Le Centre National de l'Informatique (CNI) a été l'objet la semaine dernière d'une violente critique sur un site internet de la place. Il a ainsi été classé parmi les entreprises tunisiennes en difficulté et ses « clients » accusés d'avoir conclu des marchés de gré à gré. Dans la foulée, le CNI se voit mis dans la position de celui qui ne suit pas la directive nationale et le choix présidentiel du partenariat public privé. Cette directive a été tout simplement remise en cause puisque l'on parle désormais de concurrence public-privé, plutôt que de partenariat. Propos détonants et polémiques qui nous poussent à vérifier, comme l'exige la profession, l'information auprès des intéressés. C'est un écrit d'une assez rare violence sur le Centre national de l'Informatique sur des marchés conclus de gré à gré et sur une concurrence entre deux secteurs censés être partenaires. L'écrit (nous ne dirons pas article) est rapidement suivi par un autre au contenu aussi virulent et pêchant par son manque de données chiffrées et de précisions. L'accusation, comme toute autre, est à charge. Dans un blog ou dans une discussion de salon, elle pourrait passer. Sur un site organisé institutionnellement, de tels propos non recoupés et non vérifiés auprès du principal intéressé, ne peuvent que nuire à l'image de nos entreprises publiques et de notre pays. Nous avons donc contacté le ministère de tutelle (les Technologies de la Communication) et M. Tahar Hafaïedh pour avoir les explications nécessaires et nous les avons eues. Selon un membre du cabinet du ministre, les raisons de l'accusation à charge et de l'acharnement sont expliquées par le fait de la concurrence. Derrière l'article et le site se trouve une entreprise qui s'estime lésée par la présence du CNI en lui prenant des parts de marché qui auraient pu lui revenir. « Je comprends parfaitement cela, c'est de bon aloi et je pardonne les accusations vu que les entreprises privées emploient des gens, prennent des risques et ont de lourdes charges », nous indique pour sa part M. Hafaïedh qui rappelle tout de suite, ce que beaucoup ignorent encore, que le CNI ne fait plus le développement et ne fait qu'assister les entreprises publiques dans la rédaction des cahiers des charges et l'élaboration de projets sous-traités chez les privés. « Nous soutenons le secteur privé, dit-il, et nous lui donnons nous-mêmes beaucoup de marchés. Nous invitons toujours nos partenaires publics à sous-traiter chez les privés, car nous sommes conscients de sa très grande importance pour l'emploi et pour l'économie de la Tunisie». Reste que le privé (du moins quelques entreprises) est mécontent de cette concurrence jugée déloyale puisque le CNI profite des deniers publics pour fonctionner, contrairement aux privés. Le privé, en clair, désirerait que le CNI disparaisse et lui laisse le champ libre dans un marché qui se doit d'être libre. « Nous comprenons l'obligation faite pour le CNI d'aller chercher des marchés pour alimenter sa trésorerie, mais il faut que les choses soient claires et que l'on joue à armes égales dans les appels d'offres », nous dit un responsable dans une entreprise informatique. « Il y a et il y a eu beaucoup de dérapages aussi bien de la part de l'administration que de la part des privés, nous répond M. Hafaïedh. Pour un gros projet, qui peut garantir à l'administration que l'entreprise privée est pérenne et va mener à terme son travail ? Combien de fois a-t-on vu des projets de centaines de milliers de dinars avorter parce qu'ils ont mal démarré à cause d'un cahier des charges mal rédigé et mal expliqué par l'administration à l'entreprise ? L'administration elle-même peut mal-estimer ses besoins au moment de la rédaction du cahier des charges et le privé a (par expérience) beaucoup de mal à suivre son fonctionnement. » Il est vrai, comme nous le disent beaucoup, que l'administration a beaucoup de