La période à venir, pour l'opérateur téléphonique Tunisie Telecom, est délicate. Très délicate, voire la plus délicate de son histoire. Entre les syndicats qui s'apprêtent à une série de grèves, la concurrence de plus en plus rude et de plus en plus armée, l'introduction en bourse et ses exigences de transparence et le programme d'infrastructure de l'Etat (actionnaire principal de l'opérateur), rien n'a été facilité pour Montassar Ouaïli et son équipe. Comment donc vont-ils affronter la période orageuse à venir ? Et quels sont les défis à relever ? Il est bien révolu le temps où Tunisie Telecom avait le monopole et dictait sa loi aux usagers. Retards, coupures, dérangements, files d'attentes, tout y passait et l'usager n'avait que ses yeux pour pleurer en attendant des jours meilleurs chez l'opérateur. Ces jours meilleurs sont arrivés. L'usager s'appelle désormais client et, bon an mal an, on essaie de le traiter comme tel. On ne fait plus jouer les interventions pour obtenir une ligne téléphonique et on n'attend plus des semaines et des mois pour voir une équipe venir réparer un dérangement. Sur le papier, le client de Tunisie Telecom est chouchouté et traité comme un roi. Sur le terrain, il en est autrement, car tous les agents de l'opérateur n'ont pas encore saisi qu'ils sont en train d'évoluer dans un terrain fortement concurrentiel et que cette ère de concurrence a ses exigences. Ces agents, généralement quinquagénaires, fonctionnent à un rythme différent et plus lent que celui des nouvelles recrues. La majorité de ces nouvelles recrues est en effet diplômée de l'enseignement supérieur et entend hisser son entreprise au meilleur niveau. Mais elle se confronte malheureusement au freinage des anciens, habitués à travailler doucement le matin et pas trop vite l'après-midi. Conflit de générations ? On y est ! Ajoutez à cela les différences de salaires entre ceux qui ont toujours travaillé chez Tunisie Telecom et ceux désignés par l'actionnaire émirati et vous avez alors une idée de l'ambiance actuelle, loin d'être saine, chez Tunisie Telecom. Un plan social s'impose et semble être incontournable pour que l'opérateur atteigne ses objectifs. Mais pas uniquement pour les raisons précitées. Comparé à ses concurrents, Tunisie Telecom emploie énormément de gens. Plus de 7000 salariés pour 7 millions d'abonnés. Soit un agent pour 1000 abonnés. En face, Tunisiana emploie 1500 personnes pour 6 millions d'abonnés, soit un agent pour 4000 abonnés. La Direction générale de Tunisie Telecom s'est donc résolue à envoyer à plusieurs de ses salariés une note dans laquelle elle précise que « dans le cadre du souci d'assurer une plus grande capacité concurrentielle de l'entreprise lui permettant la pérennité et la sauvegarde de ses acquis, elle met à la disposition de ses employés titulaires l'opportunité d'adhérer au programme facultatif de départ spontané du travail » en contrepartie d'incitations matérielles fortement encourageantes. Une indemnité cash pouvant atteindre 15.000 dinars en plus d'une indemnité mensuelle est proposée aux agents de plus de 50 ans souhaitant quitter l'entreprise avant l'âge légal de la retraite. Et ces agents continueront à bénéficier de tous les avantages en nature alloués comme s'ils étaient toujours en activité (unités de GSM, gratuité de la connexion au réseau de l'ADSL , prestations de la Mutuelle et de l'assurance maladie…). Outre les problèmes liés aux ressources humaines, Tunisie Telecom se doit d'affronter une concurrence de plus en plus rude. Orange Tunisie entend conquérir le marché en mettant à profit toute son expérience acquise un peu partout dans le monde. Objectif visé : 22,5% de parts de marché dans les quatre ans. Quant à Tunisiana, confortablement assise à la position de leader de marché (53% à elle seule), elle n'entend nullement se laisser rattraper. Si Orange bénéficie de son aura internationale et Tunisiana d'une image des plus sympathiques (notamment auprès du grand public), il en est autrement pour Tunisie Telecom qui continue à traîner cette image de l'opérateur public d'antan, notamment auprès de la grande