Borhane Bsaïes est un enseignant d'éducation civique dans un lycée d'un quartier huppé de la capitale. Plutôt que de courir derrière l'argent sale des cours particuliers et d'observer les grèves indécentes à l'instar de ce que l'on voit actuellement chez certains de ses anciens confrères, Borhane a choisi de monnayer ses services au pouvoir en place. On était encore dans les années 2000 et on le voyait sur tous les plateaux de télévisions arabes jouant la brosse à reluire d'un Ben Ali qui commençait à chanceler. En contrepartie de ses bons et loyaux services de lobbying, Borhane recevait un salaire confortable pour un emploi fictif dans une entreprise de télécommunications. C'est la définition du mercenariat que Borhane Bsaïes n'a jamais nié, contrairement à l'écrasante majorité des autres lobbyistes notoires, qu'ils soient au service de l'ancien pouvoir ou de puissances étrangères. Borhane a assumé pleinement son rôle et l'a payé rubis sur ongle avec un séjour en prison. Un séjour assez court au regard strict de la loi, mais très long quand on sait que la pratique était courante et nettement plus dangereuse et préjudiciable chez d'autres mercenaires qui la jouent vierges. Borhane a tout assumé, tout admis et tout avalé. Les campagnes de dénigrement et d'insultes qu'il a subies, et qu'il subit encore, sont inégalables. Contre vents et marées, il s'est remis debout. Il avait peu de choix d'ailleurs, puisqu'il devait gagner sa vie.
Après Ben Ali, il devait trouver un gagne-pain dans un pays où on ne voulait plus de lui. Et ceux qui voulaient de lui n'avaient pas suffisamment de courage pour le recruter. A l'époque, s'afficher avec Borhane Bsaïes était souillant. Pourtant, force est de constater que s'attabler avec ce lobbyiste est un pur plaisir, tant le bonhomme était courageux, cultivé et cohérent. Surtout cohérent. Une qualité qui manque énormément à nos hommes politiques, notamment parmi ceux qui se prétendent révolutionnaires. Borhane Bsaïes était cohérent et l'est encore. Jusqu'à ce dimanche 29 mars dans l'émission de Samir El Wafi où il a réussi à capter 59,4% d'audience. Borhane devait donc trouver un gagne-pain et c'est Slim Riahi qui a eu le « courage » de le lui donner. Chacun avait besoin de l'autre. Le premier n'avait pas d'argent, le second n'avait pas de culture. Le premier avait besoin de travailler, le second avait besoin d'idées. Ça a marché, c'était du gagnant-gagnant. A l'époque, c'était un exploit, car les « révolutionnaires de caniveau » et prétendus droits-de-l'hommistes ne voulaient en aucun cas voir ce lobbyiste rebondir. Ils étaient (et ils sont encore) tellement mauvais qu'ils s'élevaient même à ce que son épouse ait un travail dans la chaîne Hannibal TV. Au prétexte qu'il était une « brosse à reluire », ils voulaient le voir sali à jamais, sa famille et lui. Pour lui, ils n'avaient qu'une seule issue : la prison. A leurs yeux, Borhane est dangereux, car il est l'un des rares à dire les choses crument et directement. Il est l'un des rares à dénoncer le manège, l'hypocrisie et le « retournement de veste » de ces « révolutionnaires » opportunistes.
Borhane Bsaïes est un mercenaire ? Oui, et il l'assume. Mais il est plus propre que Sihem Ben Sedrine qui vivait de prébendes étrangères, que Mustapha Ben Jaâfar qui jouait de la manche à l'ancien régime ou de Samir Ben Amor qui recevait des miettes à travers ses rapports policiers.
Cohérent dans sa logique, Borhane continue à jouer aux mercenaires et propose ses services au plus offrant. Il a réussi à faire de Slim Riahi le président de l'un de nos plus prestigieux clubs sportifs et celui d'un parti classé troisième aux dernières élections. De 51.665 voix en 2011 (12ème ; 1 siège ; 1,26%) l'UPL a réussi à obtenir 137.110 voix (3ème ; 16 sièges ; 4,02%) en 2014. Son président, candidat à la magistrature suprême, a réussi à obtenir 181.407 voix se classant 5ème avec 5,55% des suffrages exprimés. Borhane avait quoi offrir à Slim et le résultat est là. Un malentendu après, Borhane quitte le giron de la holding de Riahi pour joindre Nabil Karoui. Ce dernier aussi a des visées politiques et a une idée claire de qui il doit « recruter » pour l'aider à trouver une place dans cette jungle. N'ayant qu'une expérience en matière de marketing, de management et de communication audiovisuelle, Karoui a besoin de la culture et du tact politique de Bsaïes et Bsaïes a besoin de l'argent de Karoui. Le bonhomme ne fait pas l'art pour l'art, ne joue pas aux hypocrites et déclare haut et fort qu'il vend ses services pour celui qui veut bien les acheter. Il ne prétend pas être un idéologue, devant les caméras, et cherche à obtenir un dividende derrière. Il a un service à proposer et de l'argent à recevoir. Il ne cherche pas à présider une instance d'intégrité ou un portefeuille dans un ministère. Fin de l'histoire, tout le reste n'est que de la littérature.
Maintenant que tout cela a été présenté et que les choses sont tirées au clair, il faudrait écouter ce que raconte Borhane Bsaïes. Certains disent que son discours est irrecevable, vu que le type est mercenaire. Le bon sens exige cependant que l'on écoute tout le monde, ce que dit Borhane est loin d'être dénué de bon sens. Ôter le masque des néo-révolutionnaires, des mercenaires qui se la jouent idéologues, des voleurs qui se la jouent intègres et des repris de justice qui se la jouent victimes de l'ancien régime est indispensable pour que l'on puisse aller de l'avant. Une réconciliation nationale ? Cela se conçoit, mais il faudrait d'abord que tout le monde passe aux aveux. Les RCDistes ont fauté ? Indéniable, mais ils ne sont pas les seuls. L'ancien régime a failli ? Indéniable, mais il faut « contextualiser » les failles avant de juger. On ne pourra jamais aller de l'avant si l'on ne juge que Ben Ali et son régime. Les islamistes ont des choses à se reprocher et on aurait pu avoir une démocratie dans les années 1980-2000, s'ils n'ont pas été « terroristes » en leur temps. La Tunisie aurait pu réussir sa révolution, si la troïka a été respectueuse des lois et a placé de véritables compétences à la tête de l'Etat. Il a y eu des fraudes avant la révolution, mais il y en a eu après aussi. Et les voleurs ne sont pas les mêmes. Borhane Bsaïes ne joue plus à la brosse à reluire de l'ancien régime. Il demande à ce que l'on cesse de jouer à la brosse à reluire des « néo-révolutionnaires » et de regarder les choses en face, telles qu'elles sont. Il demande à ce que l'on juge tous nos gouvernants d'avant et d'après la révolution, à charge et à décharge, sans parti-pris, sans effervescence et sans gabegie. C'est l'Histoire de la Tunisie que l'on écrit actuellement. Les vainqueurs de 2011 ont essayé de l'écrire à leur façon et ils ont triché et menti. Le Livre noir et la composition de leur IVD en témoignent. Maintenant que les opportunistes de 2011 ne sont plus là, il faut essayer d'écrire la véritable Histoire de la Tunisie et bloquer la route aux opportunistes et menteurs parmi les vainqueurs de 2014. Et s'il faut convier un mercenaire pour atteindre cet objectif, eh bien soit ! Il vaut mieux un mercenaire honnête qu'un idéologue naïf ou qu'un opportuniste menteur.