La publication du projet de Constitution, le 1er juin 2013, a suscité des réactions diverses dans le paysage politique tunisien. Entre partisans et opposants au projet, le parti Al Joumhouri s'est distingué par une réaction pour le moins inattendue. Tous les ténors du parti sont apparus dans les médias pour défendre le projet de Constitution en rupture complète avec leurs alliés politiques, qui, eux, refusent le projet. A quoi joue Al Joumhouri ? Ahmed Néjib Chebbi, Issam Chebbi et Maya Jeribi se sont succédé sur la scène médiatique tunisienne pour défendre le projet de Constitution présenté le 1er juin par l'ANC. Ahmed Néjib Chebbi a assuré que toutes les conclusions du dialogue national figurent dans ce projet de Constitution et que les libertés et les droits sont protégés en vertu de ce texte. Maya Jeribi n'a pas hésité à vanter les mérites du projet de Constitution qui « assure l'essence de la démocratie et n'entrave pas la voie transitionnelle ». Les leaders d'Al Joumhouri se démarquent ainsi de leurs alliés au sein de l'Union Pour la Tunisie qui ont déclaré ouvertement refuser ce projet de Constitution. Cette position est d'autant plus étonnante si on se remémore la position de parti Al Joumhouri par rapport à certains articles du précédent brouillon de Constitution. Le 28 mai dernier, à la sortie d'une réunion entre les secrétaires généraux des partis composant l'UPT, Maya Jeribi avait déclaré que l'article instituant l'Islam comme religion d'Etat était « très controversé ». Elle avait ajouté à la même occasion que l'article limitant l'âge pour se présenter à l'élection présidentielle est « anti-démocratique ». Ces deux articles figurent toujours dans le projet de Constitution, pourtant, ils ne semblent plus déranger autant les leaders du parti Al Joumhouri. Les représentants d'Al Joumhouri défendent le projet de Constitution en admettant qu'il y a tout de même quelques failles qui seront réparées, selon eux, lors des réunions plénières de l'Assemblée. Toutefois, ces mêmes représentants balaient d'un revers de main la question épineuse et conflictuelle des dispositions transitionnelles, entièrement écrites par Habib Khedher selon les élus de la commission de coordination et de rédaction de la Constitution. Pour les représentants d'Al Joumhouri, ce projet de Constitution garantit le minimum et il est inutile de perdre encore plus de temps en chamailleries. Il est plus judicieux d'accepter ce projet de Constitution et de mettre fin à la phase transitoire pour que « le tourisme et l'investissement reviennent en Tunisie ». Ahmed Néjib Chebbi et ses acolytes semblent donc se soucier de la situation économique du pays à tel point qu'ils seraient prêts à accepter une Constitution défaillante. Pourtant, Ghazi Gheraïri, éminent expert en droit constitutionnel, avait expliqué que les dispositions transitionnelles pouvaient permettre à l'actuelle Assemblée de prolonger ses travaux après les élections. De son côté, Kais Saïed a affirmé que le projet de Constitution sous sa forme actuelle ne servait qu'à légitimer le pouvoir. Alors jusqu'où peuvent aller les concessions qu'Al Joumhouri est prêt à faire sur la Constitution ? Ne sont ils pas en train de dire : « Si vous voulez de l'investissement et du tourisme, il faudra céder sur quelques points de la Constitution » ? Dans son appel aux partis politiques, Ahmed Néjib Chebbi leur demande de s'élever au niveau des défis auxquels le pays fait face. Exclut-il la Constitution de ses défis ? Par ailleurs, l'attitude adoptée par le parti Al Joumhouri est en totale opposition avec celle de ses alliés au sein de l'Union Pour la Tunisie (UPT). Il est clair que cette fausse note risque de compromettre l'harmonie de la partition que tentent de jouer les partis démocrates. Al Joumhouri a fait cavalier seul sur cette question, ce sera certainement un thème important de la réunion de la haute commission de l'UPT qui doit se tenir le 6 juin. Les partis composant l'UPT devront accorder leurs violons et adopter une position commune vis-à-vis des principales problématiques de la Tunisie, c'est un minimum quand il s'agit d'une alliance politique et électorale. Par conséquent, Al Joumhouri s'est marginalisé au sein de l'opposition tunisienne et a pris le contrepied des positions de ses alliés politiques eu sein de l'UPT. Al Joumhouri est également passé outre les critiques formulées par les experts en droit constitutionnel concernant le projet de Constitution. Des questions se posent quant à la politique adoptée par le parti El Joumhouri. Ce dernier écart de conduite fera remonter à la surface de précédentes initiatives du genre comme le fait d'avoir négocié avec Ennahdha et Hamadi Jebali, de manière unilatérale, lors du remaniement ministériel que l'ancien chef du gouvernement comptait effectuer. Rappelons dans ce contexte qu'un autre couac avait été perpétré par Al Joumhouri qui avait refusé la proposition de Hamadi Jebali de constituer un gouvernement de technocrates, proposition pourtant soutenue par l'UPT. En mettant bout à bout ces événements, pourrait-on en conclure qu'Al Joumhouri ne se sent pas « à sa place » au sein de l'Union Pour la Tunisie ? Rien n'est moins sûr pour l'instant mais les velléités du parti d'Ahmed Néjib Chebbi risquent de créer une certaine discorde. Par ailleurs, le parti Al Joumhouri ne semble pas avoir les moyens de ses ambitions. Crédité de 2,1% d'intentions de vote aux législatives et de 2,6% à l'élection présidentielle en la personne d'Ahmed Néjib Chebbi, le parti Al Joumhouri ne dispose pas du poids électoral qui lui permettrait de se détacher de la locomotive que représente Nidaa Tounes. A force de vouloir faire cavalier seul, le parti Al Joumhouri risque de payer le prix fort. Chantres de l'union des forces démocratiques face à la menace d'Ennahdha, les leaders du parti semblent déserter les rangs et ne plus tenir compte des obligations imposées par l'union. Serait ce une volonté d'émancipation pour éviter de se faire voler la vedette par Nidaa Tounes et Béji Caïed Essebsi ou est-ce une simple mésentente qui sera vite réglée et dépassée ? La conférence de presse que doivent tenir les secrétaires généraux des partis du l'UPT le 6 juin apportera certainement des éléments de réponse à cette interrogation.