Dans l'air pesant de la Tunisie de la « construction et de l'édification », un nouveau crime a vu le jour : aider son prochain. Ne riez pas, c'est très sérieux ! Dans un pays où le bon sens est devenu suspect, des dizaines d'activistes croupissent en prison pour le « péché » d'avoir tendu la main à des migrants. Un acte subversif, dirait-on, dans une époque où les valeurs humaines sont jugées à travers le prisme d'une paranoïa xénophobe. Sherifa Riahi, Saadia Mosbah, Mustapha Djemali, Imen, et bien d'autres, sont les visages de cette répression. Leur crime ? Fournir de la nourriture, des soins, ou tout simplement de la dignité à des êtres humains coincés entre la misère et un mur d'exclusion. Mais ici, la solidarité est jugée comme une menace. Le régime, maître dans l'art de tordre les faits, a dégainé une vieille théorie complotiste importée d'autres horizons, celle du « grand remplacement », mais façon tunisienne. Une mauvaise farce ! D'après les autorités, une conspiration internationale viserait à inonder la Tunisie de migrants subsahariens pour changer sa composition démographique. Oui, vous avez bien lu ! Une absurdité digne des pires romans dystopiques. Et parce qu'un mensonge bien orchestré vaut mieux qu'un silence assourdissant, ce récit est servi à la population avec une sauce de souveraineté nationale. Résultat ? Une partie des Tunisiens, hypnotisée par ce discours, applaudit les arrestations. Le racisme latent dans notre société se déploie sans complexe, enrobé dans le voile sacré de l'identité nationale.
Pendant ce temps, certaines familles pleurent en silence, convaincues que la discrétion préservera leurs proches. On leur susurre : « Si votre fils ou votre fille n'a rien fait, ils seront libérés ». Mensonge. Car ici, on emprisonne d'abord et on vérifie ensuite. Et si l'on ne trouve rien, qu'importe, une accusation de financement étranger fera l'affaire. Les noms s'accumulent, les visages se brouillent presque. Ces défenseurs des droits humains sont-ils des menaces ? Non. Mais ils dérangent. Ils mettent en lumière l'incurie d'un Etat qui préfère persécuter ceux qui tentent de réparer ses failles plutôt que d'assumer ses responsabilités. Les associations humanitaires, au lieu d'être soutenues, sont suspendues. Le message est clair : aider les migrants, c'est trahir le pays ! Et pourtant, le tableau serait incomplet sans rappeler que ces activistes œuvrent parfois en collaboration avec des institutions étatiques. L'ironie est cruelle. L'Etat tunisien, signataire de conventions internationales, tourne le dos à ses engagements, préférant faire la chasse à ceux qui agissent, eux.
Ce climat nauséabond n'est pas isolé. Il s'inscrit dans une vague mondiale de fascisme rampant, où la peur de l'autre devient l'outil préféré des régimes en quête de contrôle. La Tunisie n'a pas échappé à cette tendance. C'est l'heure de gloire de la fachosphère et des petits réacs bêtes et ignorants. Le retour de Donald Trump aux affaires donne encore plus de légitimité aux discours de haine et de division. Les populismes réactionnaires, quelle que soit leur origine, présentent des points de convergences. Et Trump 2 a insufflé une nouvelle énergie à cette fachosphère mondiale, où les frontières se ferment, où les minorités sont traitées comme des boucs émissaires et où les droits humains sont relégués au second plan. Cette dynamique sert de modèle à bien des régimes, où la même rhétorique de souveraineté nationale et de défense contre un « grand remplacement » prend racine. Comme ailleurs, on agite les spectres du déclin, on désigne des boucs émissaires et on musèle la société civile. Ce cocktail toxique rappelle dangereusement les heures sombres des années 1930, où la haine, savamment orchestrée, a conduit à des catastrophes. À l'époque, les régimes autocratiques accusaient des minorités de tous les maux. Aujourd'hui, ça y ressemble et ce sont les migrants qui paient le prix de cette mécanique immuable de domination.
Face au rouleau compresseur, il reste bien quelques voix qui tentent de briser le silence, mais à quel prix ? Ceux qui parlent encore sont diffamés et risquent des représailles. Les familles se battent, mais leur lutte se heurte au mépris. Le pays s'enfonce dans une dérive. Les activistes qui croyaient en la solidarité humaine comme rempart à l'injustice sont aujourd'hui victimes d'un régime qui fait de l'oppression son pilier de gouvernance. Dans cette nouvelle ère, l'édification repose notamment sur la peur et l'exclusion. Et le pire, c'est que cette dérive ne semble pas prête de s'arrêter.