Déposé depuis le 15 mai 2012 par 10 députés du bloc parlementaire du CPR à l'Assemblée nationale constituante, le projet de loi visant « l'assainissement du barreau et du corps de la magistrature », n'a pas manqué de susciter la controverse. Contesté aussi bien pour des raisons de fond que de forme, les gens de la profession ainsi que des ministres et députés y pointent du doigt une certaine ingérence, empreinte de populisme, dans les affaires de la magistrature et du barreau. Ce projet a été rejeté en bloc par le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) et l'Association des magistrats tunisiens (AMT) ainsi que par l'Ordre national des avocats, l'accusant de vouloir « s'emparer du rôle naturel et historique de la magistrature et des structures d'avocat, en tant que profession libre et indépendante ». Alors, réalisation des objectifs sacro-saints de la révolution ou simple « folie législative » ? Lors du débat instauré à l'Assemblée nationale constituante le 17 janvier 2013, par la commission « droits et libertés », en présence des ministres de la Justice et de la Justice transitionnelle, les critiques font ressortir deux idées maîtresses de cette proposition : une ingérence dans les affaires de la magistrature et une volonté de règlement de comptes. Elle a même été qualifiée de « folie législative » par Samir Ettaïeb, député du bloc démocratique à l'ANC L'assainissement de la magistrature, des deux côtés du barreau, a longtemps été le cheval de bataille du Congrès pour la République (CPR). On évoque souvent les termes d'« épuration » et d'« assainissement », chez les partis de la Troïka, plus particulièrement au CPR et Ennahdha. Des notions poussant à l'amalgame et prêtant à équivoque, puisque souvent associées aux pratiques de certains régimes fascistes. Elles laissent transparaitre, également, les plans du parti face à ce secteur qu'il juge « trop corrompu, dans sa totalité », sans preuves tangibles. Une logique « révolutionnaire », qui pourrait être aisément attribuée à du populisme. A travers ce projet de loi, le CPR propose, entre autres, de constituer une commission de 11 membres - magistrats, avocats et spécialistes du droit - élus à la majorité absolue de l'ANC, avec pour tâche de trancher dans les dossiers des juges soupçonnés d'abus et de corruption. Une « enquête minutieuse », établie au cas par cas par ladite commission, permettra de rendre des jugements de radiation à vie d'un juge ou d'un avocat ou même sa traduction devant la justice. Sur la base de cette enquête, toute personne refusant de fournir des données ou documents réclamés lors des investigations, se voit condamnée à deux ans de prison. Cinq, si le refus a été formulé dans le but de protéger le juge ou l'avocat suspect. Cette commission bénéficierait, en effet, de toutes les prérogatives habituellement attribuées au juge d'instruction et ne reconnaît aucun secret professionnel ou procédures d'obtention d'autorisation préalable. Des voix se sont élevées, lors de la présentation de ce projet de loi, pour reprocher les pouvoirs « incommensurables » accordées à cette commission. Samir Dilou, ministre de la Justice transitionnelle, a ainsi dénoncé des prérogatives « qui dépasseraient même celles du chef du gouvernement ». Une commission, au pouvoir absolu, et dont la tâche serait, selon ses dires, plus tournée vers une mission de reddition des comptes que vers une démarche de réforme globale. Une commission jugée « politisée » et dont rien ne garantit la neutralité, regrette l'Ordre des avocats ainsi que l'Association des magistrats tunisiens. En effet, Kalthoum Kennou précise, dans une déclaration accordée à Shems Fm, qu'il est « aberrant » qu'une commission constituée de membres de l'Assemblée nationale, puisse évaluer le travail des magistrats étant donné que sa neutralité est impossible à garantir. L'Ordre national des avocats, dans un communiqué en date du 16 janvier 2013, estime que cette commission, investie de tous les pouvoirs, s'emparera du rôle naturel et historique de la magistrature et des structures d'avocat, en tant que profession libre et indépendante et représente « une défiguration des principes de la justice transitionnelle, instrumentalisée à des fins politiques partisanes et restreintes ». Un rôle qui serait, selon le Syndicat des magistrats tunisiens, l'apanage de l'Instance provisoire de la magistrature qui doit actuellement jouer le rôle du Conseil supérieur de la magistrature. Le CPR se défend et soutient que ce projet de loi serait un « impératif de la réalisation des objectifs de la révolution », une urgence qui s'impose face au retard des procédures de la justice transitionnelle dont les initiatives se font désirer. « Ceux qui usent d'un discours populiste pourraient bien provoquer des catastrophes », soutient Samir Dilou, favorable à une justice transitionnelle s'appliquant à tous et à tous les secteurs. Si la corruption n'est certes pas propre au domaine de la justice, mais propagée à toutes les institutions de l'Etat, une telle loi serait davantage du ressort de la justice transitionnelle que d'une commission dont rien ne garantit la neutralité. Le CPR, prétendant vouloir éradiquer le mal par la racine, souhaiterait « épurer » ce secteur dans une initiative qui ressemblerait davantage au règlement de comptes. Une commission, dont l'objectivité est largement mise en cause, comme la souligné l'Ordre des avocats, craignant que la réforme de ce secteur ne tombe dans une instrumentalisation politique, à des fins partisanes étroites…propres au CPR.