1er septembre, bonne rentrée à tous. Finie la séance unique et le farniente estival, il est temps de se remettre au travail. Côté météo, l'été a été chaud. Côté politique, la rentrée promet d'être brûlante. Inflation galopante, croissance atone, tension sociale, loi sur les chèques qui a bouleversé l'économie, bras de fer avec le syndicat : autant de bombes prêtes à exploser. Dans une telle configuration, un régime lucide chercherait à apaiser les esprits. Or, il n'en est rien. Les prisons comptent toujours des politiciens, des journalistes, des militants des droits de l'Homme. Le dialogue avec l'UGTT reste refusé, une première. Et le président continue de se prendre pour une divinité toute-puissante au nom de la suprématie de l'Etat. Mais que vaut l'Etat s'il n'est pas au service de ses citoyens, toutes catégories confondues ?
L'Etat contre la société Kaïs Saïed ne s'embarrasse pas de ces questions. Dans ses communiqués publiés quasi systématiquement à l'aube — une incongruité mondiale — il pervertit la langue et n'offre aucune solution pour sortir le citoyen de son marasme. Les vérités sont tordues, les ennemis désignés, mais rien n'avance. L'ancien ministre de l'Emploi, Faouzi Abderrahmane, a parfaitement résumé ce champ lexical présidentiel une remarquable publication postée sur sa page Facebook le week-end dernier : « Le loyalisme envers le pouvoir devient patriotisme. L'opposition au pouvoir est assimilée à terrorisme. La violation des droits et libertés se présente comme justice. Exprimer son opinion devient un acte de trahison. La richesse est systématiquement synonyme de corruption, alors que la compétence n'a aucune valeur. Le partage de la pauvreté se transforme en Etat social. Le racisme et la suspicion de classe deviennent des discours politiques légitimes. La liberté est réduite au chaos, et la répression à un système ordonné. » Et de conclure : « Les régimes autoritaires privent les mots de leur signification et produisent le non-sens. Les concepts reconnus linguistiquement et politiquement deviennent banals. »
Promesses sans lendemain Quelles que soient les incantations du régime, sa répression et ses mensonges, la réalité finit toujours par reprendre ses droits. Jusqu'ici, le président s'est réfugié derrière des boucs émissaires pour masquer ses échecs. Il a accusé les spéculateurs d'être responsables de l'inflation : elle est toujours là. Il a enfermé ses opposants au nom du complot : l'Etat n'en va pas mieux. Il a promis 3500 milliards des poches des corrompus : rien n'est revenu. Il a juré de mettre fin à l'intérim : le chômage a explosé. Il a brandi la loi sur les chèques comme solution miracle : elle a aggravé la crise. Il a vanté les sociétés communautaires : même sa secrétaire d'Etat admet qu'à peine 20 % des objectifs seront atteints. En somme, aucune promesse n'a été tenue, à l'exception d'une… la piscine municipale du Belvédère. Jour après jour, le crédit s'évapore.
La réalité aux portes du palais Forcément, la réalité finit par frapper aux portes du palais. La preuve se trouve dans les communiqués de l'aube de la présidence. Le dernier en date, publié à 3h45 dans la nuit du vendredi à samedi, donne à réfléchir. Par deux fois, en un seul paragraphe, la présidence mentionne qu'il y a des phénomènes anormaux qui se passent. Dans l'après-midi, la députée propagandiste Fatma Mseddi s'interrogeait sur Facebook : « Où est l'Etat ?». Quand la présidence elle-même parle de phénomènes anormaux et qu'une de ses figures centrales se demande où est l'Etat, c'est qu'il se passe effectivement quelque chose d'anormal au sommet.
Un langage fébrile On peut s'arrêter à ce constat primaire, à la portée de tout un chacun, comme on peut analyser plus profondément le contenu du communiqué de l'aube du samedi. À défaut d'avoir un psychologue ou un éminent politologue pour analyser le ton du communiqué présidentiel et ce qu'il dit entre les lignes, j'ai soumis l'exercice à une IA spécialisée. Voilà ce qu'elle dit en substance : « Le communiqué présidentiel laisse transparaître un ton plus défensif qu'assuré. L'insistance répétée sur les « phénomènes non naturels », les « ennemis » et les « lobbies » traduit une obsession de l'adversaire intérieur. Le recours constant au « peuple » comme garant ultime de la stabilité montre aussi une volonté de se protéger derrière une légitimité populaire. La rhétorique guerrière – « combat », « révolution », « vaincre » – apparaît comme une surenchère verbale face à un manque de résultats concrets. Enfin, la réitération de promesses sociales déjà formulées suggère davantage une tentative de gagner du temps qu'une annonce de solutions nouvelles. En somme, le texte respire moins la confiance que la fébrilité, entre désignation d'ennemis, glorification du peuple et multiplication de promesses différées. »
La vérité en marche On peut accuser les politologues d'être partiaux, les politiciens d'être intéressés, les journalistes d'être vendus, l'IA d'être fantaisiste : cela ne change rien. Le texte est sous nos yeux, il parle de lui-même et il n'autorise pas une multiplicité d'interprétations. Aristote nous enseigne une leçon immuable, vérifiée tout au long de l'Histoire : « Tout pouvoir tyrannique est de courte durée ». Les despotes peuvent multiplier les boucs émissaires, les mensonges et la répression, leur sort reste le même : ils finissent toujours rattrapés.
C'est là qu'intervient une autre leçon immuable : quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Elle met plus de temps, mais finit toujours par arriver. Et il semblerait bien que cette vérité soit en marche, proche de sa destination finale. N'est-ce pas pour cela que la présidence répète, deux fois, qu'« il y a des phénomènes anormaux qui se passent », en usant d'un langage guerrier plus insistant que d'habitude ?