Par Selim Ben Abdesselem, élu à l'ANC S'il fallait désigner l'homme de la fin de la semaine écoulée comme de ce début de semaine, je voterai Lotfi Ben Jeddou. En effet, après les dramatiques événements de Chaâmbi, qui ont vu des hommes des forces de l'ordre mutilés lors des interventions et qui resteront à jamais des héros nationaux, les syndicats de la profession ont donné un tour plus offensif au mouvement qu'ils avaient entamé depuis des mois, appelant les autorités à la fermeté la plus stricte et à donner aux forces de l'ordre des moyens à la hauteur de la difficulté et des dangers de leur mission. Et force est de constater que le nouveau ministre de l'Intérieur, M. Ben Jeddou, semble avoir adopté ce langage de fermeté tant attendu en le traduisant en actes, autant dans ses propos tenus devant l'ANC que dans les décisions qu'il a eu à prendre. Ferme dans ses propos, M. Ben Jeddou ne s'est pas contenté, comme son prédécesseur, de dire que la loi devait être appliquée. Rappelons que ce prédécesseur aujourd'hui chef du gouvernement ne s'est jamais expliqué sur les raisons pour lesquelles les forces de l'ordre n'étaient pas intervenues à temps le jour des événements de l'ambassade américaine ou pourquoi elles n'avaient pas reçu l'ordre d'arrêter Abou Iyadh, chef des salafistes jihadistes, que l'ont savait retranché à la mosquée du Fatah en plein Tunis, celui-là même qui déclare maintenant la guerre aux forces de l'ordre qu'il qualifie d'impies (« taghout ») ? On se souvient aussi que certains voyaient en ceux-là «leurs enfants » qui leur rappelaient leur jeunesse... Bien obligés de dénoncer aujourd'hui les actes de terrorisme qui touchent toute une Nation, ils n'ont jamais fait preuve de la moindre fermeté lorsqu'il s'agissait de déloger ces fanatiques des endroits où ils les avaient laissé s'imposer comme à Sejnane ou ailleurs, contribuant ainsi à l'affaiblissement voire l'anéantissement de l'autorité de l'Etat. Tranchant avec ce laxisme complice, M. Ben Jeddou, lui, est même allé jusqu'à se prononcer en faveur de l'application de la loi anti-terroriste existante tant qu'elle n'avait pas été modifiée. Un tabou est donc tombé. Mais que dire d'autre lorsque l'ont voit que les terroristes de Chaâmbi reçoivent le soutien affiché de salafistes jihadistes ou disposeraient de complicités au sein même de la population ? Le Ministre a également pris les devants en imposant désormais que, conformément à la loi, toute réunion sur la voie publique fasse l'objet d'une demande d'autorisation 72 heures à l'avance, le ministère se réservant le droit de refuser et les demandeurs pouvant bien entendu agir en justice contre un refus. C'est dans ces conditions que les forces de l'ordre ont dû déloger, dans plusieurs villes et parfois par la force, des rassemblements non autorisés de prêches du courant jihadiste en pleine rue. Le fait est que pour les initiateurs de ces rassemblements aucune autorisation ne peut être demandée à un pouvoir impie pour effectuer des prêches et donc appliquer un commandement divin ! Dans certains cas, les forces de l'ordre ont dû faire face à des réactions violentes et des cocktails Molotov ont été découverts. C'est là le résultat de plusieurs mois de laxisme gouvernemental qui ont fait que ces alliés assumés du terrorisme ont pu s'exprimer librement, alors que les forces de l'ordre se sentaient délaissées par ce même pouvoir resté parfois inerte malgré les avertissements répétés des policiers quant à ce qui allait inévitablement arriver. Aujourd'hui, les syndicats des forces de l'ordre demandent à être entendus et ne lâcheront pas prise. Ils demandent à ce que leur professionnalisme et leur expérience soient pris en considération, allant même jusqu'à réclamer l'inscription dans la constitution du principe d'« autonomie opérationnelle » des forces de sécurité par rapport au pouvoir politique, afin de ne pas être otages d'ordres de non-intervention (surtout s'ils visent à préserver des protégés du pouvoir…) dans des situations où une action serait nécessaire pour le maintien de l'ordre. Ils demandent aussi, outre des revalorisations salariales largement justifiées pour une profession devenue à grand risque, à ce que la loi leur apporte une protection digne de ce nom en opération et en vue de leur assurer, ainsi qu'à leur famille, une prise en charge médicale et sociale en cas d'accident du travail ou d'invalidité, scandaleusement inexistante dans la loi actuelle. Ces questions se sont aujourd'hui imposées et elles ne laissent aucune échappatoire au pouvoir car elles concernent ceux qui sont aujourd'hui en première ligne dans la défense de la population. De plus, l'opinion qui leur était en partie hostile au lendemain de la Révolution en raison de l'image laissée par la police de l'ancien régime est sans doute aujourd'hui en train de se retourner en leur faveur sous l'effet du laxisme coupable des nouveaux gouvernants. Vendredi dernier, les syndicats de policiers ont déployé les grands moyens lors de leur manifestation devant l'ANC. Ils ont été reçus et entendus par les députés. Leur nouveau ministre apparaît à leur écoute et décidé à agir faute de quoi il a affirmé qu'il démissionnerait, sachant que, vu l'indépendance et la détermination dont il a fait preuve en si peu de temps, l'effet d'une telle démission serait dévastateur pour la crédibilité du gouvernement et de son chef. Une question demeure : aura-t-il les moyens de sa politique ? Une condition à cela : que la population ne perde pas une occasion de manifester son soutien à ce ministre qui, peut être, s'avérera être l'homme de la situation et à ces forces de l'ordre et à ces forces armées pour qui tout geste de soutien est ressenti à sa mesure.