Cela fait quand-même 15 jours que le CPR et Ennahdha, via leurs soldats des médias et des réseaux sociaux, n'ont pas parlé du lobbyiste Kamel Letaïef. C'est étrange ! Il n'y a pas si longtemps, c'était comme le chewing-gum qu'on sortait à tous les coups pour nous dire que le bonhomme était la menace suprême pour tout le pays. Le filon étant trop gros, on a alors sorti celui des salafistes. Celui-ci étant épuisé depuis le 14 septembre, on a fait ressortir celui des Ligues de protection de la révolution. Celui-ci semble à son tour s'épuiser avec la grosse polémique de l'UGTT. On ne devrait plus entendre parler de sitôt de ces LPR. Enfin, j'espère… Qu'est-ce que nos gouvernants vont donc imaginer pour nous maintenant ? Il s'agit, pour eux, de trouver des « lobbyistes » capables de nous dicter ce qu'on doit penser et pour qui on doit voter de gré, sinon de force. Un homme d'affaires tunisien et bien introduit dans les milieux associatifs, économiques et politiques, Mohamed Ali Mankaï (à qui j'emprunte le titre de la chronique) a son idée et vient de tirer la sonnette d'alarme quant à ces lobbyistes que personne ne dénonce. Voilà ce qu'il écrit sur sa page Facebook à propos de ce nouveau danger qui va menacer le quotidien tunisien dans les jours et semaines à venir. Son texte s'intitule « le cinquième pouvoir rampant ». « Les récentes sorties en fanfare des imams représentent non seulement une entorse aux lois en vigueur mais aussi une véritable menace à la transition démocratique. Ces sorties sont bénies par Ennahdha et son sinistre des affaires religieuses, ex animateur de rencontres RCD. Entorse aux lois en vigueur : les imams étant fonctionnaires, ils sont tenus de respecter l'obligation de réserve et la neutralité des mosquées. Ils ont tout à fait le droit de parler de la chose publique mais partant de la morale religieuse et sans jamais citer les partis et les organisations. En haranguant les foules, en menant des manifestations politiques en leur qualité d'imams, ils se mettent tout simplement hors la loi et ouvrent une brèche qu'il sera très difficile de colmater dans le rapport de l'appareil de l'Etat (et donc des fonctionnaires) à la politique. Menace à la transition démocratique : le principe même de l'Etat civil qui fait l'objet d'un consensus va être remis en cause. En agissant de la sorte, ils sont en train de constituer pernicieusement un cinquième pouvoir qui n'a nullement sa place dans un Etat civil moderne. Ce dernier représente un compromis intelligent entre les laïcs et les islamistes. Les laïcs admettent à contre cœur que, dans notre contexte, l'Etat ne peut pas être mis à l'écart des affaires religieuses. Il lui revient notamment la responsabilité de l'administration des mosquées et de l'enseignement religieux. Mais de là à laisser libre champ aux imams de se constituer en un cinquième pouvoir, cela nous ramène de facto à un Etat théocratique où les imams tirent les ficelles du jeu et détiennent le vrai pouvoir, des "Kamel El Taief" (pour schématiser à ceux qui ne peuvent pas comprendre) en puissance. » Le parallèle qu'a fait M. Mankaï entre les imams de mosquées et Kamel Letaïef est significatif à plus d'un titre. Ce qu'on a toujours reproché au lobbyiste est qu'il tirait certaines ficelles du jeu. Or, nos chères LPR, n'ont jamais dénoncé les lobbyistes qui gravitent autour des partis au pouvoir, qui les financent et obtiennent, en retour, quelques avantages. Et ces mêmes LPR n'ont jamais dénoncé les imams qui jouent le jeu d'Ennahdha tout en étant payés par le contribuable. D'autres lobbyistes rôdent dans les écoles et dans les administrations et font le même travail au profit du parti au pouvoir. Autant de parties qui, comme Kamel Letaïef, sont en train de « parasiter » le paysage politique, sans que personne ne les dénonce. Ce que l'on a tendance à oublier (ou faire oublier), cependant, est que ce travail de lobbying existe dans toutes les démocraties. Et les religieux, en cela, ne font pas exception. Dans plusieurs pays européens ou aux Etats-Unis, l'Eglise continue à jouer un rôle important dans le paysage politique. Et dans leurs prêches du dimanche, on n'est pas étonné de voir les prêtres favoriser un candidat par rapport à un autre. Reste qu'il y a une différence de taille entre « eux » et « nous ». C'est que chez « eux », tout cela est réglementé et l'Eglise ne se fait pas payer par le contribuable. En Tunisie, puisque c'est cela qui nous intéresse, il est anormal de construire une démocratie (à l'occidentale) avec autant de dés pipés : une société qui mêle le politique au religieux, des lois archaïques et une justice qui ne fonctionne pas normalement. Tant que celle-ci est aux ordres de Noureddine Bhiri, tant que plusieurs lois (anciennes) n'ont pas été retirées et remplacées par d'autres, plus actuelles et conformes à la période, aucune démocratie ne peut s'établir. Du moins selon le sens universel du terme démocratie. Que les imams de mosquées fassent le lobbying d'Ennahdha, que Kamel Letaïef fasse le lobbying de Nidaa Tounes (ou d'Al Joumhouri), que Nasr Chakroun fasse le lobbying de Moncef Marzouki (et d'Abderraouf Ayadi), ils sont libres, c'est leur affaire. Mais que leur lobbying se fasse sans notre argent. Qu'ils le fassent sans profiter, en retour, d'une licence télé ou radio et sans obtenir des marchés publics. Qu'ils le fassent selon des règles et des lois clairement définies. Or, jusqu'à présent, on est en train de voir des lobbyistes (plus ou moins puissants) agir en toute sérénité, sans que la justice ne trouve rien à redire. Et c'est normal puisqu'il n'y a pas une loi réglementant cela. Faute de loi, et afin d'assurer le succès de cette période de transition, il est impératif que l'on somme ceux qui profitent d'un quelconque avantage de l'Etat (matériel ou en nature) d'arrêter leur manège. Les imams, en premier lieu, puisqu'ils agissent en toute impunité et manipulent l'opinion publique au profit d'un parti politique qui (à la base) n'a pas le droit, légalement parlant, d'utiliser la religion. Ennahdha, étant au pouvoir, n'a, bien entendu, aucun intérêt à faire cesser le manège des imams. Et c'est là où le bât blesse, car le parti islamiste est en train de tout faire pour rester au pouvoir, y compris en usant de méthodes « peu catholiques » et quitte à faire échouer une période très complexe et déterminante de notre Histoire. Les Moncef Marzouki, Abderraouf Ayadi et LPR qui crient sur tous les toits, à qui veut bien les entendre et les croire, défendre la révolution ne s'occupent naturellement pas de ces vrais dangers. Ils préfèrent le populisme des lois d'exclusion visant à écarter leurs futurs adversaires et chercher les poux aux lobbyistes du camp adverse.