Cet Etat arrivera décidément à toujours nous surprendre. Face au drame de Mezzouna, qui a coûté la vie à trois jeunes lycéens, l'Etat a fait la seule chose qu'il sait faire depuis des années maintenant : dépêcher les unités sécuritaires sur place et désigner un bouc émissaire à emprisonner. La nuit a été mouvementée à Mezzouna : les unités de la Garde nationale ont pourchassé quelques manifestants et veillé à maintenir le calme. Il ne faudrait surtout pas que la colère échappe au contrôle des autorités. Pour les ambulances, les soins, l'éducation et autres, il faudra les chercher dans les discours – pour ceux qui y croient encore. Le sacrifice du directeur Mais cela ne suffit pas au pouvoir pour sortir du bourbier de Mezzouna. Il lui faut détourner l'attention et éloigner toute responsabilité du régime en place et de son président, Kaïs Saïed. Le premier bouc émissaire est tout trouvé : le directeur du lycée dont un mur s'est effondré. Peu importe s'il avait déjà alerté les autorités de tutelle sur l'état du mur, en demandant une intervention d'urgence. Peu importe s'il s'agit d'un cadre éducatif qui, de manière évidente, n'a pas la responsabilité directe de l'état des infrastructures scolaires. Ce qui compte, c'est d'offrir une tête à couper, de trouver un responsable auquel faire porter le chapeau. En plus, cela fait écho au discours récurrent du président, qui attaque les responsables locaux et administratifs à tous les niveaux.
Une attaque contre la société civile L'autre cible du pouvoir et de ses relais est la société civile. La députée Fatma Mseddi a publié un statut accusant l'UGTT d'avoir préféré organiser une grève plutôt que de financer la réhabilitation des établissements publics avec un jour de salaire. Comme si c'était au syndicat – ou à n'importe quelle association – d'assumer la charge de l'Etat, de reconstruire des murs, d'éviter les drames. Cela, pour les beaux yeux d'un pouvoir qui n'écoute personne, qui concentre tous les pouvoirs et affiche son mépris pour les syndicats, les partis et les associations. Les critiques pleuvent également sur les associations, accusées de ne pas être intervenues à temps. Mais ce sont les mêmes qui, hier, les accusaient de tous les maux : financement illicite, loyauté à des puissances étrangères, complots… Plusieurs figures de la société civile, comme Saadia Mosbah, sont aujourd'hui en prison, sur la base d'accusations non étayées. Le régime et ses porte-voix médiatiques ont diabolisé ces acteurs, prétendant même qu'il y avait « trop d'associations » en Tunisie et qu'il fallait restreindre leurs activités via un cadre légal plus rigide. Et aujourd'hui, dans un incroyable retournement, on leur demande des comptes.
Une stratégie de diversion bien rodée Il ne fait aucun doute que le pouvoir cherche à contenir la colère née du drame de Mezzouna, tout en tentant de diluer les responsabilités. La société civile, les responsables locaux, voire les parents d'élèves, sont tour à tour désignés à la vindicte. Tous sont accusés de n'avoir rien fait, alors que le danger était visible. L'image de ce mur qui menace de s'effondrer symbolise parfaitement l'état des lieux dans plusieurs secteurs : la santé, les transports, l'éducation. Le président parle de justice sociale, de réformes urgentes et de redressement national. Mais sur le terrain, rien ne change. Ces secteurs restent sinistrés et menacent de s'effondrer, comme ce mur à Mezzouna. Et quand la catastrophe survient, on détourne le regard. Vers d'autres coupables, plus commodes. Jamais vers les vrais responsables.