Le textile tunisien a passé avec un certain succès le test des trois premières années sans quotas d'exportations vers les marchés européens. Les industriels ne crient pas victoire pour autant. Et pour cause : en l'absence d'une politique de développement de marques et de réseaux de boutiques, ils restent cantonnés au statut, très peu valorisant, de "sous-traitants anonyme". Un nouveau plan d'action triennal 2008-2010 vient d'être adopté dans le cadre de la stratégie nationale de promotion du secteur. Il semble tomber à pic pour inciter les professionnels à accéder à un palier supérieur. Ce plan vise à favoriser le passage progressif de l'industrie textile tunisienne de la sous-traitance à la co-traitance, c'est-à-dire à la fabrication de produits finis, perçue désormais comme un rempart contre les chocs conjoncturels. Avec plus de 90 % d'entreprises totalement exportatrices, l'avenir du secteur du textile- habillement en Tunisie semblait ne tenir qu'à un fil après le démantèlement, en janvier 2005, des accords multifibres (AMF) qui lui grarantissaient un accès privilégié aux marchés européens. A la surprise générale, le secteur a résisté tant bien que mal à l'appétit vorace des exportateurs chinois. Depuis plus de trois ans et demi, le nombre des entreprises du secteur ayant mis la clef sous la porte n'a pas dépassé les quelques dizaines, selon les données du ministère de l'Industrie, de l'énergie et des PME. Ces dommages collatéraux restent largement en deça des pronostics de la Banque mondiale. L'institution de Bretton Wood prévoyait, à la fin 2004, la fermeture de plusieurs centaines d'unités de production et la suppression de 100.000 emplois sur un total de 210.000. Autre cinglant démenti des prévisions pessimistes de l'institution monétaire internationale, les exportations sont reparties à la hausse en valeur à partir du deuxième semestre de l'année suivante, après une année et demi de baisse à deux chiffres. En 2007, les recettes des exportations ont atteint 5,18 milliards de dinars, en hausse de 16,3% en comparaison avec l'année précédente, selon un bilan du Centre technique du textile et de l'habillement (CETTEX). Ces performances ont permis à la Tunisie de reconquérir sa place de 5ème fournisseur de l'Union européenne en habillement. La tendance haussière des exportations se confirme depuis le début de l'année en cours: la valeur des exportations a en effet atteint 1,8 milliard de dinars au cours des quatre premiers mois de l'année 2008 contre 1,6 milliard de dinars durant la même période de 2007, Selon le CETTEX. La valeur des importations des intrants a, en revanche, enregistré une baisse notable, se limitant à 1,2 milliard de dinars durant la période sous revue. Conséquence: l'excédent de la balance commerciale du secteur s'est élevé à 689,7 millions de dinars au cours des quatre premiers mois de l'année, contre 568,3 millions durant la même période de l'année écoulée, soit une hausse de 21,4%. Ainsi, le taux de couverture a gagné 9,5 points, passant de 147,6 à 157,1%. La reprise des exportations est essentiellement due à des efforts de montée en gamme. Battus à plate couture dans la bas de gamme, plusieurs industriels tunisiens ont réussi ces dernières années à s'engouffrer dans des niches porteuses comme celles de la lingerie fine et du textile dit intelligent, utilisé, entre autres, dans la fabrication des gilets pare-balles, des tenues d'astronautes, des combinaisons de pompiers. Le match est, pour le moins, inégal avec l'ogre chinois dans les produits bas de gamme. En effet, le salaire horaire minimal est de 0,7 euro en Tunisie contre 0,4 euro en Chine. Malgré ces résultats globalement satisfaisants, les industriels et les autorités de tutelle n'ont pas tendance à dormir sur les lauriers. L'enjeu n'est pas mince. Avec pus de 2000 entreprises, le secteur représente 40% des exportations tunisiennes et constitue le deuxième pourvoyeur de devises après le tourisme. « Malgré la reprise des exportations, les industriels tunisiens restent encore piégés dans un statut de sous-traitants anonymes très peu valorisant », constate Abdelaâziz Darghouth, PDG de la société Filtiss et industriel textile de père en fils. Pour dépasser ce statut peu enviable, un nouveau plan d'action triennal 2008-2010 vient d'être adopté dans le cadre de la stratégie nationale de promotion du secteur du textile-habillement. Ce nouveau plan prévoit notamment le lancement prochain d'un programme pilote pour faciliter le passage progressif de la sous-traitance à la co-traitance, c'est-à-dire à la fabrication des produits finis de marque locale. Pour faciliter cette transition, une batterie de mesures a été décidée. Il s'agit de l'adhésion de 350 entreprises textiles au programme national de mise à niveau, de 750 unités à l'outil ITP (Investissement Technologique Prioritaire) et de 135 autres entreprises au Programme National de Qualité d'ici 2010. Outre, le renforcement des programmes des centres de formation professionnelle spécialisés, la création d'une école des métiers du textile au sein du CETTEX est, par ailleurs, prévue par les autorités. Cette école devrait enseigner des spécialités pointues tels le finissage, le modélisme et le stylisme dans le souci de développer des marques locales. « Le secteur du textile-habillement tunisien est plus que jamais appelé à s'affranchir des industriels occidentaux pour développer leurs propres marques à l'instar de leurs confrères européens et plus récemment turcs et marocains. Cette politique constitue aujourd'hui le meilleur rempart contre les chocs conjoncturels », estime M. Darghouth. Tout un chacun sait en effet qu'à l'exception des l'enseigne Mabrouk (mode femme et enfant) et des classiques prêt-à-porter masculin Moncef Barcous et Makni, aucun des articles proposés dans les vitrines des boutiques tunisiennes n'est de marque locale. Copyright photos : Moncef Barcous - Tunisie Walid Chedly