J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'interview de Chedly Ayari, Gouverneur de la Banque Centrale, ce matin sur Express FM (cliquer ici). Il est certain que je ne dispose ni de l'expertise, ni du savoir-faire, ni de l'intelligence de Chedly Ayari, cependant, les arguments et justificatifs qu'il a présentés ont intrigué le « profane » que je suis. Cette émission était réservée aux décisions récemment prises concernant les crédits à la consommation et les raisons qui ont poussé la BCT à geler, ou plus exactement soumettre les banques à des mesures draconiennes en ce qui concerne les crédits à la consommation. Chedly Ayari a justifié son objectif de geler les crédits à la consommation par le fait (1) que le volume des importations ait augmenté en citant l'exemple des voitures, des solutions capillaires et des lunettes, et (2) que le pays manquait de liquidités, que le nombre de chèques impayés avait augmenté. Si les chiffres et justificatifs présentés par Chedly Ayari sont indiscutables car factuels, la relation de cause à effet n'est pour moi, pas évidente. Il me semble que les solutions préconisées ne seront pas efficaces car déconnectées de la réalité. Je m'explique. Si le nombre de chèques impayés a augmenté, cela est principalement dû à deux facteurs essentiels : (1) le manque de liquidités en circulation ainsi que (2) la législation relative aux chèques impayés devenue, après la révolution, assez laxiste et les sentences appliquées n'encourageant pas vraiment à limiter le recours aux chèques impayés. Il est vrai que l'amélioration du niveau de liquidités ne doit pas se faire par le recours à la planche à billets car cela ne fera qu'augmenter l'inflation. Seul le gouvernement peut améliorer la situation en terme de liquidités en circulation et de chèques impayés et ce en devenant un bon payeur. En effet, « l'Etat est un mauvais payeur », dixit Elyes Fakhfakh lors d'un déjeuner débat du CJD tenu il y a quelques jours. Les délais de paiement du gouvernement dépassent parfois les six mois ! Les entreprises qui ne sont pas payées, manquent de trésorerie, ne paient pas leurs fournisseurs voire leur personnel, et ainsi de suite. Il suffirait d'une décision gouvernementale de payer sans délais tout encours et la roue économique reprendra, le niveau d'impayés et d'endettement diminuera et la consommation reprendra. Même si cela nécessite un endettement de l'Etat, cet endettement pourra être assez rapidement remboursé car l'Etat fait partie des créditeurs des entreprises et bénéficiera donc de rentrées d'argent. Concernant les importations et le gel des crédits à la consommation, les exemples présentés ne sont pas convaincants et sont déconnectés de la réalité. L'achat de lunettes est avant tout dicté par un impératif de santé et a pour conséquence une incidence indirecte sur l'économie tunisienne, car un employé qui voit mieux a un meilleur rendement. Ces lunettes comportent aussi un fort taux d'intégration vu que la majeure partie des verres optiques vendus en Tunisie sont fabriqués en Tunisie et que les opticiens sont eux-mêmes tunisiens. Ainsi, un équipement optique complet (verres + montures) peut comporter un taux d'intégration tunisien de l'ordre de 75%. De plus, l'achat de lotions capillaires ou de lunettes ne se fait pas sur la base de crédits à la consommation et il semblerait qu'il n'existe pas d'opticiens ayant souscrit à des conventions avec les banques pour vendre leurs lunettes avec facilités. Bien au contraire, la pratique la plus courante chez les opticiens comme chez les vendeurs d'habillement, de chaussures, ou autres est le recours aux chèques antidatés et c'est le commerçant lui-même qui assure le financement du crédit et en assume le risque. Limiter les crédits à la consommation peut n'avoir aucune incidence directe sur ces importations. Concernant les voitures, il est important de voir que la Tunisie, depuis plusieurs décennies maintenant, a imposé, aux différentes marques, des quotas d'importation calculés sur la base des exportations de composants automobiles. Ceci a permis d'attirer en Tunisie plusieurs fabricants de composants automobiles incités pour cela par leurs clients. Limiter les importations de voitures reviendra à dénoncer ces accords et à diminuer le volume d'exportation des composants automobiles grevant encore plus la balance commerciale. Maintenant, il serait important de voir qui a recours au crédit à la consommation et pour quel usage. A priori, les crédits à la consommation accordés par les banques le sont principalement pour des biens d'équipement et de l'investissement. Il existe, certes, des crédits personnels tels que les crédits immédiats où le bénéficiaire n'a pas à justifier l'usage qui sera fait de ce crédit, cependant la majeure partie de ces crédits est utilisée pour l'achat d'électroménager, pour la réfection de maisons, etc… Et les banques se sont généralement attachées à associer ces crédits pour des besoins spécifiques. Le bâtiment et l'électroménager sont principalement des produits fabriqués en Tunisie et à valeur ajouté tunisienne. Il est important de voir la part du chiffre d'affaires des vendeurs d'électroménager réalisée par le recours du financement bancaire justement par le crédit à la consommation. Geler le crédit à la consommation revient à geler l'activité du secteur de l'électroménager (entre autres activités) car si le magasin ne vend pas, l'industriel ne vend pas et toute la chaîne est bloquée. Enfin, Chedly Ayari a considéré l'amélioration du niveau des exportations comme indépendante de notre volonté, quasiment comme une fatalité, car notre marché de prédilection, l'Europe, est en perte de vitesse. Au risque de le contredire, il est important de relever que la Tunisie a une grande part de responsabilité quant à la baisse des rentrées en devises par le biais des exportations et il n'y a qu'à voir les problèmes rencontrés par le tourisme en raison des problèmes de sécurité, des touristes qui sont restés cloitrés dans leurs hôtels et des annulations enregistrées après l'attaque de l'ambassade américaine. Et le tourisme n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Cependant, ce problème de sécurité auquel s'ajoutent bien d'autres ont engendré de mauvaises notations souveraines, une fermeture d'unités industrielles étrangères, une baisse des IDE et une chute des exportations. Tout cela ne fait que confirmer que certains des gouvernants de notre pays sont déconnectés de la réalité et quelles que soient leurs compétences, ils ne peuvent préconiser les solutions idoines. En effet, le développement des exportations permettra d'améliorer la balance commerciale et le niveau des réserves en devises sans trop alourdir le fardeau du citoyen. Mais cela nécessite de la volonté et la réalisation du bon diagnostic afin de prendre les mesures idoines. C'est comme si on voulait assassiner la classe moyenne alors que c'est une des caractéristiques de la Tunisie moderne.