La Tunisie est passée, de l'avis de tous les observateurs, à côté d'une catastrophe nationale aux conséquences aussi imprévisibles que désastreuses pour l'avenir du pays qui espère traverser cette deuxième étape transitoire d'après la révolution du 14 janvier 2011 dans les meilleures conditions et dispositions afin d'amorcer le nouveau décollage de la Deuxième République sur des bases saines et solides de démocratie, de libertés d'expression, de respect des droits de l'Homme, de sécurité et de développement économique générateur de croissance et de création d'emplois. A l'origine, une exposition au Palais Abdellia, dont certaines œuvres ont été considérées par des esprits « malades et refoulés » comme étant blasphématoires et portant atteinte au sacré. Sans entrer dans les méandres des détails techniques et artistiques des toiles concernées et sans oublier de mentionner que certains tableaux « incriminés » sont carrément inexistants, il y a lieu de souligner des faits accablants pour ceux qui ont voulu exploiter ce Printemps des Arts en orchestrant une vaste et machiavélique campagne de manipulation, ce qui a fait régner, sur tout le pays, un climat de psychose et de terreur. Résultat : une ambiance chaotique dans plusieurs régions du pays dont notamment le Grand Tunis, Jendouba et, surtout, Sousse et Monastir, deux zones touristiques par excellence. Le comble de l'absurde est que plusieurs membres du gouvernement - les nahdhaouis cela s'entend - ont tout fait pour trouver des justificatifs et explications à ce qui s'est passé, le bloc parlementaire d'Ennahdha allant jusqu'à réclamer l'institution d'une loi incriminant l'atteinte au sacré. Même Ali Laârayedh, ministre de l'Intérieur, a dans un premier temps devant la Constituante, manié le bâton et la carotte vis-à-vis des salafistes tout en privilégiant davantage la thèse des nostalgiques de l'ancien régime et des criminels récidivistes. Heureusement qu'il y a eu ce sursaut et cette mobilisation des partis progressistes et de la société civile qui ont mis le holà pour faire reculer le département de l'Intérieur, probablement tancé par l'Armée nationale, pour proclamer le couvre-feu nocturne sur 7 gouvernorats et la délégation de Ben Guerdane. Et même si l'on n'accepte pas de gaité de cœur une pareille décision, cette mesure a eu le mérite de rassurer les citoyens. Mais ce n'est pas fini. Au moment où les Lotfi Zitoun, Noureddine Khademi et autre Abdelkrim Harouni poursuivaient leurs théories théoriciennes pour la défense du sacré, voilà que Rached Ghannouchi, en personne, sort de son silence pour stigmatiser la prétendue atteinte au sacré et, surtout, lancer un appel à manifester dans tout le pays pour la journée du vendredi, sachant que d'autres groupes salafistes et des partisans de la Chariâa ont appelé à des marches de colère, voire de soulèvement populaire du Nord au Sud de la Tunisie. Que les « apprentis » du parti Ennahdha tiennent des discours démagogues et, parfois, irresponsables, cela pourrait, à la rigueur, être compris, mais que le « patron » fasse preuve d'une aussi grossière erreur d'appréciation, cela donne à réfléchir sur l'avenir du pays laissé entre les mains d'amateurs de la politique. Là aussi, il a fallu des tractations dans les coulisses et des déclarations à l'accent dramatique de personnalités démocrates et responsables pour que le ministère finisse, au dernier moment, par annoncer officiellement qu'aucune manifestation n'est autorisée pour ledit vendredi, y compris celle à laquelle a appelé le cheikh d'Ennahdha. Des mesures salutaires, surtout si l'on sait que l'escalade était à un point tel que certaines personnalités n'ont pas hésité à faire appel à Rachid Ammar pour prendre les rênes du pays en mains pour le sauver de la « somalisation ». Et du coup, la tension est retombée de plusieurs crans, mais certains « apprentis » du parti islamique au pouvoir (dont Walid Bennani…) continuent à persister et signer, publiquement, sur les antennes des radios télévisions, qu'il y a eu atteinte au sacré et que cheikh Rached avait raison de lancer son appel, avant de mettre en exergue, selon leur vision, sa sagesse et son sens de la retenue plaçant l'intérêt supérieur du pays au-dessus de toute autre considération. Tout en se félicitant du désamorçage de la tension, certaines remarques s'imposent d'elles-mêmes. Les émeutes qu'il y a eu dans la nuit du lundi au mardi ont surpris par leur simultanéité, leur synchronisation, leur ampleur ainsi que par les cibles choisies et les moyens utilisés pour causer le maximum de dégâts. Et pour la journée du vendredi, on a constaté qu'aucun mouvement n'a été signalé, ce qui prouve, si besoin est, le haut degré d'organisation et de discipline de ces groupuscules et leur capacité à mobiliser leurs troupes dans un sens comme dans un autre. Ceci nous ramène à mettre en doute les thèses de certaines formations politiques dont notamment des Nahdhaouis, concernant l'implication majeure des anciens RCDistes et autres professionnels du crime. En tout état de cause, la Tunisie l'a échappé belle. Nous ne voudrions pas imaginer ce qui serait advenu au cas où les marches auxquelles avaient appelé Hizb Ettahrir, les partisans de la Chariâa et Cheikh Rached, surtout, avaient eu lieu. Le danger est, certes, écarté, mais on craint que ce ne soit provisoire, d'où l'impératif de rester vigilants et de maintenir la pression de la société civile sur le pouvoir afin qu'il ne cède pas, à son tour, à la pression des extrémistes. Car il ne faut pas oublier les appels publics au meurtre à l'encontre d'Ahmed Néjib Chebbi, d'Issam Chebbi et de certains artistes. Ces derniers développements tragiques nous placent devant une triste réalité : la Tunisie est gouvernée par une pléthore d'amateurs qui n'ont pas le sens de la stratégie et des affaires de l'Etat et dont le souci majeur est de se maintenir aux commandes du pays faisant fi des vrais intérêts de la Tunisie qui a fait sa révolution pour d'autres objectifs et autres idéaux que ceux prônés par des groupuscules obscurantistes.