Elles traversent une mauvaise passe et attendent avec soif le lancement des grands marchés informatiques de l'Etat. Elles sont pourtant trop parcellées, petites et sous capitalisées. En face, un ensemble de centres étatiques travaillant dans le même secteur, les services et l'assistance informatiques, de plus en plus « lâchés » par leurs tutelles et transformés en Epic. Les deux se regardent en chiens de faïences et les SSII crieraient presque « au voleur » pour chaque marché pris par ces institutions. Qui a raison ? Qui a tort ? Il y a en Tunisie, un tissu de SSII (société d'ingénierie informatique) de 345 entreprises; moins d'une centaine employant 5 personnes et 45 ont plus de 10 employés, pour un marché de 200 MDT. Un marché qui se rétrécit comme une peau de chagrin, sauf pour ceux qui ont fini par comprendre l'utilité de la prospection en dehors des frontières, et surtout après la nette diminution du volume des marchés publics.
L'administration et les entreprises publiques représentent 80% de ce marché. Selon les conclusions de l'étude de positionnement réalisée en décembre 2002 par l'API, « le marché de l'informatique apparaît encadré du fait de l'origine publique des commandes. Les appels d'offres demandent des conditions strictes alors que les dates de démarrage des contrats ne sont pas toujours respectées ou manquent de précision ». L'étude avoue que « les SSII tunisiennes se trouvent aujourd'hui en très grande majorité, dans des situations difficiles, avec peu de moyens financiers », mais aussi, selon l'étude « peu de moyens technologiques leur permettant de répondre aux besoins de l'informatique avancée en Tunisie ».
A cette dernière remarque, il faut ajouter que le secteur informatique compte au moins cinq centres publics. Il s'agit du CNI (Centre National de l'Informatique), du CERT, du CIRIA, du CIMSP pour le ministère de la santé publique, du CIMPF et de l'IRSIA. L'étude souligne qu'« ils répondent en partie aux besoins de l'administration et forment des structures ad hoc de la même manière que les administrations avec de nombreux marchés captifs ». Tout est presque dit et le décor est planté ! Cet état de choses finit par créer une situation où la concurrence est à fleur de peau ! Des instructions claires, mais limitées Pour les professionnels, l'article 152 du décret n° 2002-3158 du 17 décembre 2002 portant réglementation des marchés publics (JORT du 20 décembre 2002 n° 103), a institué un comité de suivi du respect des principes de base régissant l'attribution des marchés et notamment l'égalité des candidats devant la commande publique, la transparence des procédures, le recours à la concurrence et à la publicité.
Ils jugent donc, les règles de la concurrence non respectées et évoquent en appui le fait que la majorité de ces centres sont financés par des deniers publics et que cela dope leur pouvoir de concurrence sur les marchés publics. Certains se proposent même de « saisir le ministère du transport et de faire une pétition pour faire pression pour exclure ces centres de certains appels d'offres et même de porter plainte auprès du ministère du commerce direction de la concurrence pour dumping des prix et concurrence déloyale ». C'est dire l'ampleur de la discorde ! Les professionnels évoquent volontiers le cas du CNI sur certains marchés publics, dont la formation, le développement ou le pilotage. Par la voix de son DG, ce centre qui n'a pas reçu de subventions depuis 1996 et a réalisé en 2003 un chiffre d'affaire de 5 MDT; affirme avoir « reçu des instructions claires pour ne plus intervenir sur des appels d'offres pour le développement de logiciels ». Par élimination, il s'estime donc libre d'intervenir pour tout autre type de marché, notamment la formation et le pilotage des projets pour l'administration et les entreprises publiques « En janvier 2003, nous avions un manque à gagner de 700 mille DT, dit M. Mrabet, que nous avons pu rattraper par une dizaine d'accords de pilotage » dont Tunisie Télécoms, les offices de l'élevage et du tourisme, l'AFI ou la bibliothèque virtuelle du ministère de l'enseignement supérieur. On nous évoque aussi le cas de l'agence nationale de certification qui se serait octroyée la majorité des appels d'offres d'audit et de sécurité informatique, dont le dernier en date aurait été celui de la SNCFT pour un audit sécurité. Question de réglementation M. Mrabet affirme en tout cas ne plus avoir soumis pour aucune offre de développement ou de réalisation de sites. Les professionnels «accusent» donc le CNI de passer outre les instructions de sa tutelle. Ils ne semblent, apparemment pas être au courant des détails de ces instructions. La nouvelle réglementation des marchés du 11 octobre 2003 encourage en effet le recours au pilotage des projets. Ce dernier, selon les professionnels, a « 2 objectifs, qui sont d'encourager la sous-traitance de l'ingénierie, de créer des marchés pour les sociétés de services et de protéger les SSII de la partialité des clients».
Le pilotage, selon M. Mrabet, c'est la garantie de la bonne exécution du marché et cela va du contrôle d'exécution à l'infogérance de tout le process du projet. « Ce qu'on observe, nous confie un dirigeant de SSII, c'est qu'avec la disparition du pouvoir du secrétariat d'Etat chargé de l'informatique dans la gestion des projets informatiques, l'administration et les entreprises publiques ont toujours besoin d'un parapluie pour se protéger vis a vis de la législation. D'où le recours, de plus en plus requis, au CNI, d'où un manque à gagner en terme de chiffre d'affaires et en terme d'expertise pour les SSII ».
Ce serait ainsi, d'après notre interlocuteur, le cas de la cimenterie de Bizerte qui aurait fait appel à cet organisme pour du conseil et pour l'établissement d'un cahier des charges pour le choix d'un ERP. Ce serait aussi le cas du CNSS pour le projet de migration du site central ainsi que pour le projet de télé-déclaration. Et les SSII dans tout ça ? Au ministère des technologies de l'information et du transport, on n'essaie pas de « cacher le soleil avec un tamis » et on ne semble pas nier l'évidence. On met cependant en exergue les mesures prises pour re-équilibrer la balance. Le ministère serait ainsi intervenu pour retirer une offre faite par le CERT pour une entreprise publique du secteur du transport et la restriction des domaines d'interventions de le CNI. On rappelle aussi que la concurrence se gagne sur le terrain, que les sociétés d'ingénieries en Tunisie sont de trop petite taille et refusent encore le regroupement, même pour affronter un appel d'offres. A cela, il est vrai, l'étude stratégique de l'API rappelait déjà depuis 2002, que si les SSII tunisiennes sont faiblement capitalisées, peu spécialisées, peu industrialisées et peu adaptées aux grands marchés. Un « état de santé » que la structure professionnelle n'a pas mis en cause. Mais un état qui contraste avec les appels pressants au lancement des grands « chantiers » informatiques de l'Etat ! Les professionnels rappellent, de leur côté, que des SSII d'un capital de 1 MDT ou de 500 mille DT, dont certaines sont certifiées ISO et ont derrière elles d'importants groupes financiers, ne peuvent être considérées comme étant de petites tailles. Quant à se regrouper, «nous le faisons chaque fois qu'on nous le permette», nous réplique un professionnel, en guise d'argument, le dernier appel d'offre du ministère de la santé...!