Après la Constituante, la présidence de la République, la désignation d'un chef de gouvernement, la Tunisie vient d'être dotée, officiellement, d'un gouvernement dit « d'intérêt national » dont la liste, composée de 42 membres, vient d'être présentée à Moncef Marzouki avant d'être soumise, aujourd'hui, jeudi 22 décembre 2011,à l'Assemblée nationale constituante pour approbation. Certaines remarques s'imposent à l'issue de la déclaration de Hamadi Jebali, laquelle s'est limitée aux grandes lignes et à de bonnes intentions sur les divers plans politique, économique, social et culturel. On notera, pour l'histoire, l'absence de deux membres du nouveau gouvernement à cette séance de la Constituante, en l'occurrence Sihem Badi et Houcine Dimassi. Une première lecture de la nouvelle formation gouvernementale, telle que présentée par Hamadi Jebali fait ressortir qu'elle ne diffère que très peu de celle donnée par les fuites. Et même sa réduction à 48 puis, finalement, à 42 membres, n'a été, en définitive, qu'un jeu d'écriture puisqu'en comptant les 4 ministres conseillers, ils seront 46 membres, correspondant à peu près aux chiffres précédemment annoncés. En effet, ces ministres conseillers seront « interdits » de siéger au Conseil, juste pour plaire au CPR qui, par l'intermédiaire d'AbdelwahabMaâter, a menacé de ne pas faire partie du gouvernement si Habib Essid, chargé du dossier de la sécurité, était maintenu dans la liste officielle! Il reste néanmoins certain que le ministère de l'Intérieur a été scindé en deux. Une partie confiée à Ali Laârayedh et portant sur les collectivités locales et les affaires administratives et une seconde ayant trait aux aspects sécuritaires proprement dites et qui seront entre les mains de Habib Essid. Ce même gouvernement comporte de nombreuses spécificités qui ne sont pas, malheureusement, positives. En effet, excepté le maintien des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité entre les mains de leurs deux titulaires sous Béji Caïd Essebsi, la répartition de tous les autres postes a été faite pour des considérations partisanes sous forme de partage d'un gâteau. L'autre point « sombre » est la quasi absence de l'élément féminin. Avec 3 femmes seulement dans l'équipe gouvernementale, nous sommes trop loin des quotas espérés par les femmes qui ont été, toujours, à l'avant-garde de la lutte contre l'ancien régime dictatorial sans oublier que le pays compte de nombreuses compétences féminines reconnues. On relèvera que, officiellement, le gouvernement compte 19 membres appartenant à Ennahdha, 6 au CPR, 6 autres à Ettakatol et 11 indépendants. Or, à voir de plus près, on constate qu'un bon nombre de ces indépendant sont de tendance islamiste avérée. Il faut dire que les partis « vainqueurs aux élections pour la Constituante, semblent être grisés par leur élection et par la « légitimité » populaire, du reste très relative, octroyée par les urnes. Et du coup, ils ont oublié plusieurs donnes importantes et essentielles. Tout d'abord, excepté Ennahdha –et encore – qui a remporté 99% de ses siège haut la main, tous les élus des autres partis, plus précisément les deux alliés d'Ennahdha au sein de la Troïka, ont fait leur entrée à la Constituante grâce aux fameux « restes ». Des fois, il a fallu plus de 70 mille voix à Ennahdha pour remporter 2 ou 3 siège alors qu'un reste de 5 ou 6 mille suffisait à Ettakatol ou au CPR pour en décrocher un ! L'exemple le plus édifiant est celui de Moncef Marzouki qui a eu son siège grâce au reste de quelques 17 mille voix, ce qui a pu lui ouvrir grandes les portes du Palais de Carthage ! Les élus à la Constituante semblent avoir oublié, aussi et surtout, que leur mission essentielle pour laquelle ils ont eu les suffrages du peuple est de confectionner la future Constitution, l'adoption du nouveau système politique et autres codes, et particulièrement le code électoral. Ainsi, depuis la proclamation des résultats, nous assistons à une bataille, devenue « rangée » pour certains, en vue d'arracher un « strapontin » dans l'équipe gouvernementale. Or, un ministre ou un secrétaire d'Etat devrait travailler 14 heures par