mal au pays. Médiatiquement et politiquement, ils sont jugés pour l'ensemble de leur œuvre, tant ils ont triché, fraudé et menti. Le 43e anniversaire est bien triste pour eux et ce n'est pas pour déplaire aux Tunisiens. Si Ennahdha n'existait pas, le pays aurait été meilleur, bien meilleur.