Peut-on encore parler de politique de développement régional après la publication par l'Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq) du rapport sur « L'indice de développement régional 2024 », mesurant les performances socioéconomiques de chaque gouvernorat et délégation du pays ? Le document qu'élabore l'Itceq tous les trois ans depuis 2012 tombe d'ailleurs à pic, dans la mesure où pratiquement toutes les institutions de l'Etat sont à pied d'œuvre dans l'élaboration du prochain plan de développement 2026-2030. À commencer par les Conseils locaux du pays. Ensuite vient le tour des Conseils régionaux, puis viendra le round des Conseils de district. Il n'est point nécessaire ici de procéder à une présentation des différentes étapes d'élaboration du plan et de ses acteurs. Contentons-nous du volet local, puisqu'il constitue la base de la pyramide de construction du prochain plan. En outre, il laisse entrevoir l'efficacité de cette approche à mesure de son passage aux échelons supérieurs.
Des plans locaux surréalistes ? Sur ces considérations, quels enseignements pouvons-nous tirer des résultats des consultations locales sur les perspectives du prochain quinquennat 2026-2030 ? Pour l'heure, seul le Conseil local de Mhamdia, du gouvernorat de Ben Arous, a validé son plan de développement quinquennal 2026-2030. Au vu, lu et entendu de ce qu'ont rapporté les médias sur le sujet, il semble que les acteurs de l'élaboration du plan de développement de Mhamdia n'ont pas eu connaissance du « Guide d'élaboration du plan de développement local 2026-2030 » édité par le ministère de l'Economie et de la Planification, et qui en trace la procédure. Il est vrai que s'y soumettre rendrait illusoire l'élaboration d'un projet de plan de développement local, compte tenu a fortiori du délai imparti. En définitive, ils ont fait avec les sentiments et les rêves. Résultat : un irréalisme dans toute sa splendeur. Est-ce que les autres Conseils locaux ont procédé de la même manière, au feeling ? Ont-ils consulté pour autant le rapport de l'Itceq sur l'indice de développement de leur délégation propre, de ses faiblesses et de ses atouts, pouvant mettre en perspective son potentiel de développement ? En ont-ils même connaissance ?
À la recherche d'indicateurs régionaux pertinents L'indice de développement régional est un indicateur synthétique qui se fonde sur quatre critères : les conditions de vie, la dimension sociale, le capital humain et la situation économique et de l'emploi de la région. Ces critères se composent de plusieurs variables et données. S'agissant par exemple des conditions de vie, on a tenu compte de l'infrastructure et des équipements de base, des services médicaux-sanitaires à travers le nombre de lits ou de médecins de la santé publique, ou encore du nombre de pharmacies pour mille habitants, et des services de loisirs tels que le nombre de maisons de jeunes et de la culture, celui des terrains de sport, des clubs d'enfants, des bibliothèques publiques, etc. Concernant la dimension sociale, elle repose sur des indicateurs comme le taux de pauvreté, le nombre de familles nécessiteuses pour mille habitants, l'analphabétisme, etc. Quant à la situation économique et de l'emploi, elle se fonde entre autres sur la diversification du tissu entrepreneurial, la diversification de la main-d'œuvre, le nombre d'entreprises pour mille habitants, la taille des entreprises, les offres et les demandes d'emploi, le taux de chômage, etc. Autant dire, une panoplie de données que certains diront partielles, dont la pertinence demeure relative, mais qui ont le mérite d'exister et gagneraient à être exploitées judicieusement. De quoi freiner, au demeurant, le rêve des compétences locales de transformer leur délégation en un nouveau Dubaï, Genève ou Singapour. Ceci vaut également pour les consultations au niveau des Conseils régionaux et de districts.
Recul inexorable de l'indice de développement régional En tout cas, cela ne peut occulter le fait qu'en matière de développement régional, les résultats sont accablants. La moyenne des indices régionaux de développement a chuté de 10% en une décennie, alors que l'écart de développement entre les régions est demeuré quasiment stable. Les composantes de l'indice ont presque toutes enregistré un recul, que ce soit en matière sociodémographique, d'accès aux services de santé, de culture ou de loisirs, ou encore d'absorption du marché du travail. Seuls l'infrastructure et les équipements de base, ainsi que le capital humain, ont connu une amélioration. Entre 2021 et 2024, la cartographie de l'indice de développement régional par gouvernorat n'a pratiquement pas évolué, sauf pour le gouvernorat de Gafsa. Il en est de même des disparités de développement entre délégations d'un même gouvernorat. L'indice de développement de Sfax-ville est sans commune mesure avec celui d'El Amra, entre Bizerte Nord et Joumine, ou entre Mahdia et Ouled Chamekh, exemples tirés du rapport de l'Itceq.
En une décennie, la politique de développement régional du pays – de rééquilibrage, de discrimination positive et tutti quanti – n'a visiblement pas servi à grand-chose, si tant est qu'on ait mis en œuvre de telles approches. Son échec est patent.