Depuis plusieurs jours, le monde entier a les yeux rivés sur la Syrie. La chute du régime de Bachar el-Assad a suscité des inquiétudes chez les Tunisiens. Beaucoup sont ceux qui se demandent si la fin de son règne signifie une libération des terroristes se trouvant dans les prisons syriennes. Les Tunisiens arrêtés en Syrie seront-ils bientôt parmi nous ? En Tunisie, beaucoup s'inquiètent du fait que les rebelles syriens appartiennent à des obédiences islamistes radicales, servant les intérêts et les agendas de groupes extrémistes. La chute de Bachar el-Assad est considérée comme une victoire d'Al Qaïda, de Daech et de leurs innombrables ramifications. Le leader du groupe Hayat Tahrir al-Sham (instance de libération du levant), Ahmed Hussein Al-Chara, dit "Abou Mohammed Al-Jolani" est pointé du doigt. Ce dernier était, en effet connu en tant que leader d'Al Qaïda, puis de Daech et enfin de Jabhat Al-Nosra. Voir ce personnage à la fois effrayant et intrigant jouer au porte-parole des forces qui ont renversé el-Assad a évoqué la question du retour des groupes extrémistes sur les devants de la scène politique syrienne, mais aussi tunisienne. On pense que les extrémistes syriens vont lâcher les terroristes.
En effet, on parle depuis la chute de Bachar el-Assad du retour, par milliers, de terroristes tunisiens détenus par le régime syrien. Plusieurs publications Facebook ont appelé la Tunisie à refuser l'accès à tout citoyen rentrant de Syrie. D'autres ont évoqué la réactivation, prochaine, de cellules dormantes retrouvant désormais leurs dirigeants et chefs. On est allé jusqu'à affirmer que les autorités syriennes ont libéré 5.000 terroristes tunisiens et on a appelé à la vigilance et au renforcement des mesures de contrôle au niveau des frontières. Ce malheureux chiffre ne cesse de faire son come-back sur les réseaux sociaux. On évoque comme source une déclaration de presse tout simplement introuvable. D'autres affirment que l'existence de 5.000 combattants tunisiens emprisonnés en Syrie a été confirmée par un rapport rédigé par une délégation des Nations Unies. Une autre source qui semble être inexistante. La seule information qui pourrait être fiable serait la participation de 12.800 combattants tunisiens au conflit syrien entre 2011 et 2017. Cette information a été révélée par un rapport du centre d'étude allemand "Firil". Selon lui, ce chiffre place la Tunisie en seconde place du classement des pays ayant le plus de combattants en Syrie. Néanmoins, il précise que sur ces 12.800 individus, 5.100 ont été tués et 1.320 sont portés disparus. Du côté tunisien, l'ancien ministre de l'Intérieur, Hédi Majdoub avait indiqué, dans une déclaration accordée en janvier 2017 au journal Al Maghreb, qu'au total 2.929 terroristes tunisiens se trouvent dans les zones de conflit. Il avait même assuré que son département détenait une liste nominative de ces combattants.
Ces données nous poussent, donc, à nous interroger sur l'exactitude des chiffres et des informations relayées par les internautes. Avons-nous vraiment des chiffres précis à ce sujet ? La Tunisie, est-elle apte à communiquer publiquement la chose afin de calmer les esprits et d'éviter la propagation d'un état de panique quant à une invasion terroriste ? Qu'attendent les autorités officielles pour le faire ? Un silence incompréhensible nous rappelant le silence depuis quelques jours de la diplomatie tunisienne au sujet de la situation en Syrie. Nous ne retiendrons qu'un communiqué publié le 4 décembre 2024 et dénonçant des attaques terroristes visant le régime syrien. C'est à se demander comment la Tunisie compte traiter avec ceux qu'elle a accusé, il y a quelques jours, de terrorisme.
