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Concubinage en Tunisie, quand le législateur s'invite dans les chambres à coucher !
Publié dans Business News le 16 - 02 - 2018

Qu'est ce qui pourrait empêcher deux personnes qui s'aiment de vivre ensemble, de devenir concubins ? En toute logique, la réponse devrait être : rien, toutefois dans nos contrées, cette forme de cohabitation est souvent traquée et les deux amants finissent parfois par se retrouver confrontés à la justice. Si la France a mis en place un cadre légal donnant même des avantages aux concubins, et dépénalisé l'union libre, la Tunisie ne prévoit aucune autre forme légale de « ménage » ou de lien amoureux consommé, mise à part celle entrant dans le cadre du mariage. Pour répondre à nos questions sur le concubinage en Tunisie, nous nous sommes entretenus avec Maitre Hejer Wanna Hentati qui a eu l'amabilité de nous éclairer sur le sujet…


Tous les amoureux n'ont pas forcément envie de sceller légalement leur union avec tous les effets juridiques que l'on connaît, et souvent ils décident de « prendre le temps de se connaitre, de cohabiter avant de se lancer tête baissée dans une procédure dont la réversion est plus que compliquée ». Nombre d'entre ceux que nous avons interrogé ont émis le désir de vivre sous le même toit que leur partenaire et ceux qui ont franchi le cap, bravant les regards obliques de leurs voisins, vivent, comme des criminels, sous le spectre d'une éventuelle intervention policière.

Si les tribunaux ne désemplissent pas de couples qui divorcent et si le pays se trouve en haut des classements mondiaux en la matière, rien ne semble amener le législateur à se poser des questions sur le bienfondé des restrictions archaïques qui régissent encore la vie « personnelle » des citoyens. Entre réalité et vécu, textes, appréhensions et idées reçues, nous avons contacté un avocat pour nous éclairer sur un sujet encore tabou.

A Maitre Hejer Wanna Hentati nous avons posé la question qui nous a été posée par tous ceux qui nous ont abordé sur le sujet ;

Que dit la loi tunisienne sur le concubinage ?

« L'article 515-8 du code civil français définit le concubinage comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Concubin signifie « celui qui couche avec ». La législation tunisienne ne prévoit pas le terme juridique « concubinage » ou sa notion juridique. Cependant, en cas de concubinage, deux crimes sont prévus par la loi :

Le premier crime est prévu par la loi n° 57-3 du 1er août 1957 réglementant l'état civil promulguée après le code du statut personnel
"L'article 36 de cette loi dispose que : l'union qui n'est pas conclue conformément à l'article 31 (acte de mariage) est nulle. Les deux époux sont passibles d'une peine de trois mois d'emprisonnement. Les époux, dont l'union a été déclarée nulle et qui continuent ou reprennent la vie commune, sont passibles d'une peine de six mois d'emprisonnement ».
Le terme « concubinage » n'est pas utilisé par le législateur dans cet article, cependant, le terme union veut bien dire concubinage puisque l'article 36 bis de la même loi reconnait certains effets de cette union à savoir l'établissement des liens de filiation et l'obligation d'observer le délai de viduité pour la femme ce qui suppose l'existence des rapports sexuels.
Le concubinage est donc interdit par la loi depuis l'indépendance, encore faut-il prouver l'existence d'un rapport sexuel entre les deux personnes supposées vivre en couple, car la loi n'interdit pas la colocation » nous a expliqué Mme Hentati.

La loi punit alors les relations sexuelles hors mariage entre deux adultes célibataires et ne punit pas la collocation.

« S'il est prouvé que deux personnes ont une relation sexuelle hors mariage, dans le cas de « flagrant-délit », le couple peut être passible de prison.
Le flagrant-délit est difficile à établir dans la majorité des cas, et parmi les preuves d'un concubinage, l'homme prend en charge le couple comme dans un mariage, c'est pourquoi la police judiciaire piège souvent les concernés dans les interrogatoires en demandant à la femme si son compagnon prend en charge les dépenses ménagères, en cas de réponse affirmative, le délit est établi.
Si certains concubins finissent devant le tribunal, ils le sont souvent suite à la « délation » des voisins.
Cependant, les voisins n'ont pas le droit de déposer directement une plainte contre quiconque pour concubinage car ils n'ont ni la qualité, ni l'intérêt pour agir selon la procédure pénale.
Il ne s'agit donc pas d'une plainte, mais d'une délation qui désigne une dénonciation consistant à fournir des informations concernant un individu, en général à l'insu de ce dernier, souvent inspiré par un motif : « contraire à la morale ou à l'éthique ».
Il est opportun dans ce cadre de rappeler que l'objectif du législateur par cette interdiction du concubinage, n'était pas de limiter la liberté individuelle, elle n'est inspirée d'aucun motif en rapport avec la morale ou l'éthique, mais l'objectif était d'interdire le mariage « Orfi » encore pratiqué à l'époque » a-t-elle tenu à souligner.