contraintes et qui lui est difficile d'estimer ses propres besoins. Ceci est clair, mais quel est donc le rôle du CNI dans tout cela ? « Nous jouons le rôle d'intermédiaire entre le privé et le public. Notre rôle est celui du maître de l'ouvrage, un rôle que ne saurait et ne voudrait jouer le privé vu son coût. L'administration fait appel au CNI pour l'assister, expliquer et clarifier le marché aux entreprises ayant remporté l'appel d'offres avec la mise en place de tout un cadre méthodologique et l'assurance de la pérennité du projet. Divers programmes de la CNSS, des mairies ou du ministère de l'Intérieur sont dirigés par le CNI, mais sont (ou seront) menés par des entreprises privées. Celles-ci voient en notre présence un gage de sécurité et d'assurance pour elles et non l'inverse » Nous avons contacté pour notre part quelques entreprises privées ayant gagné des marchés publics et nous avons trouvé le même son de cloche que chez le CNI. « Oui, grâce au CNI, nous pouvons assurer notre travail et avoir un interlocuteur qui comprend parfaitement ce qu'on fait. Nous n'avons pas à nous perdre dans les dédales de l'administration et de la bureaucratie », nous indique ce chef d'entreprise privée ayant, parmi ses clients, de nombreuses entreprises publiques. Pour étayer encore ses propos, le directeur du CNI rappelle qu'il sous-traite lui-même des projets chez des entreprises privées et que concernant la CNSS, il n'a pris aucun marché touchant le développement ou le déploiement. « Pour ce dossier en particulier, nous n'avons été que des maîtres d'uvres et nous avons sorti une bonne quinzaine de cahiers des charges. Nous aurions pu, si on le voulait, prendre un ou plusieurs de ces marchés. Ce n'est cependant pas notre politique et notre démarche », se défend M. Hafaïedh. Il rappelle aussi qu'il y a certains points très délicats touchant à la souveraineté de l'Etat qui ne peuvent être sous-traités chez les privés. « Malgré cela, nous sous-traitons tout ce qui est possible pour ne traiter que ce qui est strictement confidentiel », dit-il. Pour ce qui est de l'accusation de l'entreprise en difficulté, le directeur du CNI précise que le terme est inapproprié et que son budget est équilibré. Reste qu'il a beaucoup d'impayés auprès de ses clients (tous sous la tutelle de l'Etat), ce qui a fait des problèmes de trésorerie. « Que le CNI ait des créances auprès de ses clients, cela ne lui donne pas le droit de ne pas nous régler. Nous avons des factures impayées depuis des mois et des mois. Nous avons des charges et des salaires de dizaines de milliers de dinars à honorer chaque mois », répond ce responsable d'entreprise privée qui a une facture impayée de plusieurs dizaines de milliers de dinars. Ce responsable précise qu'il est anormal que le CNI bénéficie de ses services et ne le paie pas. Par rapport à ses accusateurs, M. Hafaïedh refuse de rendre la pareille et se fait compréhensif. « Je comprends parfaitement ceux qui m'attaquent et je ne leur en veux pas, c'est de bonne guerre. Ils vivent au jour le jour, ils ont énormément de charges et c'est normal qu'ils désirent gagner des marchés. A ceux-là, je dis que le CNI est là pour vous aider et vous assister. » Il va jusqu'à leur proposer la vente de projets nationaux à l'étranger (tels Adab ou Insaf) sans contre partie. L'essentiel est qu'ils travaillent et qu'ils mènent leurs ouvrages comme il se doit, car c'est grâce à eux, répète-t-il, que l'on assure l'emploi et la Tunisie technologique. Des propos de bon sens qui devraient rassurer les entreprises se sentant lésées par la concurrence qu'ils jugent déloyale. Reste maintenant à trouver une solution pour les impayés que le CNI doit percevoir, mais doit aussi honorer. La chose est assez urgente vu que ces entreprises ont des engagements vis-à-vis d'autres clients et vis-à-vis de leurs personnel et actionnaires et se doivent d'être solvables.