Cela fait des semaines qu'on nous parle de remaniement, de changement d'équipe gouvernementale et de l'impérieuse nécessité de changer les têtes. Mais force est de constater que ce remaniement plus qu'imminent n'intéresse pas grand-monde, si l'on exclut les cuisiniers de la marmite gouvernementale qui espèrent tirer un profit immédiat d'une éventuelle nomination. Force est de constater que le Tunisien s'en fout éperdument. Est-ce parce que le Tunisien est inconscient, bête et non civilisé comme se plait à le répéter notre élite, ou parce qu'il a un degré de conscience qui lui permet de constater que la succession de gouvernements ne résout en rien ses problèmes, pour ne pas dire qu'elle les aggrave ? Un jeune cadre moyen me confiait il y a quelques temps : « Je ne suis plus ces histoires de gouvernement, de ministres et de partis. Ils font leur tambouille de leur côté et on est obligés de les regarder faire. Ce ne sont pas eux qui s'adaptent au peuple mais c'est le peuple qui s'adapte à ceux qui le gouvernent ! ».
En fait, le remaniement gouvernemental, avec tout ce qu'il peut engendrer comme calculs, discussions, articles et analyses, ne fait pas le « buzz ». Les médias auront beau publier des listes estampillées « exclusif » et multiplier les analyses politiques et les « croit-on savoir de sources informées », le Tunisien n'y accorde aucune importance. La raison en est toute trouvée : la rupture est d'ores et déjà consommée entre le peuple et sa classe politique. Il l'a suffisamment montré à travers son intérêt à la chose publique et surtout à travers les chiffres des inscrits aux prochaines élections municipales par exemple. On aura beau nous dire que tout se passe bien, que les élections se tiendront en temps et en heure, mais comment expliquer que le citoyen tunisien ne s'intéresse pas aux élections qui auront le plus d'impact sur son quotidien ? Parce qu'il n'y croit plus tout simplement.
Ceux qui ont choisi Ennahdha en 2011 ont été déçus par les mensonges de ceux qu'ils avaient choisis. Ceux qui ont élu NidaaTounes en 2014 ne sont pas moins déçus, aussi bien par le rendement des gouvernants que par l'effritement du parti qu'ils avaient choisi. Cerise sur le gâteau, aujourd'hui les deux grands partis gouvernement ensemble pour un résultat mitigé, ce qui a vidé l'acte d'élection de tout son sens. Alors comment convaincre le Tunisien d'aller voter aux municipales sachant que la première des aberrations est qu'il s'agit d'un scrutin de liste, et la deuxième aberration est qu'il n'ya toujours pas de code des collectivités locales ?
En imaginant que les élections municipales se tiennent en décembre 2017, est-ce que le gouvernement serait remanié encore une fois au vu des résultats des élections ? Ce serait logique sachant que le peuple se sera exprimé par les urnes lors de ce scrutin. Et puis, quel est le contrat du gouvernement qui sera composé dans les prochaines heures ? Quelle sera sa mission ? Engager des réformes structurelles profondes ou tenir la baraque jusqu'en 2019 ? On peut dire sans trop se tromper que ce gouvernement devra faire passer une loi de finances capitale et qu'il gouvernera ensuite pendant un an avant d'entamer l'année électorale 2019. Qu'aura-t-il le temps de faire dans ce laps de temps ?
Le remaniement qui s'annonce n'est qu'une manœuvre politique qui permettra aux partis et aux organisations de pousser leurs pions dans la composition gouvernementale. C'est une partie d'échecs entre ceux qui veulent se limiter au pourvoi des postes vacants et ceux qui estiment disposer de compétences « pouvant former quatre gouvernements ». Ce remaniement permettra de juger, selon la composition du gouvernement, le poids et la capacité de négociation de chacun des protagonistes. Mais pour ce qui est de la situation de la Tunisie, circulez il n'y a rien à voir…