Plusieurs hashtags ont fusé sur la toile ces derniers jours. Partout, on peut lire #balancetonporc ou #meetoo sans forcément en comprendre le sens. Certains internautes ne savent pas du tout de quoi il s'agit. Les femmes en revanche, partout dans le monde, ne le savent que trop bien. L'appel, lancé aux Etats-Unis il y a quelques jours, a réussi à prendre une ampleur internationale. L'idée étant que toutes les femmes harcelées ou agressées sexuellement, peu importe où elles sont, postent ce hasthtag afin que les internautes réalisent l'ampleur des agressions dont elles sont victimes.
Les langues se délient à chaque fois après qu'une victime ait commencé à parler. La loi du silence semble brisée, un court instant, et les histoires fusent de partout. Un véritable mouvement s'organise sur la toile, en effet boule de neige, avant de disparaitre cédant la place à des affaires « bien plus graves ». A lire les témoignages, on a la certitude que toutes les femmes, ou presque, sont concernées. Faites le jeu de demander autour de vous. Toutes les femmes auront une anecdote à vous raconter sur le harcèlement qu'elles subissent, fréquemment, dans la rue, sur leur lieu de travail, dans les transports publics, et partout ailleurs dans des lieux insoupçonnés. Un inconnu qui vous agrippe les fesses ou la poitrine dans la rue, un automobiliste qui vous suit pendant que vous marchez, un passager qui vous susurre des obscénités à l'oreille, un patron ou un collègue un peu trop entreprenant… Les faits sont sordides, mais ils sont bien là.
Le mouvement est né après qu'une actrice connue ait dénoncé le harcèlement qu'elle a subi par le très célèbre producteur américain Harvey Weinstein. Depuis, le tout Hollywood s'est manifesté et le nombre de faits similaires a été impressionnant. Il suffit d'une étincelle pour que les langues, liées par la honte et la peur du scandale, commencent à s'exprimer. Un nombre inimaginable de célébrités affirment avoir été victimes du même homme ou d'autres encore. Des femmes qui donnent l'impression d'être mentalement solides, fortes et imperturbables n'ont pas osé dire non à un harcèlement presque banalisé dans leur milieu. Des femmes, oui, mais aussi des hommes. Il suffit de regarder les commentaires de parfaits inconnus qui accompagnent ce genre de nouvelles, pour comprendre pourquoi une personne « normale » n'ait pas pu se défendre, dire non, ou dénoncer ce genre d'agression au moment où elle se produit. La culture de la culpabilisation de la victime et la minimisation de l'agression en elle-même font que les gens ont peur de parler. Aussi longtemps qu'on demandera à une femme comment elle était vêtue lors de son agression, pourquoi elle ne s'est pas défendue, si elle a vraiment apprécié ce qu'elle a subi et qu'elle ne fait pas toute une histoire de rien du tout, les gens auront toujours du mal à parler.
Des Etats-Unis à la Tunisie, les pratiques restent les mêmes. Une jeune Hollandaise a eu la brillante idée de poster sur la toile, il y a quelques semaines, des selfies avec tous les hommes qui l'ont volontairement agressée dans la rue. Les images avaient fait le tour du monde et chaque femme s'était reconnue dans ces clichés. En août dernier, au Maroc, la vidéo d'une agression sexuelle contre une femme dans un bus provoque l'indignation générale. Des manifestations sont organisées dans tout le pays afin de dénoncer ce phénomène silencieux. Pourtant, ce genre de pratiques est loin d'être un cas isolé dans un pays où près de deux femmes sur trois sont victimes de violences (chiffres officiels).
En juillet dernier, le Parlement tunisien vote, à la majorité absolue, une loi qualifiée d'historique condamnant les violences faites aux femmes. Désormais, les coupables d'agression seront condamnés à de la prison ferme ou à des amendes. Dans les pays voisins, les femmes sont jalouses de leurs voisines tunisiennes. Notre pays est considéré comme pionnier en matière des droits des femmes, et ce dans l'ensemble du monde arabe. Mais comme pour toute autre chose, en Tunisie nombreuses lois restent belles sur le papier. A la lumière du jour, leur application demeure hasardeuse et semée d'embûches. Comment arriver, dans les faits, à prouver une agression ? En Tunisie, près d'une femme sur deux dit avoir subi au moins une fois des violences. Des violences dont on ne parle pas toujours car les victimes n'ont pas toujours le droit de se prétendre victimes. Oui car le mal dont elles souffrent est tellement banalisé qu'il s'en trouve, souvent, dénigré et diminué. Nous n'avons, en effet, pas seulement besoin de lois, mais d'un véritable changement de mentalités afin que les langues se délient et afin que les lois puissent être appliquées, sans quoi elles n'auraient plus aucune raison d'être.
Contrairement à ce qu'on a tendance à penser afin de mieux se morfondre, ce changement de mentalités n'est pas uniquement nécessaire en Tunisie, mais dans les autres pays du monde où le calvaire des femmes (et parfois aussi des hommes) agressées demeure relativement le même. Ce genre de campagne a au moins le mérite de faire parler, de faire connaitre les choses et de faire avancer le débat au moins un tout petit peu…