Mardi 8 juillet 2025, une proposition de loi a été déposée à l'Assemblée pour permettre à certains Tunisiens résidant en Tunisie de bénéficier du FCR. Ce privilège fiscal, jusque-là réservé aux expatriés, fait l'objet depuis des années de vives critiques pour son iniquité et son incompatibilité avec le principe constitutionnel d'égalité devant la loi. Cette tentative de réforme suffira-t-elle à corriger une discrimination devenue institutionnelle ? Le régime FCR s'apprête peut-être à changer de visage. Mardi 8 juillet 2025, un groupe de 22 députés a déposé une proposition de loi visant à ouvrir cet avantage fiscal emblématique à une partie des Tunisiens vivant sur le sol national. Le texte a été traduit en un temps record devant la commission des finances et du budget hier jeudi 10 juillet, première étape d'un examen législatif qui pourrait, pour la première fois, corriger une inégalité structurelle dénoncée depuis des décennies. Le projet de loi repose sur un principe simple : étendre le bénéfice du FCR à tout citoyen tunisien âgé de plus de trente ans, résidant en Tunisie, à condition de ne pas dépasser certains plafonds de revenus.
Les conditions d'éligibilité prévues par le texte Plus précisément, le texte fixe le seuil d'éligibilité à douze fois le SMIG annuel pour un individu (soit environ 5376 dinars par mois dans les conditions actuelles), 18 fois le SMIG annuel pour un couple (environ 8064 dinars). En plus de ces critères d'âge et de revenu, le texte reprend la logique de renouvellement du régime actuel : le FCR serait accordé une seule fois, comme c'était le cas pour les Tunisiens résidant à l'étranger avant la réforme de 2024. Le véhicule éligible devra, comme aujourd'hui être âgé de moins de cinq ans, avoir un usage personnel ou professionnel et peser moins de 3,5 tonnes. L'importation pourrait se faire depuis l'étranger ou par acquisition sur le marché local, avec exonération totale des droits de douane, droits de consommation et TVA, dans les mêmes conditions que le FCR classique. Le texte précise également que les personnes ayant déjà bénéficié de l'ancien régime FCR (en tant que résident à l'étranger) ne pourront pas cumuler avec ce nouveau droit. L'avantage serait donc strictement non cumulatif, ce qui vise à limiter les abus et à garantir une distribution plus équitable du bénéfice fiscal. Enfin, la proposition évoque la nécessité d'un encadrement administratif strict, avec des pièces justificatives à fournir pour attester des revenus annuels et de la situation familiale, ainsi qu'un système de contrôle ex post en cas de fausse déclaration. Si cette proposition aboutit, elle constituerait un tournant symbolique : pour la première fois, le FCR ne serait plus réservé aux seuls expatriés. Il deviendrait un dispositif accessible, sous conditions, à des citoyens ordinaires, souvent exclus de toute forme de privilège fiscal.
Le FCR, un privilège né pour inciter à revenir, devenu outil d'exclusion Créé sous Habib Bourguiba pour encourager le retour des émigrés, puis élargi sous Zine El Abidine Ben Ali à des fins électorales, le régime FCR permet d'importer un véhicule sans payer ni droits de douane, ni droits de consommation, ni TVA. Pendant des décennies, ce droit n'était accordé qu'une seule fois dans la vie, et uniquement aux Tunisiens ayant résidé à l'étranger pendant plus de deux ans. Mais la loi de finances 2024 a changé la donne. Désormais, le FCR peut être accordé tous les dix ans, même sans retour définitif, à tout Tunisien répondant aux critères de résidence à l'étranger. Le décret d'application, publié le 20 juin 2024, en a précisé les modalités : résider à l'étranger depuis au moins deux ans, ne pas passer plus de 183 jours par an en Tunisie, avoir au moins 18 ans, importer un véhicule de moins de cinq ans, qu'il soit thermique, hybride ou électrique. Le FCR ne s'adresse donc toujours qu'aux expatriés, avec des avantages élargis et renouvelables, y compris pour les biens personnels et les équipements importés. Les Tunisiens du pays, eux, restent exclus.
