« Nous sommes en 2045 et le futur a renversé l'histoire », écrit Ted Hardy-Carnac au sujet de son court-métrage ‘'Tunisie 2045'' avec lequel il participe au Festival Nikon du film anticipatif (pour voir le film). Un film contemporain d'une lucidité poignante qui met en scène, en même pas 3 minutes, une situation des plus dérangeantes. Celle de familles de réfugiés cherchant à fuir le calvaire de leurs pays et à s'abriter dans un pays plus paisible, un pays « qui a réussi ». Sauf que, dans ce film, ce pays n'est autre que la Tunisie. Celle de l'an 2045 ! Un véritable eldorado pour des Européens fuyant l'horreur de leurs pays respectifs, désormais plus du tout accueillants pour eux. « Vous savez comment ça se passe en Europe ? Vous savez à quoi ressemble Paris en ce moment ? », demande un jeune papa français à une chargée de l'immigration tunisienne, devant étudier son dossier pour savoir si, lui et sa fille, peuvent bénéficier du sésame salvateur et partir se réfugier en Tunisie. Surréaliste dites-vous ? Oui sans aucun doute. Il est en effet très peu probable que la Tunisie d'aujourd'hui devienne cet eldorado décrit à demi-mots dans ce film pour les Européens. Mais l'auteur s'y risque, avec une pointe d'ironie sans doute. Un risque tout de même poignant qui marque le paradoxe de la situation actuelle des deux pays, des deux rives de la méditerranée.
En inversant les rôles, ce film, réalisé par un Français, ambitionne de montrer que personne n'est à l'abri. Que le drame humanitaire vécu en 2015, avec près d'un million de migrants arrivés en Europe, a révélé « son côté sombre ». Une Europe qui a prouvé ses limites à se montrer suffisamment accueillante pour contenir toute cette détresse. Qui a montré qu'au-delà de certains actes de générosité, il y avait une réelle volonté de repli sur soi et de catégorisation des gens en sous-classes. Contre cela, une seule solution : « l'empathie », selon le réalisateur.
Mais pourquoi la Tunisie ? La Tunisie semble être le seul pays à avoir réussi son « Printemps arabe » comparée à des exemples comme l'Egypte, la Libye ou encore, plus chaotique, la Syrie. De l'avis des occidentaux, il s'agit du seul pays ayant survécu au cataclysme des révolutions ayant secoué la région. De l'autre côté, une France qui découvre un terrorisme qu'elle ne connaissait pas et dont elle se croyait, pourtant, à l'abri. Mais il n'y a toujours pas de quoi justifier de telles extrapolations. Et pourtant…
Dans une contribution publiée par le Nouvel Obs, en date du 3 janvier 2016, le réalisateur explique que « ‘'Tunisie 2045'', bien qu'il soit un film d'anticipation, reste aussi proche que possible d'une réalité contemporaine. Car imaginer notre futur, c'est avant tout interroger notre présent ». Le film, ne nous leurrons-pas, s'appuie sur une certaine ironie pour partir du constat que ce qui se passe réellement en Tunisie et en France est l'exact opposé de la scène présentée dans le film pour, justement, inverser les faits. Mais si on regardait cela d'un œil purement tunisien ? Si ce court-métrage a été conçu pour mettre en lumière une réalité française qui ferait honte à certains, le questionnement est tout aussi pertinent du côté tunisien.
Après les attaques sanglantes ayant eu lieu sur nos terres - Le Bardo en février, Sousse en juin et Tunis en novembre, pour ne citer que les plus meurtriers – la Tunisie est devenue une destination à risque pour les Européens. Les ambassades des pays voisins ont mis à jour leurs alertes pour, davantage, mettre en garde leurs ressortissants et les inciter à plus de vigilance. Le tourisme a été au plus bas et la Tunisie est désormais classée « destination non grata » pour les tours opérateurs.
Rien n'a été fait dans ce sens en France, où plus d'une centaine de personnes a péri dans une série d'attentats des plus sanglants. Un an que le journal Charlie Hebdo a été visé. Moins de deux mois qu'une série de lieux à haute fréquentation ont été la cible de coups de feu terroristes. Pourtant, Paris continue d'être une destination privilégiée pour les touristes, les étudiants, les travailleurs, les investisseurs mais aussi les migrants. Quoi de plus naturel diriez-vous ? En effet, contrairement à la Tunisie, encore novice en la matière, la France est un pays à la grande tradition démocratique. La Tunisie reste encore fragile et n'a pas fait ses preuves, tout reste à construire aujourd'hui. La Constitution à appliquer, avec un bataillon de lois encore anticonstitutionnelles ; une vie politique saine à construire, avec des guéguerres au sein des partis ; un pays à sécuriser de la menace terroriste qui guette encore ; une vie économique à sauver malgré les difficultés et la crise et des traditions démocratiques à faire ancrer. Le chemin reste encore long, mais les projets nombreux et les espoirs (encore) prometteurs.
A la fin du film, la bureaucrate tunisienne devra trancher et décider si, par un simple coup de tampon, elle peut sauver la vie d'un père et d'une petite fille, mais aussi celles de dizaines d'autres personnes amassées dans un bâtiment administratif froid et impersonnel, à attendre… Idem en Tunisie où un pouvoir politique, médiatique, juridique, bureaucratique, économique, et celui de la société civile devra décider s'il peut, ou non, sauver la vie de tout un pays. « Un simple geste peut décider de leur avenir », écrit l'auteur du film. Quid du nôtre ?