L'information s'est propagée comme une traînée de poudre au cours de la journée du vendredi 12 juin : des diplomates tunisiens auraient été kidnappés au sein même du consulat général de la Tunisie à Tripoli. La mauvaise nouvelle a tout de suite été confirmée par le département des Affaires étrangères. Dix membres de la mission tunisienne sont actuellement retenus en otage par une milice armée libyenne. Quel serait-leur sort ?
Véritable poudrière, la Libye est, depuis le soulèvement contre Kadhafi, le théâtre de violences armées et de enlèvements quasi-quotidiens. Aux portes de la Tunisie, les milices armées s'entretuent avec acharnement et notre pays s'est retrouvé confronté à des menaces de plus en plus accrues, alors que les terroristes de Daech gagnent tous les jours du terrain. Les deux gouvernements libyens qui se disputent le paysage politique libyen, n'en finissent pas de faire pression pour que les autorités tunisiennes prennent position en leur faveur, sauf que l'Etat tunisien n'a pas flanché et a su garder la même distance des deux parties.
L'enlèvement d'aujourd'hui n'est pas le premier. On se rappellera des diplomates enlevés courant 2014 en Libye, Laâroussi Gantassi et Mohamed Ben Cheikh, finalement libérés, mais également les deux journalistes Sofiène Chourabi et Nadhir Guetari, donnés pour morts, mais dont le sort reste inconnu à ce jour. Toutefois, pour cette fois, le mode opératoire des agresseurs est monté d'un cran. En effet, les dix diplomates ont été attaqués et enlevés au siège du consulat général. Un fait sans précédent.
Aussitôt, le ministère des Affaires étrangères a fermement condamné l'attaque contre le consulat de Tripoli, affirmant que cet acte a été mené par des membres d'une milice armée, sans pour autant préciser de quelle milice il s'agit. Haussant le ton, le département des MAE considère l'incident comme « une atteinte à la souveraineté nationale tunisienne et une violation flagrante des lois internationales et des normes diplomatiques, qui garantissent la sécurité du personnel et des missions diplomatiques et consulaires ».
On apprend que des négociations de haut niveau sont en cours. Le ministère confirme que l'Etat tunisien suit avec préoccupation l'évolution des événements, en coordination avec les parties régionales, en l'occurrence libyennes, et internationales, afin de libérer dans les plus brefs délais les diplomates et préserver leur intégrité physique.
Ce qui se pose à nous, est le pourquoi de ce kidnapping et le choix du timing. On sait qu'hier, la chambre des mises en accusation a refusé la libération du libyen, accusé d'actes terroristes, Walid Glayeb. Le triste personnage serait impliqué dans la mise en place et l'entretien de camps d'entraînement de terroristes. On sait aussi, qu'en représailles à son arrestation, des milices libyennes avaient enlevé 170 Tunisiens qui ont été libérés par la suite. Il est donc tout à fait naturel et logique de penser que cette milice a réitéré son méfait, à l'annonce de la décision judiciaire de maintenir le terroriste libyen en détention, en frappant fort au cœur du symbole de la souveraineté tunisienne à Tripoli.
Rappel des faits : dans la soirée du dimanche 17 mai 2015, Brahim Rezgui, consul général de la Tunisie à Tripoli, annonce la prise d'otage de 170 Tunisiens, dans la zone appelée Salaheddine, près de Tripoli. Les ravisseurs ne sont autres que la milice Fajr Libya. Renseignement pris, il s'avère que Walid Glayeb est l'un de ses chefs. Il avait été arrêté le 14 mai à l'aéroport de Tunis-Carthage, suscitant les représailles pour réclamer sa libération. En attendant la décision du juge, le consul a, au moment des faits, indiqué que Glayeb sera probablement libéré si on reconnait qu'il n'est pas impliqué dans une affaire contre la sécurité de la Tunisie, ce qui a amené à la libération, par groupes, des Tunisiens retenus en otage. Le dernier groupe a été libéré le 30 mai courant.
Avec son maintien en otage, l'ire de Fajr Libya s'est déclarée, envoyant un message politique clair, aux autorités tunisiennes, en violant la souveraineté de l'Etat et en kidnappant ses représentants diplomatiques, qui devront faire office de monnaie d'échange, pour la libération de leur chef Walid Glayeb.
Pour l'heure, à la suite de l'enlèvement des dix diplomates, une cellule de crise vient d'être créée. Une cellule composée de membres représentant la présidence de la République, la présidence du gouvernement ainsi que les ministères de la Justice, de l'intérieur et des Affaires étrangères. Elle sera chargée de suivre l'évolution de l'affaire et de faire le nécessaire pour que les diplomates soient libérés.
Fajr Libya a commis, avec ce kidnapping, un affront de taille envers l'Etat tunisien, démontrant le caractère violent de cette milice, qui n'a cure ni des lois internationales, ni des normes diplomatiques établies. Cela nous rappelle les déclarations récentes du chef d'un grand mouvement politique, deuxième force en Tunisie, ayant assuré que le seul rempart de la Tunisie contre Daech n'est autre que Fajr Libya, et qu'il faudra considérer cette milice comme la première ligne de défense de la Tunisie. Le haut responsable avait également estimé qu'une telle situation impose de réévaluer les alliés et les ennemis du pays ! Et voilà le résultat !
Des citoyens tunisiens sont entre les mains d'une bande armée libyenne. Leur sort est incertain et on espère un dénouement rapide et heureux de cet incident. Ce qui est pourtant certain, c'est que l'Etat tunisien se doit de prendre une position claire et demander des comptes. Chose, certes ardue, vu le chaos le plus total auquel est en proie la Libye.