De notre envoyé spécial à Paris Brahim OUESLATI Quartier la Chapelle à Paris. Mardi 2 juin, aux premières heures de la journée, plus de 350 migrants ont été tirés de leur sommeil par la police et évacués de force du campement qu'ils ont monté et emmenés dans un lieu d'hébergement en attendant l'examen de leur situation, au cas par cas. Ils sont des Soudanais, des Egyptiens, des Erythréens qui ont échoué à bord d'embarcations de fortune pour atteindre la capitale française et venir s'entasser durant des mois sous des tentes, dans des conditions d'insalubrité totale. Des chiffres inquiétants Ces migrants ont en commun d'être Africains et d'avoir quitté des zones de conflit et d'insécurité. Dans une enquête publiée par Le Point dans son numéro 3.334 du 27 mai dernier, un responsable de l'agence européenne chargée des flux migratoires, Frontex, parle de «500.000 à un million de personnes prêtes à quitter la Libye». L'enquête a révélé que pour la seule année 2014, «620.000 demandes d'asile ont été enregistrées dans l'union européenne, soit 44% de plus par rapport à l'année précédente». Les demandeurs d'asile sont originaires de plusieurs pays, pas uniquement africains. On en a recensé une quinzaine qui fournissent le plus gros contingent de demandeurs, dont cinq africains qui sont le Mali, le Nigeria, la Somalie, la Gambie et l'Erythrée. Les autres demandeurs sont originaires de pays asiatiques dont l'Irak, la Syrie et la Russie, et de l'Europe à savoir la Serbie, le Kosovo et l'Albanie. Tous ces pays ont en commun d'être des foyers de guerre et de tension ethniques. Les images de pauvres hères entassés dans des embarcations de fortune, chavirant en pleine mer, sont devenues presque régulières, notamment depuis l'installation du chaos en Libye. Ce pays est devenu, depuis 2011, un point de passage pour des milliers de migrants en quête de sécurité, d'asile ou de travail. Mais il n'y a pas que la Libye voisine, il y a aussi la Syrie et l'Irak qui sont en guerre depuis des années. Les trois pays ont en commun d'être des pays arabes et d'avoir fait l'objet d'interventions étrangères. A trop vouloir chercher à abattre la dictature et «démocratiser les régimes», Américains et Européens ont fini par semer le désordre et installer le chaos, laissant ces pays en pleine déconfiture. Ce qui se passe sur nos frontières est la conséquence directe de l'intervention étrangère. Une préoccupation majeure La migration clandestine est devenue depuis les derniers mois une préoccupation majeure pour les gouvernements européens. Il a fallu la tragédie du 19 avril dernier quand 800 migrants clandestins venus tous d'Afrique sont morts noyés suite au naufrage de leur bateau, pour que l'Europe décide de consacrer un sommet extraordinaire à ce phénomène récurrent. Réunis à Bruxelles quelques jours après le drame, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne ont pris des décisions, beaucoup plus pour protéger leurs pays contre le phénomène migratoire que pour secourir les migrants et soutenir leurs pays. Certes, pour Donald Tusk, président du Conseil européen, «la priorité des priorités est de sauver la vie des innocents». Mais il a jouté que «sauver des vies ne se résume pas à mener des opérations de sauvetage en mer. Il s'agit aussi de lutter contre les trafiquants et de prévenir la migration illégale.» Voilà qui est dit. D'autant plus que pour certains dirigeants européens «sauver son prochain est une chose, prendre son quotidien en charge est une autre». C'est pourquoi il a été décidé, au cours de ce sommet, de tripler le budget de lutte contre la migration illégale avec pour objectifs de combattre les trafiquants, renforcer la présence en mer, prévenir les flux migratoires illégaux et renforcer la solidarité et la responsabilité internes. Décisions jugées insuffisantes par le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie pour qui «les opérations policières ou de surveillance accrue ne suffiront pas si, dans le même temps, rien n'est entrepris pour redonner un espoir et une perspective d'avenir à tous ces jeunes qui fuient leurs pays d'origine». Réfugiés politiques, oui, économiques, non L'Europe s'inquiète de plus en plus face au phénomène migratoire. L'on se rappelle cette vague de jeunes Tunisiens fuyant «leur printemps arabe» pour aller chercher «l'eldorado» de l'autre côté de la Méditerranée. C'était en 2011. Un accord a été passé entre l'Italie, représentée alors par son chef de gouvernement Silvio Berlusconi, et la Tunisie par son Premier ministre Béji Caïd Essebsi qui devait permettre à ces jeunes d'obtenir un visa de six mois non renouvelables, le temps de leur permettre de circuler librement en Europe afin de chercher un emploi. Cet accord avait soulevé un tollé général et a failli remettre en cause les accords Schengen. La France de Sarkozy avait même empêché des Tunisiens, pourtant menus d'un visa en bonne et due forme, d'entrer sur son territoire. Or, cette Europe, n'est-elle pas responsable de l'accroissement de ce phénomène? Si aujourd'hui, elle se rend compte de l'ampleur des craintes que suscite l'arrivée sur son sol de vagues successives de migrants et les menaces qu'ils pourraient engendrer pour leur sécurité, notamment avec la recrudescence du jihadisme, elle doit se rendre à l'évidence: on ne combat pas la peur par la peur et la menace par la menace. C'est-à-dire, renforcer la surveillance des frontières, renvoyer manu militari les migrants dans leurs pays d'origine et combattre les passeurs et autres trafiquants, cette politique ne saurait résoudre le fond du problème. Même pas les quotas préconisés par le président de la commission de Bruxelles Jean-Claude Junker d'accorder l'asile à une certaine catégorie de migrants, selon les capacités des pays de l'Union. «L'UE offrira une protection plus grande aux réfugiés en provenance des zones de conflit et mettra en place un premier projet pilote volontaire en matière de réinstallation dans toute l'UE, proposant des places à des personnes ayant droit à une protection». Il s'agit de «réinstaller sur la base du volontariat, 20.000 réfugiés» dans les pays de l'Union. La priorité est accordée aux Syriens et aux Erythréens «fuyant la guerre et la dictature». Mais pas de «réfugiés économiques». Cette vague migratoire a pour conséquence la montée de la xénophobie et la recrudescence du phénomène du racisme. Des foyers de migrants ont fait l'objet d'attaques et des politiciens de la droite surtout sont montés au créneau pour dénoncer l'arrivée intempestive de «ces envahisseurs» sur leur sol appelant à leur renvoi pur et simple. La responsabilité de l'Europe Il faudrait plutôt prendre le taureau par les cornes et «agir sur les causes mêmes des migrations, le sous-développement»( dixit François Hollande). Or, des promesses de ce genre ont été formulées et reformulées plus d'une fois, sans résultats tangibles. Par manque de volonté et de moyens aussi. Ceci ne saurait se réaliser qu'en étroite coopération avec les pays du Sud et après examen et étude de leurs besoins réels. Sauf que l'état d'insécurité qui sévit dans les zones de conflit, consécutif à des interventions étrangères, demeure jusque-là insoluble à cause de la prolifération des armes, la montée du terrorisme et l'installation du chaos . Soutenir ces pays à sortir de cet état d'instabilité et de crise reste tributaire d'une meilleure compréhension de la situation et d'une nouvelle approche non interventionniste. Chose que les Etats-Unis et l'Europe réunis, ne semblent pas admettre, eux qui en sont, en grande partie, responsables.