La diplomatie tunisienne dirigée par le Président de la république devrait être plus vigilante et plus attentive quant aux positions exprimées par notre pays sur les grands dossiers du moment. Nos difficultés économiques et financières ne doivent en aucun cas occulter nos valeurs et nos traditions diplomatiques immuables de fraternité, d'amitié et de strict respect de la légalité internationale. Comme sans doute de nombreux Tunisiens, j'ai éprouvé un vrai malaise en entendant le discours du Président de la République au sommet Arabe du Caire et avant lui M. Touhami Abdouli, un politicien talentueux et respectable, justifier l'injustifiable sans trop de conviction concernant la position Tunisienne sur l'agression subie depuis 4 jours par le peuple Yéménite frère.
Notre soutien à l'Arabie Saoudite, un autre pays frère avec qui nous entretenons des relations presque glaciales depuis la révolution, et à cette «coalition» étrange que Riyadh a imposée à la hâte à ses alliés Arabes proches et lointains, n'est ni une erreur d'appréciation ni tout simplement une position diplomatique opportuniste imposée par une conjoncture difficile, c'est une faute politique grave qui viole tous les principes fondateurs de la politique étrangère tunisienne depuis l'indépendance, et dont Béji Caïd Essebsi lui-même est l'un des architectes.
La Tunisie a toujours été un défenseur de la non-ingérence dans les affaires d'autrui, du strict respect du droit international particulièrement la charte de l'ONU, celle de la Ligue Arabe...et d'une «neutralité active» vis à vis des conflits internationaux, particulièrement ceux qui opposent des pays frères. Notre pays était un rempart où les protagonistes peuvent à tout moment se retrouver dans la cordialité, la sagesse et la sérénité. Or, Un pays frère, membre des Nations Unies, de la Ligue Arabe, de la Coopération Islamique et avec qui la Tunisie a toujours entretenu des rapports fraternels, l'une des plus anciennes civilisations du monde, est aujourd'hui en train de subir une Vendetta totalement injustifiée, conduite par une Arabie Saoudite qui semble être aux abois, totalement désemparée face à l'émergence d'un l'Iran Chiite en tant que puissance régionale reconnue et confirmée par les grandes Nations Occidentales, dont les Etats Unis. Cette agression, sous prétexte de vouloir mettre fin à la rébellion des milices chiites «Houthis» et restaurer la légitimité du Président Mansour Hadi, est en réalité un acte de désespoir et d'impuissance de la part d'une Arabie Saoudite qui semble tétanisée par cette lune de miel prolongée entre Washington et Téhéran et par la montée irrésistible d'un Iran gonflé à bloc avant la signature prochaine de l'accord sur le nucléaire qui consacrerait la République Islamique comme le gendarme de cette région tourmentée et vitale pour le monde.
Désormais, rien ne se fera plus dans le Golfe sans l'aval de Téhéran qui a déjà gagné, aux dépens de Riad, plusieurs manches dans la bataille pour le maintien de Bachar El Assad à la tête de la Syrie! La République Islamique, on doit bien le reconnaître, n'a pas volé son nouveau statut de partenaire privilégié à part entière des pays occidentaux dans la région. Son succès indéniable est le couronnement d'une détermination à toute épreuve, des nerfs solides et des choix politiques très bien calculés et sans trop de compromission. Ce succès iranien historique est aussi le résultat de l'échec retentissant des pays Arabes, et à leur tête l'Arabie saoudite, mais aussi bien d'autres dont l'Egypte. Riyad, contrairement à son voisin iranien, et même à ses partenaires au sein du CCG, et malgré les efforts reconnus de feu le Roi Abdallah, ne cesse depuis des décennies de patauger dans une appréhension des réformes, de faire des choix archaïques et totalement irrationnels et d'offrir un soutien inconditionnel à des politiques Américaines abracadabrantes dont le seul objectif déclaré est la sauvegarde des sources d'énergie et le maintien à tout prix de la suprématie et l'hégémonie d'Israël.
Sur un autre plan, c'est bien le système politique Arabe anachronique, impuissant et corrompu, et dont l'Arabie Saoudite et l'un des acteurs de premier plan, qui a engendré ces organisations extrémistes telles Al Qaida, Annosra, Daech, Ansar Asharia... dont l'un des dogmes fondateurs est de casser du «Chiite impie», aussi bien en Irak, qu'en syrie, au Liban, au Pakistan, en Afganistan…et maintenant au Yemen!
C'est pourquoi, et quelques soient les débordements et les violations commis par les milices «Houthis», l'acharnement Saoudien contre un Yémen anéanti par l'instabilité tribale et exténué par une guerre civile permanente et une pauvreté "dégradante"...constitue une menace qui pèserait de tout son poids pour des années à venir sur les intérêts stratégiques vitaux du Royaume, mais aussi un vrai déshonneur pour l'armée du Royaume, jusque-là professionnelle et irréprochable. Toute cette région, de la Mauritanie au Yémen et bien au-delà, subit jusqu'à aujourd'hui les conséquences néfastes de l'invasion irakienne du Koweït face à laquelle les Américains sont d'abord restés impassibles jusqu'à ce que Saddam Hussein tombe pieds et mains liés dans le piège un certain 2 août 1990 quand ses troupes franchirent la frontière du Koweït. Tout le monde connait la suite. Malheureusement, les dirigeants Saoudiens n'ont rien appris de la leçon. Ils viennent de plonger aveuglément leur pays dans un précipice sans mesurer les conséquences de leur acte.
D'ailleurs, le Sultanat d'Oman, pays membre à part entière du Conseil de Coopération du Golfe, toujours très à l'écart de tout aventurisme a décidé de rester sagement loin de cette vendetta...il est étrange d'y atteler une Tunisie déjà très accablée par ses blessures et ses fardeaux sécuritaires et socio-économiques. C'est pourquoi, il faut à tout prix garder notre pays loin de ce bourbier et de cette «fitna» Sunnite-Chiite qui ne nous concerne pas et qui risque de mettre le feu dans toute la région pour des années à venir et tout faire pour que prévale la voix de la concorde et la raison.