jour pour espérer gérer convenablement son département. Autrement dit, quand est-ce qu'il va participer aux travaux de la Constituante pour l'élaboration des textes de la Constitution ?! A cela, il faudra ajouter que tous les futurs ministres ne représentent pas les meilleurs candidats possibles aux postes qu'ils vont occuper, ignorant, de la sorte, la règle de « l'homme qu'il faut à la place qu'il faut ». Avec une armada de juristes et de médecins, les partis de la Troïka proposent ce qu'ils ont de mieux, mais ils restent loin des qualités et des compétences requises. D'ailleurs le numéro 2 d'Ettakatol et futur ministre des Affaires sociales, Khelil Ezzaouia, médecin professeur, sommité dans sa spécialité, a reconnu que les ministres du prochain gouvernement ne possèdent pas l'expérience adéquate et qu'ils vont apprendre sur le tas. Mais à ce rythme là, le temps que les nouveaux ministres apprennent leur nouveau métier et se familiarisent avec les rouages de la gestion, les 12 ou 18 mois seront passés avant qu'ils ne puissent entreprendre le travail en profondeur tant souhaité. Mais pourquoi, donc, cette prise de risque ? La Tunisie postrévolutionnaire, a plutôt, besoin d'un gouvernement de technocrates et de hautes compétences – et non de politiciens – pour pouvoir relever les challenges auxquels notre pays est confronté. Nous avons l'impression que la distribution des chaises a été faite sur la base des seuls critères – ou presque – des années passées en prison, du degré de militantisme sous la dictature de Ben Ali et des insultes adressées au régime de Ben Ali et à sa famille. La Tunisie n'est pas un laboratoire pour que des néophytes y viennent apprendre la gestion d'un Etat. Le pays a besoin de compétences capables de raisonner sans passion et de poser les problèmes d'une manière rationnelle pour espérer les résoudre. Imaginons, un seul instant, la Tunisie gouvernée, de mars à décembre 2011, par la formation gouvernementale qui se trouve aux portes du palais du gouvernement à La kasbah ! D'autre part, on croyait que seul Marzouki passait maître dans l'art de la prise dedécisions spectaculaires, juste pour s'attirer les applaudissements de la galerie, comme celle de l'annonce de la vente aux enchères des palais présidentiels comme s'il s'agissait de ses propriétés privées. Nous sommes certains que cette annonce a été faite sans mûre réflexion et sans avoir pensé aux modes d'application d'une pareille mesure. D'ailleurs, en l'espace d'une semaine, M. Marzouki n'a pris aucune décision d'Etat digne de ce nom. C'est dire que l'homme semble fonctionner encore en tant que militant et non en tant qu'homme d'Etat, de surcroit à la tête de la magistrature suprême. On ne gère pas un pays par des actions populistes, « tape à l'œil », ou avec de la passion et de l'émotion. Surtout pour une Tunisie confrontée à des défis et à une situation des plus précaires où la priorité doit être donnée aux volets sécuritaire et économique. Or, Hamadi Jebali a surpris le peuple tunisien avec les surprises qu'il lui prépare, dont notamment celle qu'il a révélée, à savoir que les membres de son gouvernement vont faire don d'une partie de leurs salaires. Quelle générosité ! Quand on a un double, voire un triple revenu (salaire à la Constituante, salaire en tant que ministre ainsi que les recettes pour ceux qui ont des cabinets d'avocat ou de consulting ou encore de médecin), on peut se permettre une telle largesse. Mais peut-on nous dire que va-t-on faire avec ces quelques millions par les temps difficiles que traverse le pays ? Le pays a besoin d'autres décisions et de réformes profondes et non pas d'annonces démagogiques qui n'ont qu'un simple effet symbolique. En dépit de toutes ces remarques et ces critiques, il n'en demeure pas moins qu'il est fortement souhaitable que la prochaine formation gouvernementale démente ces appréhensions et réussisse dans son œuvre de redressement et de réalisation des vrais objectifs de la révolution en assurant aux Tunisiens l'emploi, la dignité, l'amélioration du pouvoir d'achat, le droit au travail et le droit à une justice neutre et transparente. Noureddine HLAOUI