Mais pourquoi Ali Laârayedh est en si grand décalage par rapport aux revendications populaires et aux réalités du pays ? C'est une question que se posent des milliers de personnes et qui trouve sa réponse dans un cercle vicieux, entretenu par tout le monde, mais compris par peu de gens. Décryptage des positions d'Ennahdha et de son chef du gouvernement. On aura rarement vu Ali Laârayedh aussi présent dans les médias que durant ces derniers jours. Au plus fort de la crise politique tunisienne, il est normal que le chef du gouvernement communique de façon accrue. Toutefois, il faut aussi y voir une volonté de réaffirmer son positionnement et de marteler ses arguments quant à une éventuelle démission, réclamée par un large pan du paysage politique tunisien, du reste. Au plus fort de la contestation sociale, plusieurs sièges d'Ennahdha ont été détruits et saccagés dans certains endroits de la Tunisie, particulièrement dans la ville du Kef. Par ailleurs, les slogans anti-Ennahdha et anti-Ghannouchi ne sont plus une nouveauté tellement ils ont été répétés et ce, à plusieurs occasions. Depuis son accession au pouvoir, le parti islamiste Ennahdha savait qu'il serait la cible de beaucoup de critiques et que tous les maux du pays seraient mis sur le dos de sa gestion. Cet état de fait a préparé le parti à souder ses rangs en toute occasion et à encaisser les coups sans broncher. Cela fait deux ans que le parti islamiste est sous le feu des critiques.
Par ailleurs, l'instabilité du pays, son insécurité et la détérioration de sa situation économique sont allées crescendo avec, il est vrai, une gestion désastreuse par des personnes n'ayant ni l'expérience, ni la compétence pour gérer les affaires d'un Etat. On se retrouve avec un parti au pouvoir convaincu de sa légitimité pour gouverner le pays, d'un côté, et une majorité de la population épaulée par l'opposition qui ne cesse de critiquer, à juste titre bien des fois, le rendement gouvernemental. La conséquence première de cette situation est de conforter le parti islamiste dans sa posture victimaire. C'est la théorie du complot qui bat son plein au sein de ce parti et sa conviction d'être dans son bon droit l'aveugle quant aux réels problèmes du pays, relayés par ses contestataires. De là nait ce que l'on a souvent qualifié d'autisme du pouvoir en constatant l'acharnement que met Ali Laârayedh à garder son poste de chef du gouvernement et surtout, l'acharnement des ministres à défendre un bilan catastrophique. En pleine vague de terrorisme, le ministre de l'Agriculture, Mohamed Ben Salem, s'était vanté de l'une des réalisations de son ministère : la pastèque se vend à 300 millimes le kilo ! Edifiant…
Le 25 octobre 2013, le parti Ennahdha a tenu une conférence de presse pour relater les attaques qui ont ciblé certains de ses sièges dans plusieurs régions. Les dirigeants du parti ont également demandé à ce que tous les partis, un par un, condamnent lesdites attaques. C'est une énième manifestation du sentiment de victime du parti islamiste. Victime d'un environnement lui est profondément hostile car c'est dans cette case qu'il faut mettre les accusations contre les médias qui ne laissent pas travailler les ministres ou l'opposition « destructrice » comme les islamistes l'ont souvent qualifiée. Ennahdha ne cesse de jouer le rôle de victime prétendant que tout le monde lui veut du mal et que personne ne peut le voir réussir alors que ses ministres font tout ce qu'ils peuvent. Peut être que ses ministres et leur chef font tout ce qu'ils peuvent, mais il faut bien avouer qu'ils ne peuvent pas grand-chose.
L'autisme du pouvoir et la surdité dont il fait preuve face aux doléances de l'opposition et d'une partie de la population trouve son explication dans l'adoption d'un esprit de victime. En supposant la mauvaise volonté dans les propos et les intentions de ses adversaires politiques ainsi que de ses contestataires, Ennahdha y devient automatiquement hermétique. Plus les contestations augmentent en intensité, plus les discours se radicalisent face à cette surdité et plus la posture de victime du parti islamiste se renforce et sa conviction d'être une cible s'ancre. Conséquence : l'autisme et la surdité ne font que s'approfondir attisant ainsi le feu des critiques et des contestations. C'est ce cercle vicieux dans lequel évolue tout le paysage politique tunisien. Toutefois, un élément de première expérience est venu s'ajouter à cette équation à variables multiples : le terrorisme. Le pays est actuellement sous le feu d'une attaque globale de la part d'obscurs terroristes qui ont réussi à s'implanter en Tunisie grâce à la complicité du gouvernement au pire, ou à son incompétence au mieux. Le fait est que la Tunisie en paie le prix du sang de ses soldats et de ses agents de l'ordre. Le gouvernement actuel, ayant démontré son incompétence par un fait autre que celui des contestations de l'opposition, se doit de réaliser ses limites et de mettre un terme à l'hécatombe.
Le dialogue national qui vient de débuter est une occasion fournie sur un plateau d'argent pour Ennahdha afin de tenter de redorer son blason. Le Quartette s'est évertué, au prix d'un travail acharné, à fournir une sortie honorable à ce gouvernement. Encore faut il que celui-ci, et derrière lui Ennahdha, accepte ses conditions et les applique. Il est vrai que le dialogue national reste détaché des préoccupations majeures du pays et n'aura pas d'incidence immédiate sur les problématiques sécuritaires ou économiques et encore moins sociales. Toutefois, ce dialogue aura pour objectif de définir des délais –même serrés- et des missions pour des institutions en perdition. L'engagement transmis, aujourd'hui, par Ali Laârayedh au Quartette attestant de son intention de démissionner dans les délais impartis pourrait être un bon indicateur de la compréhension de l'ampleur du problème. Ne reste plus qu'à espérer qu'Ennahdha respectera cet engagement pris devant la nation et mettra un terme aux manœuvres et aux tergiversations, si nuisibles à un pays au bord du chaos.