Le deuxième crime est lié aux attentats à la pudeur
« Selon la loi tunisienne c'est la section III du code pénal qui réglemente les attentats aux mœurs (les articles de 226 à 240 bis)
Les cas des attentats aux mœurs selon le code sont les suivants :
1/ outrage public à la pudeur (doit être commis publiquement)
2/attentat à la pudeur (les cas du viol)
3/ excitation à la débauche (les cas de prostitution, le délit nécessite l'existence d'un profit comme contrepartie pour la prostitué ou le proxénète)
4/ adultère (le délit nécessite un statut de mariage)
5/ enlèvement (pas forcement en rapport avec l'attentat aux mœurs)

Parmi ces cas, c'est généralement celui de la prostitution qui est utilisé pour sanctionner le concubinage.
En effet, l'article 231 du code pénal dispose que : Hors les cas prévus par les règlements en vigueur, les femmes qui, par gestes ou par paroles, s'offrent aux passants ou se livrent à la prostitution, même à titre occasionnel, sont punies de 6 mois à 2 ans d'emprisonnement, et de 20 à 200 dinars d'amende. Est considéré comme complice et punie de la même peine, toute personne qui a eu des rapports sexuels avec l'une de ces femmes.
Cette formule large et ouverte permet à l'autorité de considérer ou requalifier le concubinage comme une prostitution .Ce délit est facile à établir par le simple fait de prouver que la femme a reçu une contrepartie matérielle avant ou après le rapport sexuel.
Si le concubinage n'est pas prouvé par ses propres caractéristiques (une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité avec un rapport sexuel continuel dont le compagnon prend en charge le couple) l'autorité requalifie le concubinage en un délit de prostitution grâce à la formule ouverte de l'article 231du code pénal.
Si la femme nie la cohabitation et l'union mais confirme, par exemple, que son compagnon lui a payé un diner ou un cadeau avant ou après le rapport sexuel, cela peut être suffisant pour que la police judiciaire la considère comme une prostituée et son compagnon comme complice.
Enfin, dans tous les cas de concubinage, la police intervient sur la base d'une dénonciation d'un attentat aux mœurs. Il est vrai que le code pénal ne prévoit pas le concubinage mais la police se débrouille souvent pour accuser les concubins de prostitution si l'article 36 de la loi n° 57-3 du 1er août 1957 ne s'applique pas aux faits.
Pour résumer, la loi tunisienne n'interdit pas la colocation mais interdit le concubinage qui peut être soupçonné en cas de colocation entre deux personnes de sexe différent » a précisé l'avocate.

Le concubinage est donc, et comme craignent tous ceux qui sont cette posture, légalement assimilé à la prostitution. D'ailleurs, lors des descentes policières effectuées auprès des couples concubins, le motif d'arrestation est souvent trouvé dans un billet qui traine par ci, ou une bouteille de coca achetée par monsieur qui traine par là. Il est évident que mélanger relation amoureuse, concubinage et prostitution est réducteur et tiré par les cheveux. Cette « tutelle morale imposée par l'Etat » n'a plus aucun lieu d'être selon les couples que nous avons rencontrés.
« Nous ne faisons rien de mal, nous sommes libres de vouloir nous marier ou pas et quelque part nous véhiculons un message d'amour et de tolérance. Oui nous avons parfois peur, mais nombreux de nos voisins nous traitent comme un couple « normal » et nous regardent souvent avec beaucoup de bienveillance. Il faut arrêter avec ces lois qui nous poursuivent jusque dans la chambre à coucher, nous sommes adultes et consentants, nous avons le droit de choisir comment mener notre vie. On nous impose de nous marier, pour ressembler à ces couples qui remplissent les tribunaux, qui se découvrent quand le mal est fait et qui n'ont souvent même pas le courage de s'en défaire. Et si nous n'avons juste pas envie de nous marier, pourquoi nous ôter le droit de cohabiter, d'avoir une relation ? Cela n'a aucun sens ! Et puis en ce temps de crise, qui a encore les moyens de vivre seul ou encore de se marier convenablement ? Cohabiter c'est aussi pratique en un sens, c'est partager des charges et affronter la vie à deux… il faut cesser avec ces lois moyenâgeuses qui laissent planer une ambiguïté partout et nous place à la merci des humeurs des juges et des policiers » nous a confié un couple qui habite « illégalement » la banlieue nord de la capitale.

Sur la question du que faut-il faire, Maitre Wanna Hentati a estimé qu'il faudra dépénaliser le concubinage en abrogeant l'article 36 de la loi 57-3/1957 « devenu anachronique » et restreindre et préciser la définition de la prostitution prévue par l'article 231 du code pénal.
« Il faudra également insérer le concubinage dans le code du statut personnel et le règlementer à l'image de certaines législations étrangères. Une intervention législative est donc indispensable dans ce sens pour confirmer les libertés individuelles consacrées par la constitution (liberté de la conscience, liberté de disposer de son corps, liberté de religion...etc.) » a-t-elle conclu.

Evidemment, il serait naïf de croire que la question soit incessamment abordée et encore plus qu'elle soit rapidement « réglée ». La commission des libertés individuelles et de l'égalité, créée par le président de la République, Béji Caïd Essebsi pour préparer un rapport relatif à l'amélioration des libertés individuelles conformément à la Constitution de 2014 mais également aux standards internationaux, a du pain sur la planche. Sinon, toute référence à la religion a sciemment été évitée dans ce papier, partant du principe que le débat est juridique et non idéologique et voulant nous épargner une énième impasse…


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