Ceux qui s'épandent à chaque occasion sur les « diktats » du Fonds monétaire international (FMI) et ses insoutenables conditions, particulièrement de la part des experts ou plutôt ce qu'ils supposent être, ont-ils lu le dernier rapport du FMI relatif aux consultations au titre de l'article IV des statuts du Fonds ? Le document les inviterait à relativiser leur avis ou position à l'égard de l'institution financière multilatérale car ses auteurs n'y consignent pas seulement l'état des lieux et leur analyse de la situation économique du pays et de ses perspectives, mais ils rapportent aussi les points de vue et positions des autorités du pays sur les mêmes sujets. Autrement dit, on est aisément mis au fait des discussions qui, à la lecture, prennent l'allure par moment de véritables négociations entre les deux parties, battant en brèche l'idée préconçue d'une unilatéralité des recommandations d'orientations formulées dans le document ; document qui est présenté pour étude, validation et publication, aux membres du Conseil d'administration du FMI. A cet égard, le thème du taux de change du dinar semble avoir cristallisé les divergences entre l'équipe du Fonds et les autorités tunisiennes. Entre la nécessité d'ajuster le taux de change effectif réel, comprendre déprécier davantage le dinar ou maintenir en l'état le taux de change nominal de la monnaie nationale. Certes, la première démarche soutenue par l'équipe du Fonds prend en considération la nécessité de préserver les réserves en devises du pays lui permettant de faire face, le cas échéant à un choc intérieur ou extérieur imprévu. En outre, cette option à l'avantage de booster la compétitivité-prix à l'export et de freiner l'envolée des importations. C'est dans ce cadre d'ailleurs que le FMI propose de réduire les interventions de l'autorité monétaire sur le marché des changes fournissant ainsi une plus grande flexibilité au taux de change du dinar. Selon les estimations de l'équipe du FMI, le taux de change effectif réel demeure encore surévalué de 10-15%, en dépit des dépréciations opérées durant l'année 2017 (10% au total) estimant qu'une dépréciation du même ordre aurait l'avantage d'améliorer le solde du compte courant et de reconstituer les réserves en devises. On explique par ailleurs que si le volume des transactions sur le marché des changes demeure actuellement aussi bas c'est forcément parce que le dinar n'a pas encore atteint sa valeur d'équilibre.
Cette approche ne semble pas du tout convaincre la partie tunisienne. « Les autorités ne sont pas d'accord avec le FMI sur l'ampleur de la surévaluation du taux de change effectif réel. Elles estiment que cette surévaluation est résiduelle et sa correction s'inscrit dans une perspective de moyen terme », lit-on dans le rapport. Ainsi, on considère du côté tunisien que le taux de change effectif réel du dinar est suffisamment compétitif et qui, si par ailleurs, les réserves internationales nets du pays sont en recul, ce n'est pas pour des raisons économiques, mais que cela renvoie en grande partie au contexte politique et surtout à l'instabilité sociale qui empêche un retour à la normalité particulièrement dans des secteurs dont l'impact sur les réserves en devises du pays est substantiel sinon essentiel comme par exemple les phosphates et l'énergie. D'autre part, les autorités du pays ne sont pas contre le principe d'une limitation des interventions de la Banque centrale sur le marché des changes. Sauf qu'elles considèrent que cette démarche et sa résultante en termes de flexibilité accrue du taux de change est conditionnée à la reprise d'une part de l'activité de production énergétique qui réduirait en conséquence le coût des importations en la matière et d'autant le déficit commercial ainsi que celui des paiements courants et d'autre part l'activité de production de phosphate qui boosterait les exportations et renforcerait en conséquence les réserves en devises du pays. Plus encore, selon le rapport, le gouvernement tiendrait le pari de relever le stock de devises du pays à l'équivalent de 3,4 mois d'importations contre 2,4 mois d'importations actuellement.
Le gouvernement aurait bien pu aller de l'avant dans son argumentaire en présentant l'étude l'élaborée par la Banque centrale en collaboration avec la Banque de France sur l'impact d'un choc de taux de change sur l'économie tunisienne dans laquelle on lit notamment qu' « un choc de taux de change provoque une chute statistiquement significative et rapide du PIB non agricole. L'effet maximum est observé au cours du 4ème trimestre après le choc, puis la variation s'annule progressivement ».
Cette étude va encore plus loin dans la mesure où elle a évalué l'impact du taux de change sur les prix à l'import, les prix à la production et les prix à la consommation. Celui est conforme à l'intuition économique puisque l'étude montre qu' « au total, la transmission [d'une variation du taux de change] est plus importante et plus réactive sur les prix à l'importation que celle sur les prix à la production et les prix à la consommation. Les prix à l'importation sont ainsi les plus sensibles aux variations du taux de change mais aussi les plus rapides à réagir à ses variations. Le pass-through à long terme du taux de change aux prix à l'importation est quasi-complet, il est fort aux prix à la production (entre 0,5 et 0,7) et plus modéré aux prix à la consommation (0,2 à 0,3) ». Autrement dit, une dépréciation du taux change risque de freiner la croissance réel et de relancer l'inflation. De ce point de vue, on est sacrément loin de la relance économique et de l'objectif de lutte contre l'inflation.
Le FMI n'a-t-il pas eu vent de ce rapport tout comme nos experts patentés en dénonciation de diktat du FMI n'ayant pas eu vent du Rapport concluant les Consultations au titre de l'article IV des statuts du FMI ?