masse qui le constate au quotidien dans plusieurs agences Actel. Tout est par conséquent fait pour redorer le blason de l‘entreprise. Une nouvelle marque jeune a été créée (Elissa) et on a fait appel à un mastodonte de la publicité (Havas) qui a commencé par changer le logo. Les premiers visuels de Havas sont d'ailleurs sortis et on ressent la différence avec cette nouvelle image moderne et incisive. Sauf que voilà, effacer une mauvaise image est toujours plus difficile que d'en créer une nouvelle. Le travail de Havas exigera donc un certain temps pour donner des effets concrets sur les ventes. Une constante dans tout cela : la clientèle à forte valeur ajoutée (professions libérales, hommes politiques, homme d'affaires) qui demeure assez fidèle à Tunisie Telecom grâce à une panoplie de services toujours innovants et le souci de ne pas changer de numéro pour ne pas perdre de contacts. A son actif, les prestations servies à cette clientèle de prestige au sein des agences réservées aux entreprises. L'abonné y sent vraiment la qualité de service optimal, on est à son écoute, on lui propose des solutions (plutôt que des produits) et on le chouchoute. Pour maintenir cette qualité, l'opérateur se doit d'être au diapason de la technologie, ce qui n'est pas toujours le cas. Ainsi, il n'a pas encore de services de téléphonie de 3ème génération, contrairement à Orange et ce pour des raisons législatives. Il entend, en ce sens, combler le retard dès la fin janvier en entamant la commercialisation de ses produits 3G. Non seulement Tunisie Telecom devra affronter Orange (qui a une petite longueur d'avance et une grande expérience sur ce terrain), mais il devra aussi compter sur l'octroi de la 3G à Tunisiana qui, avec ses 53% de parts de marché, n'aura qu'à greffer de nouveaux services à ses clients existants plutôt que d'essayer d'en ramener d'autres. Last but not least, l'associé de Tunisie Telecom (l'émirati DIG) veut céder une partie de ses actions en bourse. De fait, cette introduction oblige le management à adopter les techniques rigoureuses de gestion et de communication, telles qu'exigées par les marchés boursiers. De même, il doit s'exposer totalement à ses concurrents, transparence oblige. Et pour pouvoir lever des fonds, il se doit d'améliorer ses ratios. C'est-ce qui explique l'opération de restructuration qui a mené à envoyer la note de départ volontaire au personnel. En dépit de la polémique et des grèves que cette décision va déclencher. C'est-ce qui explique aussi la révision des tarifs du fixe, lequel serait déficitaire, alors qu'un peu partout dans le monde les communications de fixe à fixe sont gratuites. En dépit, là aussi, de la polémique déclenchée auprès de certains clients qui considèrent cette révision, non pas comme une unification avantageuse des prix, mais comme un quintuplement pur et simple des tarifs à l'unité. Avec tous ces boulets, l'opérateur a une obligation que ses concurrents n'ont pas : répondre au programme de l'Etat en matière d'infrastructure. Quand il doit faire rentrer le fixe, l'ADSL ou la fibre optique dans une région particulière, ou dans une zone industrielle, il ne doit pas se soucier de rentabilité. En tant qu'opérateur public, il se doit d'épouser les programmes gouvernementaux. Autant de chantiers menés en parallèle par le management qui a, avouons le, une rude tâche sur les bras. Des chantiers qui ne plaisent pas à tout le monde, naturellement, et les premiers à crier au scandale sont les syndicats. Ils s'opposent à tous ces chantiers ou, du moins, à leur majorité. Les préavis de grève devraient se suivre et la première d'entre-elles sera observée le 19 janvier prochain, annoncent-ils. Ambiance ! Comment convaincre ces syndicats de l'anachronisme de leurs doléances et de la nécessité d'assurer la pérennité de l'entreprise en lui offrant une meilleure capacité concurrentielle ? C'est là un autre chantier sur les bras de Montassar Ouaïli qui, s'il réussit, ne pourra sortir que grandi de toutes ces épreuves. Il en a la carrure et il lui sera indispensable d'en avoir les capacités et, surtout, le courage. Nizar BAHLOUL