Une rupture d'égalité consacrée par la loi Cette exclusion n'est pas sans conséquence. Depuis des années, juristes et observateurs dénoncent une rupture manifeste du principe d'égalité entre citoyens, garanti aussi bien par l'article 21 de la Constitution de 2014 que par l'article 23 de la Constitution de 2022, lequel affirme : « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans aucune discrimination. » Or, qu'est-ce d'autre qu'une discrimination que de réserver un privilège fiscal à une catégorie bien déterminée de citoyens, au détriment des autres ? Pourquoi un ingénieur resté en Tunisie, au service de l'Etat, devrait-il payer l'équivalent de trois salaires annuels pour acheter une voiture, pendant qu'un autre, installé en France, en est exonéré au titre du FCR ? Et pourquoi, surtout, le Tunisien qui contribue à la fiscalité nationale devrait-il être celui que l'on pénalise ? Outre l'injustice sociale, le FCR alimente un marché parallèle structuré, bien connu des automobilistes tunisiens. Le privilège fiscal se vend, s'achète, se négocie sur les réseaux sociaux et alimente des circuits opaques, parfois liés au blanchiment d'argent. De véritables showrooms de luxe prospèrent à Tunis, Sfax ou Sousse grâce à ce dispositif, au détriment des concessionnaires officiels qui, eux, subissent quotas, taxes et contrôles. En novembre 2020 déjà, un article de Business News révélait le vrai visage du FCR : un outil de fidélisation politique, hérité des pratiques anciennes et soigneusement maintenu. Une carotte fiscale offerte par les politiciens à certains de leurs électeurs, financée par le reste de la population.
Vers une réforme d'équité ou une réforme de façade ? La proposition de loi déposée cette semaine représente, pour la première fois, une tentative d'universaliser partiellement le FCR, en l'ouvrant à des citoyens restés au pays. Si elle est votée, elle constituerait un geste symbolique fort, à défaut d'être une véritable réforme de fond. Car les plafonds de revenus, les critères d'âge et la rareté de l'avantage laissent penser qu'on cherche à calmer les frustrations, sans remettre en cause le système lui-même. L'enjeu dépasse la seule question automobile. Il touche à la cohésion sociale, à la justice fiscale, et à l'égalité des droits. Peut-on durablement construire un Etat de droit en consacrant, par la loi, des privilèges exclusifs ?
Une réforme attendue, mais un débat qui reste à mener L'extension du régime FCR aux Tunisiens résidant dans leur propre pays marquerait une rupture symbolique avec des décennies de politique fiscale discriminatoire. Mais elle ne saurait, à elle seule, réparer l'injustice systémique qu'a engendrée ce dispositif. Car si cette proposition de loi venait à être adoptée, elle ne ferait qu'élargir légèrement l'accès à un privilège, sans pour autant remettre en cause la logique d'exception qui le fonde. Le FCR resterait un avantage réservé à une minorité, accordé sous conditions, dans un système fiscal qui pénalise toujours les classes moyennes et populaires, et continue d'encourager les circuits parallèles, la fraude et l'évasion. Il faut également rappeler qu'à partir de 2024, les voitures électriques ne sont plus soumises à aucun droit de douane, conformément à la loi de finances. La proposition de loi de juillet 2025, quant à elle, cible exclusivement les voitures thermiques, ce qui en limite l'impact à court terme, alors même que les véhicules électriques deviennent de plus en plus visibles sur les routes tunisiennes. À moyen terme, cette évolution du marché risque de marginaliser le bénéfice fiscal accordé par le FCR, si aucune harmonisation plus large n'est engagée. L'enjeu dépasse donc la seule question de l'accès à un véhicule. Il touche à la cohésion sociale, à la justice fiscale, et à la crédibilité de l'Etat face à ses propres principes constitutionnels. Dans un pays sans Cour constitutionnelle, sans contre-pouvoirs effectifs et sans réforme fiscale structurelle, les privilèges perdurent et les inégalités se perpétuent. La proposition de loi du 8 juillet est certes un signal politique important, une reconnaissance tardive d'un déséquilibre manifeste. Et à ce titre, elle doit être saluée. Ce n'est peut-être qu'un premier pas, mais c'est un pas dans le bon sens.