: où la justice et l'égalité ne seront plus des promesses mais des réalités partagées Par Hella Ben Youssef*
Par pur hasard, une recherche m'a menée à me rendre compte que le mois de juin nous offre bien plus que le début de l'été. Il nous offre une occasion unique de réfléchir à ce qui fonde nos sociétés. Il nous tend un miroir collectif sur ce qui compte vraiment : les liens ! Liens sociaux, liens humains... À travers les multiples thématiques que ce mois évoque ; enfance, vieillesse, parentalité, diplomatie, violence et travail se dessine une vérité simple mais urgente : sans protection réelle des personnes les plus vulnérables, aucune société ne peut prétendre à la justice ou à l'équilibre. Juin, mois des liens : quand le calendrier nous tend un miroir Juin nous offre une occasion unique de réfléchir à ce qui fonde nos sociétés : les liens. Liens familiaux, liens sociaux, liens humains… ! À travers les multiples thématiques que ce mois évoque, l'enfance, la vieillesse, la parentalité, la diplomatie, la violence et travail, se dessine une vérité simple mais urgente : sans protection réelle des personnes les plus vulnérables, aucune société ne peut prétendre à la justice ou à l'équilibre. En Tunisie, comme ailleurs, les liens familiaux sont fragilisés non seulement par la pression économique et sociale, mais aussi par des propositions législatives inquiétantes. Le nombre de divorces a considérablement augmenté ces dernières années : selon les statistiques officielles, plus de 16 000 divorces sont enregistrés chaque année, soit près de 45 par jour. Dans ce contexte, la proposition de rendre possible le divorce en dehors du cadre judiciaire, via des procédures de conciliation privées, constitue un recul préoccupant. Cela risque de soustraire les plus vulnérables notamment les femmes à la protection du droit et à l'encadrement que garantit l'Etat. Le divorce, s'il est un droit, doit rester régi par des procédures transparentes, équilibrées et justes, inscrites dans le droit civil. Famille, parentalité, vieillesse : défendre les plus vulnérables pour une société juste Mais le sens de la famille ne se réduit pas à des schémas fixes. Il évolue. Il repose avant tout sur un lien de confiance, d'appui et de sécurité. Ce lien doit être préservé et accompagné, au-delà des cadres normatifs. À ce titre, des pays comme la Suède ont su développer une vision plus équilibrée de la parentalité. La place du père y est pleinement reconnue : congé paternité généreux, soutien à la coparentalité, campagnes publiques valorisant l'implication des pères dans la vie quotidienne de leurs enfants. La Tunisie a amorcé cette évolution avec plusieurs campagnes sur la responsabilité partagée dans l'éducation et le soin, mais cela reste trop marginal. L'égalité entre hommes et femmes ne doit pas être vue comme une compétition, mais comme un équilibre nécessaire. Et pour poser les bases de cet équilibre dès l'enfance, il est urgent d'intégrer dans les manuels scolaires des structures de compréhension, d'écoute et de soutien psychologique. Une éducation à la santé mentale, à l'écoute de l'autre, au vivre-ensemble : voilà des piliers concrets pour bâtir une société plus juste et plus humaine. Quant aux personnes âgées, qui représentent aujourd'hui 17 % de la population tunisienne, elles sont souvent invisibles dans les politiques publiques. La loi n° 94-114 portant organisation des établissements pour personnes âgées encadre leur prise en charge, mais reste peu appliquée, notamment en milieu rural. La maltraitance, les abus financiers ou psychologiques, et la précarité restent largement impunis. Le ministère de la Famille, de la Femme, de l'Enfance et des Seniors a lancé plusieurs stratégies et programmes, dont le Plan national pour l'autonomisation des femmes et le programme d'appui à la parentalité positive. Pourtant, l'absence de moyens, de coordination interinstitutionnelle et d'évaluation indépendante freine leur portée réelle. Ce débat soulève aussi une question cruciale que nous devons remettre au cœur de la société et des institutions : celle de l'égalité successorale, en lien avec les transformations profondes des rôles familiaux. Aujourd'hui, dans nombre de nos pays, les filles et plus largement les femmes assurent de fait la charge affective, matérielle et médicale de leurs parents âgés. Cela appelle non seulement à une reconnaissance sociale et juridique, mais aussi à une réforme en profondeur de nos mécanismes de solidarité. Nous devrions donc anticiper un modèle où les parents âgés accèderont à une autonomie réelle, à travers des structures publiques spécialisées, accessibles à domicile ou en itinérance, encadrées par le ministère de la Santé et des professionnel·les qualifié·es. Il est impératif d'éviter que la prise en charge du vieillissement ne devienne un secteur captif entre les mains d'acteurs privés motivés par le profit, au détriment d'une approche véritablement humaine, solidaire et sanitaire. Des modèles inspirants existent à l'international, notamment en Scandinavie ou au Canada, où les services de soins à domicile relèvent d'un service public intégré. Cette approche, centrée sur la dignité et l'autonomie, doit faire écho à notre engagement pour l'égalité, y compris dans la sphère familiale et successorale. Repenser l'un, c'est repenser l'autre : car le soin, comme l'héritage, ne peut plus reposer uniquement sur les épaules des femmes, qui sont au croisement de toutes les fragilités. Des droits bafoués aux violences systémiques : protéger les femmes, c'est protéger l'humanité Les femmes, citoyennes, militantes, travailleuses, mères ou filles représentent plus de la moitié de l'humanité. Pourtant, elles continuent de subir, partout dans le monde, des violences systémiques, souvent normalisées ou invisibilisées. Dans plus de 100 pays, les lois ne garantissent pas l'égalité entre les femmes et les hommes, et près d'une femme sur trois a déjà été victime de violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie, selon l'OMS. En temps de crise, de guerre ou de catastrophe, ces violences s'intensifient. Les femmes déplacées ou migrantes sont particulièrement exposées : selon l'ONU, plus de 70 % des femmes réfugiées subissent des violences basées sur le genre à un moment donné de leur parcours. Ces femmes fuient les conflits, le changement climatique ou la misère, mais trouvent trop rarement protection et justice. La Tunisie, comme d'autres pays, a ratifié de nombreuses conventions internationales, notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF), et s'est engagée à garantir les droits fondamentaux des femmes, y compris migrantes ou réfugiées. Pourtant, l'écart entre les engagements internationaux et la mise en œuvre concrète reste béant. L'absence de mécanismes de protection efficaces, le manque de coordination entre les institutions, et l'insuffisance des moyens alloués rendent ces droits théoriques, et non réels. Protéger les femmes, c'est protéger l'humanité tout entière. Cela exige des politiques publiques intégrées, des cadres juridiques contraignants et des dispositifs de prévention, d'accueil et de soin en particulier pour celles qui sont en situation de vulnérabilité accrue : les déplacées, les migrantes, les réfugiées, et les survivantes de violences. Le droit international humanitaire, les conventions de Genève, la CEDAW, la CIDE, la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies : tous ces textes existent. Ils forment le socle d'un ordre mondial plus juste. Mais encore faut-il que les gouvernements aient le courage politique de les respecter, de les appliquer, de les défendre. Nos pays ont trop souvent relégué les droits humains aux marges, sous prétexte de traditions, de priorités économiques ou de sécurité. Pourtant, les traditions n'empêchent pas la justice. La sécurité ne peut exister sans équité. Et l'économie ne tiendra pas sans une société fondée sur le respect des droits fondamentaux. Toutes ces journées, comme toutes ces réunions internationales à l'ONU, dans les forums, les sommets arabes, européens ou mondiaux, devraient être empreintes d'une honnêteté politique nouvelle, d'un pragmatisme constructif et d'une véritable volonté de changement. Ces espaces doivent cesser d'être des tribunes déconnectées des réalités pour devenir des outils concrets de transformation. Elles devraient nous rappeler que ces dates ne sont pas de simples symboles, mais des rappels collectifs de notre devoir commun envers les droits humains. Juin devrait nous rappeler que les liens ne connaissent ni frontières ni dogmes. Qu'il s'agisse d'un enfant à protéger, d'une personne âgée à accompagner, d'une femme à défendre ou d'un diplomate à écouter, la dignité humaine est universelle. Ce mois des liens est donc un appel. Un appel à replacer l'humain au cœur des politiques. À faire des conventions internationales non plus des vitrines mais des leviers. À promouvoir la diplomatie comme première réponse. Et à faire de la protection des plus vulnérables une priorité nationale et mondiale. Face à ces défis, la diplomatie doit retrouver sa place centrale. Non pas une diplomatie d'apparat ou de façade, mais une diplomatie active, préventive, inclusive, culturelle, économique et scientifique, au service de la paix, des droits humains et de l'intérêt général. Loin des postures, c'est souvent la voie diplomatique qui a permis de sortir des impasses les plus dangereuses, même de manière partielle ou fragile. On peut penser à l'accord de paix en Colombie après 50 ans de conflit armé, au cessez-le-feu entre l'Ethiopie et l'Erythrée en 2018, ou encore au processus de Kimberley, qui a permis de réguler partiellement le commerce des « diamants du sang ». En Libye, malgré l'instabilité, les efforts diplomatiques menés sous l'égide de l'Union africaine et des Nations unies ont permis de maintenir ouvert un canal de dialogue fragile mais nécessaire. Certes, certains processus comme les accords d'Oslo sur la question israélo-palestinienne n'ont pas tenu leurs promesses. Mais leur échec n'invalide pas la diplomatie elle-même, il montre au contraire ce qui se passe quand les engagements ne sont pas respectés, et quand la justice est sacrifiée au profit du statuquo ou de la domination. La diplomatie des liens : pour une politique de paix, de justice et d'inclusion Ce que nous devons défendre aujourd'hui, c'est une diplomatie du courage, de la cohérence et de l'action, portée par des acteurs publics, mais aussi par la société civile, les femmes, les chercheurs, les artistes et les jeunes. Une diplomatie qui libère au lieu de contraindre. Une diplomatie qui construit au lieu de détruire. Dans cette diplomatie, les femmes jouent un rôle déterminant. Parce qu'elles incarnent souvent une approche plus pragmatique, plus inclusive et plus tournée vers la paix. Des figures en témoignent, mais elles sont encore trop peu nombreuses : en 2023, selon les données de l'ONU, seules 23 % des ambassadeur·rices dans le monde étaient des femmes. Dans la région MENA, ce taux tombe à moins de 10 %, et en Tunisie, il reste en deçà de 20 %. À titre de comparaison, la Suède et le Canada, qui ont adopté une diplomatie dite "féministe", affichent des taux de représentation féminine de plus de 45 % dans leur réseau diplomatique. Cette sous-représentation n'est pas un simple détail : elle reflète un déséquilibre de fond dans les priorités et les modes d'action. Encourager la participation des femmes dans la diplomatie, c'est encourager une vision du monde fondée sur la coopération plutôt que la confrontation.
C'est en retrouvant ce bon sens politique et ce sens profond des responsabilités que nous pourrons, enfin, reconstruire un monde où la justice et l'égalité ne seront plus des promesses mais des réalités partagées. *Hella Ben Youssef est militante pour la justice sociale et l'égalité de genre *Vice-Présidente de l'Internationale Socialiste des Femmes