«La priorité absolue pour le moment, n'est ni le chômage, ni la crise économique, ni le développement, mais plutôt la sauvegarde de l'essence même de la révolution, à savoir les valeurs morales», telles sont les paroles du nouvel homme fort du Congrès pour la République, Abderraouf Ayadi. Déjà 3 mois que l'Assemblée nationale constituante a été élue et l'élaboration de la Constitution – première vocation de ses membres - n'a pas avancé d'un pouce. Mais les questions sur l'Islam et les valeurs de la nouvelle Tunisie arabo-musulmane semblent être la grande urgence du moment. Si on concède au parti islamiste son approche teinte de religiosité (pour ne pas dire endoctrinement) à laquelle il doit l'adhésion de bon nombre de ses électeurs, que penser quand un parti, à l'origine laïc et de gauche, veut devenir plus royaliste que le roi ? Certes, l'Islam politique fait recette et semble attiser les foules. Il suffit de jeter un œil sur les pays arabes ayant connu des révolutions faisant chuter les dictatures en place. Mais le Congrès pour la République, fondé par un farouche défenseur des Droits de l'Homme, apparaît aujourd'hui de plus en plus comme une sorte d'OPNI (objet politique non identifié), comme certains s'amusent à le qualifier, qui se dérobe aux règles élémentaires d'appartenances politiques. Un parti que certains présentent comme étant social démocrate et qui est, à l'image de son fondateur, plus nationaliste que de gauche. Moncef Marzouki, pierre angulaire du parti délaisse ce réseau pour accéder à la magistrature suprême. Sans son leader, le CPR semble ne plus savoir où donner de la tête et se retrouve livré à lui-même. Si le Congrès pour la République refuse toute catégorisation idéologique, il se définit aujourd'hui, libéré de l'image de son ancien leader, comme un front de républicains de divers courants. « Un front dont les composantes ne sont liées que par des affinités politiques et non pas par un crédo ». Mais une ligne « claire et cohérente » ne tardera pas à se faire connaître. Un homme, et pas des moindres, vient prendre la relève et donner, ainsi plus de sens aux orientations quelque peu schizophrènes du parti. Il s'agit d'Abderraouf Ayadi qui incarne, à lui tout seul, une ligne idéologique des plus tranchées. Celui que certains observateurs considèrent comme étant un dissident au sein du CPR, ne tardera pas à afficher la couleur. Au lendemain des élections du 23 octobre, Abderraouf Ayadi déclare que la dénomination des « Aigles de Carthage », nom donné à l'équipe nationale de football, ne serait qu'un « signal subliminal adressé aux Tunisiens pour leur faire oublier leur origine arabo-musulmane ». Il propose ainsi de les rebaptiser «chevaliers de Oqba Ibn Nefaâ», une appellation qui serait selon lui «plus en adéquation avec l'histoire de la Tunisie et de ses origines». Une déclaration anecdotique certes mais qui en dit long sur ce personnage tranché. L'idéologie du nouvel homme fort «par intérim» du CPR trouve une application des plus étonnantes dans une vidéo, datant de mai 2011 et qui a refait surface sur la toile, il ya quelques jours. Cette vidéo montre Abderraouf Ayadi, en invité d'honneur, à une conférence organisée par des salafistes appartenant au courant du jihadiste Seif Allah Ibn Hussein. Une apparition qui ne semble pas gêner le moins du monde Abderraouf Ayadi qui déclare même, sur les ondes de Shems Fm, «n'être nullement embarrassé par cette vidéo». Bien au contraire, il affirme «être honoré par la jeunesse salafiste qui lui a rendu hommage en signe de reconnaissance envers sa personne pour les avoir soutenus». Une déclaration sans détour par laquelle le secrétaire général «sortira du placard» et donnera une nouvelle image aux orientations du CPR, virant plus vers l'islamisme que la gauche social-démocrate. Cette complicité avec les salafistes donne du sens à une célèbre déclaration de Marzouki du temps de sa lutte contre Ben Ali: «L'ennemi de mon ennemi est mon ami». Il