Accusés d'être des mauvais payeurs et d'alimenter l'escalade vis-à-vis du gouvernement d'union nationale, les avocats ne cessent de faire parler d'eux dans une surenchère grandissante. Ce lundi 28 novembre 2016, ils ont décidé d'effectuer un sit-in devant l'ARP, suivi d'une grève générale décrétée du mardi 29 jusqu'au jeudi 1er décembre 2016, dates qui correspondent à la tenue de la Conférence pour l'investissement. En cause, encore, le projet de Loi de finances 2017 dont certains articles sont jugés anticonstitutionnels par les robes noires. Bien plus qu'un problème conjoncturel, l'AGE des avocats qui s'est tenue samedi 23 novembre 2016 a démontré que la problématique des avocats est reliée à la structure de la profession. Alors que conteste concrètement ce corps professionnel ? Retour sur un sujet brûlant.
« La LF 2017 s'abat aveuglément sur une toute une profession sans prendre en compte les bons payeurs c'est-à-dire les avocats disciplinés qui paient leurs impôts de façon régulière ». C'est ce qu'a déclaré maître Khalil Béji, présent durant l'AGE des avocats samedi. Et d'ajouter: « Notre groupe professionnel est loin de constituer un bloc homogène. Il est soumis à des contradictions et aux aléas des dynamiques historiques qui traversent l'Etat et la société mais pas seulement. Le cœur du problème aujourd'hui est que notre profession nécessite un assainissement profond et sincère. Le problème n'est pas conjoncturel, il est structurel ».
Les heures troubles que vivent les avocats et l'attention porté sur eux a quand même du bon, c'est que cela a permis de passer la profession à la loupe pour mieux comprendre leurs revendications. En Tunisie, il y a ainsi 8000 avocats, a continué de nous expliquer Khalil Béji en précisant que « sur ces 8000 avocats, 1500 n'exercent pas réellement la profession car ils ont d'autres activités au sein du gouvernement. Il y a également 2500 à 3000 avocats qui sont des jeunes fraichement diplômés, ayant peu d'activité. Dans leur déclaration fiscale, il y a inscrit néant et une majorité d'entre eux ne sait même pas qu'il faut faire une déclaration fiscale. 3500 autres avocats tunisiens sont soumis au régime réel d'imposition, ces personnes-là n'ont pas de problème de fiscalité car un simple relevé de leurs comptes bancaires permet d'avoir une traçabilité de leur soumission à l'impôt. Une autre partie du corps des avocats est soumis au régime de l'assiette forfaitaire, dans cette catégorie il y a les avocats disciplinés qui agissent en respect de la loi fiscale, il y a ceux qui vont minorer leur revenu pour payer moins d'impôt et il y a ceux qui ne paient pas d'impôt car exerçant la profession en toute illégalité sans patente ».
Ce qu'il faut comprendre de cette déclaration c'est qu'un des arguments des avocats contestataires est que la LF 2017 est inique car s'appliquant sur toute la profession sans distinguer les particularités de chaque avocat. En cause également la technicité de la LF2017 et son inintelligibilité. En effet, la nouvelle fiscalité prônée par le gouvernement d'union nationale n'est pas accessible à tous. En faisant le tour des avocats durant l'AGE on s'aperçoit que la plupart d'entre eux ne savent pas vraiment pourquoi ils contestent. Des arguments farfelus sont invoqués et un suivisme ambiant semble régner en maître au sein de cette profession tant politisée. Il ne faut cependant pas oublier que l'édification de la démocratie en Tunisie a, en partie, était rendue possible grâce aux travaux des robes noires et que l'octroi du Nobel de la Paix accordé au quartet national est également en partie le fruit du travail des avocats. Il ne s'agit donc pas de mettre la profession dans son entier au pilori.
