En chaque début d'année, nous formulons un certain nombre de promesses que nous nous proposons de tenir. Généralement, de ces promesses nous n'en réalisons rien, surtout quand elles exigent une volonté de fer : arrêter de fumer, faire du sport, modérer sa consommation d'alcool, commencer à prier, etc. Au niveau de l'Etat, on agit différemment, en évitant de formuler une résolution appelée à ne pas être tenue. C'est dommage ! Car, il y a des résolutions qui, si on les appliquait, renfloueraient grassement les caisses de l'Etat pour plusieurs années et feraient de la Tunisie, la Suisse de la Méditerranée, de l'Afrique et du Monde arabe. Egalité devant le fisc Nul ne peut le nier : les Tunisiens ne sont pas égaux devant le fisc. Certains accomplissent mensuellement et annuellement leur devoir fiscal, d'autres font tout pour y échapper. Et ils réussissent ! Les premiers sont généralement les salariés (du public et du privé) et les entreprises tenant à être en règle envers l'Etat et envers eux-mêmes. Question de civisme ! Les seconds sont représentés par un pan de quelques professions libérales, mais aussi par les fripiers, les vendeurs de la casse automobile, les intermédiaires du commerce parallèle, etc. Hélas ! Et comme l'a récemment souligné le Premier ministre en personne, ne pas payer l'impôt cela fait partie de notre culture. On distingue alors différents stratagèmes : sous déclaration de l'impôt sur les sociétés, sous déclaration des revenus (quelques médecins, avocats ou architectes en font une spécialité), fraude à la TVA avec la vente sans facture, fraude à la CNSS (sous déclaration des salaires des employés ou absence totale de déclaration), etc. En bref, plus qu'une culture, ça devient un sport. Inutile de vous rappeler que, chez nous, le sport pèse nettement plus que la culture. Commerce parallèle Nul ne nie le fait que le commerce parallèle fait également partie de notre culture. Les acteurs du commerce parallèle étaient jadis appelés des vendeurs à la sauvette et proposaient des babioles à quelques millimes. De nos jours, le commerce parallèle est réglementé (admirez le paradoxe !) et les vendeurs à la sauvette ne se sauvent plus devant les agents de l'ordre. On les a même réunis dans des « centres commerciaux » géants (Souk Moncef Bey, Sidi Boumendil, souk de l'Ariana, etc.) au bon milieu des vendeurs légaux qui paient leurs impôts. Différence de taille : les vendeurs à la sauvette d'autrefois vendaient des babioles pour quelques centaines de millimes, les vendeurs à la sauvette, qui ne se sauvent plus de nos jours, vendent des téléviseurs plasma, des GSM high tech, etc. et réalisent des chiffres d'affaires quotidiens (le terme journaliers ne sied pas, ce serait indécent) de plusieurs dizaines de milliers de dinars. Autre différence qui découle de la première : les vendeurs d'hier couraient derrière le bus pour rentrer chez eux (ils habitaient des gourbis) et faisaient leurs emplettes auprès des usines. Ceux d'aujourd'hui roulent en 4X4, résident dans de luxueuses villas et font leurs emplettes en Chine, en Thaïlande et à Hong-Kong. Point commun entre les acteurs du commerce informel d'hier et d'aujourd'hui : ils n'accomplissent pas leur devoir fiscal et ne déclarent ni d'impôt sur le revenu (pas le réel en tout cas) et encore moins d'impôt sur le bénéfice. Vente conditionnée Je vous invite à faire l'expérience et à vous mettre, comme des centaines de milliers de nos compatriotes, dans la peau d'un dindon. Allez dans un salon de thé de Tunis, d'Ennasr ou des Berges du Lac. Demandez la carte, commandez un café et faites attention au manège qui s'en suit. Sur la carte, le prix du café tourne autour de 1,2 dinar. A la commande, on vous exige la consommation d'un gâteau ou d'une bouteille d'eau minérale (les vieilles carafes ont rendu l'âme depuis des lustres). Si vous déclinez la proposition, on vous invite, avec un regard méprisant, à aller consommer ailleurs. Certains vous apportent cependant votre boisson, mais on vous tend ensuite une addition sur laquelle est inscrit un café de marque italienne à 2,5 dinars. Si vous rouspétez, on vous dira que l'on ne sert pas de café "local", mais uniquement du café de cette marque italienne dont le nom est devenu synonyme d'arnaque. Si vous menacez d'appeler le contrôle économique, on se moquera de vous. Les brigades de contrôle économique ne font plus peur aux gérants de salons de thé depuis des lustres. Ces salons de thé acceptent volontiers de payer l'amende (si amende il y a) puisque le montant est loin d'être dissuasif. Un tenant de café témoigne : « Nous avons été verbalisés trois fois en 2008 et la dernière amende était de 2.000 dinars. Nous n'avons toutefois rien changé à nos habitudes, les amendes représentent des pacotilles devant les recettes générées par cette vente conditionnée ». Les résolutions pour renflouer les caisses Pour renflouer les caisses de l'Etat, il faudrait aller chercher l'argent là où il se trouve : chez les riches. Pas les riches déclarés et bien fichés dans les recettes des Finances, mais les nouveaux riches à la sauvette qui roulent en 4x4 en déclarant le Smig comme revenu. Il suffirait d'envoyer un contrôleur d'impôts à toute personne qui s'achèterait un bien d'une certaine valeur alors que sa déclaration d'impôt sur le revenu lui permet à peine de remplir un caddie dans un supermarché. Dans la foulée, on enverra nos inspecteurs consommer des cafés dans les salons de thé et réviser à la hausse les amendes pour les récidivistes. En d'autres termes, il s'agit d'obliger les "mauvais citoyens" à accomplir leur devoir à l'égard de la communauté et à agir comme des citoyens civilisés dans un pays civilisé : payer leurs impôts, arrêter de voler le fisc, cesser la vente conditionnée Parions que les dettes de la Tunisie s'évaporeront dans les cinq années à venir et que les citoyens se sentiront, enfin, égaux et, surtout, civilisés. Rappelons, pour finir, que tout cela ne représente que quelques résolutions pour 2009 et que, comme chacun sait, les résolutions sont faites pour ne pas être tenues !