Les différentes formations politiques tunisiennes ont reçu avec étonnement et, parfois avec indignation, la composition du nouveau gouvernement. C'est l'insatisfaction qui prévaut de manière générale. Certains pour ne pas avoir été associés et d'autres car aucun programme n'a été établi. Le résultat est un gouvernement qui ne jouit pas de l'assise nécessaire aux grandes réformes qui l'attendent. Imed Hammami, l'un des leaders d'Ennahdha, dans une déclaration dans l'émission « le huitième jour » le 23 janvier 2015, a dit : « Nous avons été informés de l'annonce du gouvernement une demi heure avant l'annonce effective par Habib Essid. Ce dernier a appelé Rached Ghannouchi au téléphone ». En mots à peine voilés le leader nahdhaoui avoue que le chef du gouvernement désigné, Habib Essid, n'a pas élargi les consultations. A peine deux heures avant l'annonce officielle du gouvernement, Zied Laâdhari était l'invité de Midi Show sur Mosaïque FM. Pendant l'émission, le porte-parole officiel s'évertuait à expliquer qu'il ne savait pas si Ennahdha, ou lui-même, seraient au gouvernement. Cela prouve que jusqu'aux derniers instants, Ennahdha était dans le flou le plus total. Même son de cloche au Front populaire et à Afek Tounes. Pour ce dernier, les négociations s'étaient arrêtées le matin même. Les dirigeants du parti ont expliqué qu'il y avait des divergences tant au niveau du programme gouvernemental qu'au niveau de la structure. Riadh Mouakher, l'un des dirigeants de Afek Tounes, a déclaré que Habib Essid avait présenté au parti un document de trois pages résumant les priorités du gouvernement. Plus étonnant encore, plusieurs leaders du parti Nidaa Tounes ont avoué, de leur côté, qu'ils découvraient la composition du gouvernement en même temps que tout le monde à la télévision. Le fait que le parti gagnant des élections ne soit pas associé à la composition du gouvernement en a effectivement étonné plus d'un. Tout laisse à penser que Habib Essid a composé son gouvernement dans son coin. Plusieurs observateurs ont suggéré qu'il y avait une certaine influence venant de Carthage concernant la composition du gouvernement. C'est particulièrement l'anecdote avec Slim Riahi qui a crédité cette thèse. En effet, Slim Riahi avait rompu les négociations avec Habib Essid. Il a été aussitôt reçu par le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Miraculeusement, les négociations ont repris et l'Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi glane trois portefeuilles ministériels. Toutefois, certains bruits de couloir évoquent l'insatisfaction de Béji Caïd Essebsi quant à ce gouvernement qu'il aurait préféré voir avec un caractère politique plus affirmé. En tout cas, les commentaires ont fusé depuis l'annonce du gouvernement de Habib Essid. D'aucuns disent que ce gouvernement pose plus de questions qu'il n'apporte de réponses. Certains observateurs n'hésitent pas à dire que certains profils ne correspondent pas aux portefeuilles qui leur ont été accordés. D'autres ont également pointé des problèmes de structure. Un réel début de polémique a commencé à enfler suite à la désignation de Mohsen Hassen, membre de l'UPL, à la tête du ministère du Tourisme. On a pointé le fait qu'il ne soit pas un professionnel du secteur touristique et que, par conséquent, il lui faudrait une période de prise en main des dossiers, ce qui générera des retards que le secteur ne peut se permettre. Le nouveau ministre de l'Intérieur, Mohamed Nejem Gharsalli, fait déjà couler beaucoup d'encre. C'est un juge qui a longtemps présidé le tribunal de première instance de Kasserine. Sa collégue, Kalthoum Kennou a déclaré qu'il était en partie responsable du noyautage de l'association des magistrats sous Ben Ali. Par ailleurs, son passage en tant que gouverneur de Mahdia sous la troïka n'a pas été apprécié par tous. Mongi Rahoui, élu du Front populaire, y est allé de son commentaire en déclarant « ce ministre dissimulera la vérité sur les assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ». Il a ajouté que le nouveau ministre de l'Intérieur est un point noir dans le gouvernement Essid. En outre, la nomination de Maher Ben Dhia à la tête du ministère de Jeunesse et des Sports pose problème. En effet, le patron de son parti, Slim Riahi, est également le président de l'un des plus grands clubs sportifs de Tunisie. Cela implique un réel risque de conflit d'intérêt. Par ailleurs, des soucis se font sentir au niveau de la structure gouvernementale. Par exemple, le poste de secrétaire général du gouvernement semble être mystérieux car ses prérogatives ne sont pas claires. Toutefois, les caciques de l'administration tunisienne savent qu'un tel poste peut avoir une importance capitale et pet influencer le travail de tout le gouvernement. Aussi, la création d'un secrétariat d'Etat chargé de la remise à niveau des établissements hospitaliers est, pour l'instant, incomprise par les professionnels et les intervenants du secteur. En effet, ce secrétariat d'Etat touche directement aux prérogatives du ministre ce qui peut créer certaines tensions entre les deux. Le secrétariat d'Etat en charge du dossier des blessés et des martyrs de la révolution est également obscur pour l'instant. Par cette composition du gouvernement, Habib Essid ne se sera pas facilité une tâche déjà conséquente. Il a réussi à s'attirer les foudres de l'ensemble des partis politiques à tel point que même le vote de confiance n'est pas garanti. Ce sera le mardi 27 janvier 2015 que Habib Essid passera le test de l'assemblée nationale. On en saura plus sur ses intentions lors de son discours de politique générale et on verra à quel point lui en veulent les partis politiques.