« Savez-vous que la corruption et la mauvaise gestion dans les transactions publiques, coûtent annuellement 2000 MD au contribuable tunisien ? ». Cette question soulevée dans un prospectus de l'Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc), n'est pas la seule à avoir capturé l'attention des présents, lors de la conférence de presse organisée mercredi 9 mai 2018, dans les locaux de l'Instance. Après l'exposé de plusieurs études quantitatives, des dirigeants d'organes étatiques de surveillance et de contrôles ont appelé à plus d'indépendance et de coordination entre les différentes structures. Où en est la Tunisie par rapport aux standards internationaux en la matière ? « En Tunisie, 500 cadres sont occupés à contrôler 3150 budgets étatiques de municipalités, d'assemblées régionales, d'entreprises publiques, de ministères et autres instances institutionnelles, pour un budget total de 45.000 MD. Leur travail ne s'arrête pas là, car il faut aussi surveiller : 650.000 employés du secteur public et 15.000 autres transactions annuelles. Nous ne pensons pas que les 500 cadres peuvent venir à bout d'une telle mole de travail », a déclaré Adel Ghozzi, président de l'Association des cadres de contrôle, d'inspection et d'audit dans les structures publiques tunisiennes (ACCIA), lors de son intervention dans la salle archicomble du local des Berges du Lac 1 de l'Inlucc.
L'évènement présidé par Chawki Tabib, président de l'Inlucc a eu pour objectif : l'énumération des faiblesses des structures de surveillance en Tunisie, l'exposition des différentes philosophies en la matière et la formulation de recommandations visant plus d'efficacité. A part la mise en évidence d'un manque flagrant d'effectifs, Adel Ghozzi a dans son exposé, évoqué le manque de coordination entre les différentes structures chargées de la surveillance et du contrôle des comptes publiques. Il a aussi pointé le manque de fiabilité du Système de gestion des affaires administratives du personnel de l'Etat (INSAF) mis en place en 1982. « Ce système procure des données trop approximatives», s'est-il exclamé. « Trop de choses ne sont pas surveillées. Nous n'avons pas de base de données et nous ne savons même pas combien il y a exactement d'employés dans le public. Notre gestion publique n'est pas contrôlée. Il faut revoir la logique de contrôle en tenant compte de ses données », a-t-il aussi déclaré.
En Tunisie, les critères de choix des présidents des différents organes de contrôle, ne sont pas clairs. Un manque de transparence dénoncé par plusieurs intervenants et qui engage de façon directe les paramètres de la bonne gouvernance. Pour eux, la Tunisie doit baser son système de surveillance et de gestion sur le risque comme c'est le cas dans les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Une nouvelle philosophie donc, qui tire sa force de systèmes d'informations performants.
Charfeddine Yaakoubi, président de l'Association tunisienne des contrôleurs publics a lui énuméré les graves dépassements observés et qui mettent à mal l'indépendance des différentes structure. Sur ce point, Il a évoqué les incidents de violences verbales et menaces, subies régulièrement par les contrôleurs et a appelé à leur fournir la protection adéquate afin de garantir l'indépendance de leurs rapports. « Ces actes peuvent arriver à n'importe qui. Il faut garantir une protection aux contrôleurs ! », a-t-il martelé.
Les systèmes de gestions par le risque, adoptés à l'unanimité par les pays anglo-saxons ainsi que ceux de l'OCDE, dans les années 80-90, ont prouvé leur efficacité et n'ont cessé d'évoluer depuis. Pour en parler, Richard Martinez, expert auprès de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), était également présent. « L'intégration de nombreux pays de l'ex-Union soviétique dans la construction européenne a constitué un véritable défi. Ces pays qui ont du changer complétement leur manière de penser la surveillance et le contrôle des choses publiques, vivent aujourd'hui une forte dynamique de renouveau » a-t-il assuré. Durant son exposé d'une vingtaine de minute, l'expert s'est employé à décrire, la philosophie des pays de l'OCDE en matière de contrôle et de surveillance. « Aujourd'hui on parle même d'un contrôle par l'évaluation car l'évaluation des politiques publiques permet de relever les infractions. En Europe c'est un instrument de plus en plus important et développé. Aussi, pour nous, l'indépendance fonctionnelle est essentielle pour le contrôle, sans elle, il n'y a pas de contrôle. », a-t-il en outre, expliqué.
Dans les différentes interventions, a surgi également l'émergence d'une structure de coordination qui devra centraliser les informations arrivant des différents organes. « Une structure qui devra aussi avoir le pouvoir décisionnel et qui sera sous le contrôle de l'exécutif », a expliqué Adel Ghozzi.
Depuis la création de l'Inlucc en 2011, peu d'efforts ont été déployés par les autorités publiques pour combattre la corruption. Les systèmes et mécanismes de gestion, employés dans les autres structures de contrôle datent des années 80. Résultat, l'impact du phénomène sur les comptes publics se chiffre en milliers de millions de dinars. Aujourd'hui, sous la pression de la société civile les différents organes se sont levés pour dénoncer une situation devenue insoutenable. Seront-ils écoutés ?