est important de rappeler que le CPR s'est allié avec les islamistes depuis 2003, à travers la signature de la «déclaration de Tunis», avec Ennahdha, qui ne fait plus mention de laïcité. Chose que beaucoup de compagnons de route de Moncef Marzouki ne lui ont pas pardonné. Même si l'ennemi commun qui avait lié les deux mouvements - d'appartenances diamétralement opposées - a disparu, un nouveau crédo semble les unir aujourd'hui: le pouvoir! Un pouvoir qui permet aux cadres du CPR, en l'occurrence Abderraouf Ayadi, de se placer ouvertement contre ceux qu'ils qualifient de «modernistes déracinés». «Modernistes déracinés» contre lesquels la violence ne semble pas le déranger outre-mesure. En effet, lors de l'agression de Hamadi Redissi, le secrétaire général du CPR condamne la violence, mais ne manque pas d'affirmer que «c'est la source de la violence qu'il faut condamner», accordant ainsi une certaine marge de manœuvre contre ceux qu'il qualifie d'«islamophobes». Cet homme aux discours réactionnaires ne rate pas une occasion pour fustiger les modernistes tunisiens et qualifie même la langue française de «choix culturel qui nous a été imposé pour faire passer la pilule de la normalisation avec Israël». Une démagogie que reprend, également, Omar Chettoui et semble même un de ses plus grands adeptes. Rappelons l'intervention, plutôt controversée, de Omar Chettoui pour «remettre à sa place» une Karima Souid, membre d'Ettakatol de la circonscription France 2, qui a «osé» employer la langue française lors d'une intervention au sein de l'Assemblée nationale constituante. Une intervention des plus spontanées au cours de laquelle il a brandi l'éternelle «identité arabo-musulmane» et déclaré le plus naturellement du monde: «nous refusons la francophonie». Une idéologie d'appartenance arabo-musulmane que Moncef Marzouki n'a pas cessé de brandir haut et fort pendant la campagne électorale pour le scrutin du 23 octobre, comme pour préparer le terrain à son élection et court-circuiter ainsi «la vieille gauche laïcarde et francophone, totalement déconnectée des vrais problèmes de la société tunisienne». Le populisme semble porter ses fruits au sein du CPR à tel point que ses membres le marient à toutes les sauces. Autre intervention notable, celle de Sihem Badi, ministre de la Femme. Loin des préceptes de l'identité arabo-musulmane, Mme Badi se déclare ouvertement « en faveur du mariage coutumier » qu'elle considère comme « une liberté personnelle ». Une déclaration sur laquelle elle se rétracte par la suite et qu'on ne pourra donc pas retenir contre elle. Le ministre de la Femme n'hésite cependant pas à recevoir Amrou Khaled, islamiste égyptien star des chaînes moyen-orientales en justifiant cette visite par « la popularité » de ce dernier. La dernière visite du très controversé Wajdi Ghenim, également connu comme le défenseur de l'excision, n'a pas suscité de réaction chez les cadres du CPR et notamment du ministère de la Femme, qui n'a pas levé le petit doigt pour condamner les pratiques dont ce dernier fait l'apologie. Si les hauts cadres d'Ennahdha se sont déclarés «prêts à former une alliance avec le Congrès pour la République de Moncef Marzouki […] puisque ses opinions ne sont pas éloignées des nôtres», ce mariage de raison semble bien faire recette. Les œillades faites par le parti au pouvoir n'ont pas laissé de marbre le CPR. Contraint de se lier aux laïcs, Ennahdha semble vouloir changer de camp toute une idéologie. Une affaire pas si ambitieuse en réalité, puisque le CPR, lui-même, s'engage dans cette voie, le plus naturellement du monde. Une alliance contre-nature certes mais que les adeptes placent sur le compte de l'intérêt national, mais aussi de celui de l'affirmation religieuse et identitaire des Tunisiens. Si Ennahdha tente aujourd'hui de se débarrasser d'une image d'islamisme radical qui ne l'avantage pas, le CPR, en faveur d'un choix populiste des plus décomplexés, opère un virage islamiste sans détour…