Par la suite, et à supposer qu'on ait des données concrètes, comment gérer la question du retour de ces individus en Tunisie. Il faut savoir si le pouvoir syrien en place compte libérer ces personnes ou non. Pour le moment, on ne fait que suivre de près la situation puisqu'on ne sait pas qui gouvernera la Syrie et quelle politique sera appliquée au sujet des combattants étrangers. D'autre part, si la Syrie décide de libérer les terroristes tunisiens, qu'est ce qui nous dit que ces derniers vont retourner en Tunisie. Ils pourraient décider de s'installer dans le pays ou de partir vers une autre destination plus "exotique" pour eux tels que l'Irak, l'Afghanistan, la Somalie ou la Libye. Les terroristes pourraient craindre des poursuites ou des persécutions de la part des autorités tunisiennes. Ces terroristes ne pourront plus bénéficier d'un soutien de la part d'extrémistes haut placés ou très bien connectés. Imaginez ce qu'un Etat qui jette des journalistes, des syndicalistes, des politiciens et des activistes en prison pour avoir exprimé leur opinion pourrait faire au sujet de terroristes pouvant constituer une menace pour sa sûreté nationale. Enfin, dans l'éventualité où les terroristes tunisiens se trouvant en Syrie décident de rentrer chez eux, quelle attitude devrait adopter l'Etat ? Le retour de ces combattants implique un retour des membres de leurs familles les ayant accompagnés dans les zones de conflits ou des enfants parfois nés en Syrie et vivant dans des camps de détention. Les Nations Unis qualifient le nord-est de la Syrie de plus grand de camp de détention d'enfant dans le monde. Ces enfants n'ont sûrement pas choisi d'être du côté d'Al Qaïda, de Daech ou d'autres groupes terroristes présents en Syrie. Ne s'agit-il pas avant tout de victimes ? De citoyens tunisiens subissant les conséquences des choix désastreux de leurs parents ? Il faut, donc, rapidement envisager des mécanismes de rapatriement et de réintégration de ces enfants au lieu de les abandonner ou de leur rejeter leur droit inaliénable de vivre en paix en Tunisie. Pour ce qui est de leurs parents, auteurs de ce malheureux crime, l'entrée sur le territoire tunisien n'est pas vraiment le problème. Il faut avant tout savoir si ces personnes ont vraiment combattu ou participé de n'importe quelle façon à des crimes et des attaques terroristes. Afin d'identifier les éléments constituant une véritable menace à la sûreté nationale, la Tunisie peut prendre note sur les expériences similaires en matière de rapatriement de combattant depuis les zones de conflits. Les exemples de la France, de l'Allemagne, de la Belgique ou du Pays-Bas, peuvent nous faciliter la chose. Ces pays ont opté pour l'ouverture d'une enquête au sujet de chaque personne afin d'avoir la certitude de son innocence et d'évaluer les risques. Il faut donc que la diplomatie s'active en demandant une liste des noms des combattants tunisiens arrêtés par le régime syrien et mener par ses propres moyens des enquêtes permettant de savoir si les faits reprochés aux personnes concernées sont avérés ou non. Après l'étude des risques et de la finalisation de l'enquête, la personne rapatriée depuis une zone de conflit est soit poursuivie en justice pour crimes terroristes, soit laissée en liberté et placée dans un programme de réintégration.
Les pays de l'Union européenne se sont dotés, durant la dernière décennie, de programmes de déradicalisation, car une personne non-coupable de crime terroriste revenant d'une zone de conflit peut porter en elle des pensées extrémistes. Ces programmes de déradicalisation et de réintégration concernent aussi les combattants incarcérés pour crime terroriste et leur famille. Au lieu de partir dans un élan d'hystérie collective, il faut faire pression afin de concevoir des mécanismes efficaces et réalisables afin de lutter concrètement contre la radicalisation et l'extrémisme.
La situation en Syrie a fait resurgir la question du terrorisme en Tunisie. Espérons que cette fois de véritables mesures seront prises dans le but de lutter contre ce fléau. La réintégration et déradicalisation de fanatiques reste l'un des défis les plus difficiles à relever. Néanmoins, le vécu d'autres pays nous a montré que la clé de réussite à ce niveau était la coordination, la coopération et l'implication de toutes et tous dans une approche ne se limitant pas à l'aspect répressif.