Le Ramadan est prévu dans quelques jours et, dans quelques jours, les chaînes de télévision vont commencer leur flot habituel, excessif et exagéré de publicités. Des publicités qui nous inciteront à consommer, à acheter des produits qui deviendront indispensables à notre quotidien et à bousculer les budgets les mieux serrés. A vider les portefeuilles des bons pères de familles. Entre l'été et ses vacances, le Ramadan et ses soirées, l'Aïd et ses vêtements et la rentrée scolaire et ses fournitures, ce bon père de famille sera lessivé, essoré et asséché. Et c'est tant mieux ! Tant mieux ? Ben oui, tant mieux ! Que le père de famille soit asséché, après toutes ces épreuves, est une bonne nouvelle, voire même excellente. Et pourquoi, diriez-vous ? Et bien quand un père de famille est asséché, il ira voir son patron pour lui demander une avance sur salaire ou son banquier pour un petit découvert. Dans un cas comme dans l'autre, ce bon père de famille deviendra docile et obéissant n'ayant plus le courage de rouspéter, de jouer aux syndicalistes et aux gauchistes. Quand un père de famille est asséché, c'est qu'il a dépensé son fric dans l'économie, ce qui aura créé de la croissance et de l'emploi. Que ce père de famille épargne son fric dans son matelas et toute notre économie s'écroule. S'il met son fric dans un matelas, il ne peut plus acheter de yaourts et s'il n'achète plus de yaourts, l'usine de yaourts ferme ses portes et licencie son personnel. Entre-temps, elle aura arrêté de faire de la publicité à la télé qui, à son tour, ne pourra plus acheter et/ou produire des sitcoms et des débilités. Si le bon père de famille n'est pas asséché, tout le monde va être au chômage et adieu la croissance. En bref, un bon père de famille asséché, cela fait le bonheur de tout le monde : politiques, banquiers, commerçants, industriels, hommes d'affaires, artistes Et ne vous fiez surtout pas à la mine triste et grisonnante du bon père de famille asséché, car ce n'est qu'un masque présenté à la galerie. Dans son for intérieur, ce bon père de famille est heureux comme un bébé. Aux anges même. Il s'est endetté à mort pour acheter sa maison sur vingt ans. Il s'est rendetté pour acquérir sa 4cv ou sa Renault Symbol. Sa voiture, il l'utilisera pour aller dépenser ce qui lui reste de son salaire et celui de son épouse dans des vacances d'une semaine à Hammamet (ou Nabeul) et des soirées aux festivals de Carthage (ou Hammamet). Ses primes, il les consacrera aux cartes de recharge téléphone pour ses paroles en l'air et les méchouis de poissons en plein air. Arrive le ramadan, il n'y a plus de salaire et plus de primes. Pas de problème ! On fait des avances sur les primes, pour garnir les tables de rupture du jeûne et les mkhareq des soirées d'après-rupture du jeûne. L'Aïd ? Le bon père de famille n'ira pas à la fripe, mais chez Zara et Zen où il fera ses emplettes grâce à une avance sur le 13ème. Quant à la rentrée scolaire, ses fournitures seront payées par le biais du rouge autorisé par sa carte bancaire. Si avec ses vacances, ses soirées, ses bouffes et ses fringues toutes neuves (en plus de sa propriété immobilière et sa voiture populaire), le bon père de famille n'est pas heureux et oppose un regard triste, ce n'est certainement pas à cause des difficultés et la cherté de la vie. L'argument, toujours brandi, est tout simplement fallacieux ! Un bon père de famille asséché est un homme heureux, tout comme les politiques, banquiers, commerçants, industriels et autres cités plus haut. Tout le monde est donc heureux, mais il se trouve que ce bonheur généralisé ne sied pas à quelques uns de nos fonctionnaires qui nous rabâchent, depuis des décennies, leurs slogans révolus. Des slogans qui se résument en une phase : rationnalisez la consommation. En tête de ligne de ce radotage, l'ODC, organisation censée défendre le consommateur ! Défendre le consommateur contre sa propre volonté de consommer, de téléphoner, de passer l'été pieds dans l'eau, d'aller aux festivals, de garnir sa table de Ramadan, d'acheter des vêtements neufs et signés, etc !! Mais que veulent donc ces fonctionnaires appelant, chaque année, à la rationalisation de la consommation ? Réduire le bonheur des bons pères de famille, politiques, banquiers, commerçants, industriels et autres cités plus haut ? Réduire la croissance du pays ? Augmenter le chômage ? Partout dans le monde, on appelle à l'augmentation de la consommation pour garantir la croissance et l'emploi. Mais en Tunisie, certaines voix appellent à l'inverse ! Pis encore. Non seulement, ce discours est en contresens total, sur le plan économique, politico-économique et macro-économique, mais en plus il est en contresens sur le plan social ! Le Tunisien ne conçoit pas son bonheur sans sa maison, sans sa voiture, sans ses vacances, sans ses vêtements neufs, sans sa table garnie. Partant de cette règle immuable, le fait de demander au Tunisien de rationnaliser sa consommation revient à l'appeler à être malheureux ! La seule chose qu'on devrait (d'urgence) rationnaliser, ce sont ces campagnes inaudibles, aujourd'hui, où le Tunisien a connaissance, grâce aux chaînes satellitaires et à Internet, aux discours modernes en matière de communication publique adressée aux citoyens.