Des interrogations légitimes ont fusé de toutes parts suite à l'annonce du rapporteur général de la commission chargée de la Constitution, Habib Khedher, renvoyant l'adoption de la Constitution au mois d'avril 2013. Une telle affirmation signifie qu'il n'y aura pas d'élections en mars 2013, malgré les multiples affirmations des trois présidences. En effet, même Marzouki, partisan, au départ, d'une durée de trois ans pour l'élaboration de la Constitution, a finalement plaidé pour des élections dans le proche avenir. Et puis, au vu des rémunérations qu'ils touchent, les membres de la Constituante ne semblent pas pressés d'achever leur mission de sitôt. Qu'en est-il au juste ? S'il est vrai que les débats au sein des commissions constitutionnelles ont traîné le pas avant d'achever leurs travaux en accouchant d'un brouillon, parfois bâclé, tous les observateurs sont unanimes à dire que c'est en raison d'absence d'une volonté politique de parvenir à un consensus entre les belligérants de la scène. En effet, pour avoir la conscience tranquille et devant la pression accrue exercée sur eux, les membres des commissions ont pondu des brouillons avec, parfois, deux projets différents voire diamétralement opposés concernant un même thème. Ce n'est pas un hasard si les constituants nahdhaouis de la commission des juridictions sont revenus sur le consensus initial obtenu au sein de ladite commission concernant la problématique de l'indépendance du Conseil supérieur de l'autorité judiciaire. Il est clair que c'était en rapport avec les derniers débats sur le statut de la magistrature au sein de l'Assemblée. Par ailleurs, ce n'est pas l'unique différend qui avait surgi au devant de la scène ces derniers temps. La question du projet de l'article 28 sur la ‘complémentarité' de la femme a été également soulevée après avoir adopté les projets des articles 21 et 22 qui parlent d'égalité dans l'absolu entre les sexes. A travers de tels gestes, la Troïka gouvernante et, notamment Ennahdha, cherche à détourner l'opinion publique des véritables problèmes qui secouent le pays et dont les événements de Sidi Bouzid constituent une expression réelle. La ville de Sidi Bouzid traduit l'échec gouvernemental de répondre aux exigences de l'étape actuelle. Les programmes officiels ne sont pas parvenus à résoudre les maux des régions défavorisées qui ont été à l'origine de la révolution du 14 janvier 2011. Plus de dix-huit mois après la révolution et dix mois après les élections, le gouvernement issu de la Constituante, et non des urnes (avant les élections, tout le monde parlait de la formation d'un gouvernement de technocrates et de compétences pour gérer la seconde phase transitoire), n'est pas parvenu à mettre en place une politique claire et cohérente de développement qui tranquillise les citoyens et les met en confiance par rapport à leur avenir. « Ce qui nous dérange le plus, c'est l'absence d'une feuille de route claire pour notre avenir », a souligné aujourd'hui même, le secrétaire général de l'Union régionale du travail de Sidi Bouzid. « Le peuple tunisien a fait la révolution pour la dignité et la liberté. Il se retrouve après dix-huit mois à subir les mêmes torts de la part du régime de la révolution », s'est indigné Jaouhar Ben Mbarek ce matin du mardi 14 août à Sidi Bouzid, en faisant allusion aux personnes arrêtées en marge des contestations de la semaine écoulée. La situation prévalant actuellement en Tunisie appelle à des interrogations en raison d'absence de rendez-vous clairs pour les échéances politiques. En effet, rien n'est clair à ce niveau. La Troïka gouvernante et, spécialement, les islamistes d'Ennahdha ne parviennent pas à glisser leurs formules détournées en raison de l'opposition farouche de la société civile et des partis démocrates de l'opposition. Ainsi, la Tunisie est encore au point mort. Ce n'est pas un hasard si l'Instance supérieure des élections n'a pas encore vu le jour, pas plus que la commission provisoire de la magistrature ou des médias. Le chef du gouvernement parle d'élections pour mars prochain alors que l'Assemblée ne bouge pas pour former l'administration électorale. Comment pourrait-on y parvenir ? Même chose pour la magistrature, Ennahdha est carrément contre l'indépendance du Conseil qui va gérer le pouvoir judiciaire. Pourtant, Jebali et Ghannouchi n'ont cessé d'affirmer leur attachement à l'indépendance de la magistrature. C'est toujours le même double langage cher à Ennahdha. Il est clair qu'ils ne veulent pas avancer s'ils ne sont pas sûrs de la réussite aux élections. En face, l'opposition ne parvient pas à se rassembler. Nidaa Tounes met certes ses structures en place en attendant les prochaines échéances électorales. En attendant, il se place en observateur critique qui ne veut pas se mêler au pouvoir. Le parti de Béji Caïd Essebsi joue l'attentisme. Par contre, cette attitude n'est pas partagée par le Parti républicain qui appelle à un gouvernement de salut national, un gouvernement réduit, dont le nombre des membres est limité, dirigé par une personnalité nationale consensuelle, et qui compte dans l'accomplissement de ses fonctions sur des compétences dont le talent est reconnu dans les différents secteurs. Selon Néjib Chebbi, ce gouvernement sera chargé de mettre en exécution un programme de salut axé sur le développement régional urgent, l'emploi, la lutte contre la cherté de la vie et le rétablissement de la sécurité et de la stabilité. Un gouvernement qui sera appuyé d'une façon ou d'une autre par les principales forces politiques représentées à l'Assemblée constituante, loin de tout quota ou hégémonie partisane, et sans dénier la légitimité électorale. Ce gouvernement ne va pas inverser l'équation de fond en comble, mais il va envoyer des messages d'assurance aux investisseurs locaux et étrangers, et un message d'espoir à la jeunesse en colère. Grâce à ces messages, il sera à même d'atténuer le niveau de tension sociale et de baliser le terrain au rétablissement de la sécurité et au retour des investissements. Les forces politiques pourront, sous ce gouvernement, s'atteler pleinement à la rédaction de la Constitution et préparer la prochaine échéance électorale, qui dotera le pays d'institutions politiques pérennes et déterminera sa direction pour une longue période. L'idée de Chebbi n'est pas à rejeter. Mais la Troïka ne veut pas lâcher le pouvoir. C'est plutôt le moment pour la société civile de se dresser contre toutes les velléités d'instaurer une dictature déguisée. Crédit dessin : Dilem, Liberté-Algérie Mounir Ben Mahmoud