Ambiance populiste donc lors de cette assemblée générale extraordinaire. Le bâtonnier des avocats Ameur Mehrezi y a déclaré, sans retenue ni réserve que : « La LF2017 est une loi mafieuse et capitaliste grâce à laquelle le gouvernement a décidé d'engager une chasse aux sorcières contre nous. Après des années de tutelle du RCD sur la profession et de pressions exercées sur les avocats, voilà que le gouvernement d'union nationale nous assène un coup de poignard dans le dos par le biais de cette loi. La ministre des Finances ment aux avocats et aux Tunisiens dans leur ensemble ! ». Une critique exacerbée de Youssef Chahed et de son équipe gouvernementale a également été formulée : celui-ci est trop jeune, il est parachuté, il est à la merci des grandes puissances et du FMI, etc.
Me Essia Haj Selema, a quant à elle, déclaré : « Tous ceux qui s'opposent aujourd'hui aux avocats les blâmeront durant un temps pour finalement se placer à leurs côtés dans les périodes à venir. Le gouvernement actuel est à la solde des grandes puissances, c'est un gouvernement corrompu. Youssef Chahed est un gamin sans expérience qui a passé la plupart de son temps à l'étranger… ».
De nombreux avocats ont dénoncé ce populisme et la démagogie des discours prononcés durant l'AGE précisant que oui le projet de la LF2017 est inconstitutionnel car « il fait payer l'impôt avant même que le revenu soit versé », mais que la surenchère de la profession ne devrait pas avoir lieu. Oussama Helal a pour sa part déclaré : « Il serait pourtant facile de trouver une autre solution que celle engagée par la ministère des Finances : la Recette des Finances en collaboration avec l'Ordre national des avocats (ONAT) pourrait facilement cibler les mauvais payeurs et ceux qui fraudent et qui sont coupables d'évasion fiscale. La LF 2017 a cela d'injuste qu'elle va sanctionner les avocats bons payeurs et disciplinés ».
Sur le sujet du timbre fiscal que l'avocat doit acheter pour chaque affaire à traiter et dont le montant varie de 20 à 60 dinars, Maître Béjia expliqué : « Il arrive que l'avocat achète un timbre pour le traitement d'une affaire aux prud'hommes tout en sachant qu'il ne sera pas payé lors du rendu du verdict comme dans le cas d'un employeur insolvable par exemple ». Ajoutant que « Il est injuste que l'achat de ce timbre soit uniquement imposé aux avocats et pas aux experts comptables, ni aux architectes ou médecins. Pourquoi se focaliser sur nous ? ».
La corruption rampante qui existe au sein de l'administration fiscale a également été évoquée avec des avocats experts en fiscalité, l'un d'entre eux nous a déclaré : « Un jeu de taxation se joue entre certains avocats et des conseillers fiscaux de l'administration fiscale. Ceci est monnaie courante et tous les avocats le savent ». Tout en ajoutant : « La LF2017 va sur le long terme limiter l'accès des citoyens à la justice, les avocats disciplinés choisiront de sortir du système puisqu'ils sont de toute façon perdants. Ce que le gouvernement de Youssef Chahed devrait prôner c'est plutôt un allègement fiscal de la profession ».
La précarité de la fonction d'avocat a, par ailleurs, a été discuté. M.Hellal a poursuivi son argumentaire en déclarant : « Les agents de la fonction publique jouissent aujourd'hui d'une plus grande stabilité professionnelle que nous, avocats. Pour ce qui est de la retraite et de l'assurance maladie, il faut savoir que ni la CNAM ni la CNSS ne cotisent pour nous mais que nous cotisons nous même auprès de la Caisse de prévoyance et de retraite des avocats (CAPRA), certains avocats n'ont pas de quoi payer le loyer de leur cabinet, ni leur secrétaire, il faut prendre cela en considération : les avocats se paupérisent ! ».
La LF2017, même si elle a pour objectif sain de redresser l'économie du pays, est en train de faire tressaillir tout un pays. L'agitation des professions libérales, de la centrale syndicale, des taxis … montrent que l'attitude face aux changements est difficile à prévoir. Le processus douloureux des réformes que le gouvernement d'union nationale tente d'imposer ne doit pas léser la quiétude sociale au risque de provoquer des tollés qui pourraient compromettre la stabilité politique si difficilement mise en place.