La récente pénurie de médicaments a bien prouvé une chose : le système actuel n'est plus viable. Il l'est aussi pour les industriels pharmaceutiques qui ont profité du Forum International Médical de Réalités sous le thème de "L'industrie pharmaceutique tunisienne face à ses défis", qui se tient les 28 et 29 juin 2018 à Hammamet, pour lancer un cri de détresse : le secteur sera en péril si de rapides décisions ne sont pas prises. Inaugurant l'événement, le chef du gouvernement, Youssef Chahed a souligné qu'avoir accès aux médicaments est une partie du droit à la santé garantie par la constitution et que la sécurité médicamenteuse est une nécessité de souveraineté. « En outre, les industries pharmaceutiques sont un secteur stratégique et vital pour notre pays, ayant un poids important dans le développement du pays, dans l'investissement, la création de l'emploi et surtout dans la balance commerciale, étant un secteur exportateur ». Le secteur a connu ses débuts dans les années 90, il croît au rythme de 11% annuellement. Aujourd'hui, Il est composé de 43 usines pharmaceutiques et emploie 6.500 personnes, avec un taux d'encadrement de 40%. 500 millions de dinars (MD) ont été investis dans ce secteur, ayant permis la réalisation d'un chiffre d'affaires de 700 MD et 50% de nos besoins en médicaments. « Nos exportations ont atteint les 100 MD vers des pays arabes, africains et méditerranéens », selon le chef du gouvernement.
M. Chahed a aussi évoqué les problématiques liées au secteur, notamment la politique de fixation des prix des médicaments, le soutien de l'export, la restructuration du secteur, la simplification des procédures et la diminution d'obtention des autorisations de mise sur le marché des médicaments (AMM), etc. « Le gouvernement est prêt à faire les efforts qui s'imposent, mais à condition que le secteur s'engage dans le cadre d'un programme à réaliser certains objectifs en termes de production, d'exportation et d'emplois », a assuré Youssef Chahed. Le chef du gouvernement a aussi évoqué les déboires de la Pharmacie centrale qui souffre de difficultés structurelles comme la majorité des entreprises publiques et qui sont en train de menacer son efficacité, pire sa pérennité. Ainsi, il préconise la mise en place d'un programme de sauvetage de cette institution et qui a d'ailleurs commencé en lui allouant 500 MD, pour pouvoir payer ses créanciers et pourvoir pallier le manque de médicaments. Il a également parlé des déboires des caisses sociales et des réformes profondes qu'il faudra engager, pour qu'elles puissent payer la Pharmacie centrale.
Pour sa part Taieb Zahar, l'organisateur du forum, a fait un état des lieux du secteur. Il a indiqué qu'«en l'espace d'à peine deux décennies, notre industrie nationale du médicament, partie presque de rien - il y avait juste une filiale de la PCT la Siphat, qui couvrait à peine 6% de la consommation locale de médicaments et l'institut Pasteur qui fabriquait les vaccins et les sérums - a connu un envol exceptionnel pour atteindre une couverture de près de 60% de nos besoins en médicaments. Comme vous pouvez le noter, l'industrie pharmaceutique a contribué à l'essor de l'économie nationale en créant plus de 6000 emplois dont 50% concernent les diplômés du supérieur et particulièrement ceux issus des filières médicales et en rapportant à l'état un chiffre d'affaires de 700 millions de dinars par an» Et d'ajouter : «L'industrie pharmaceutique tunisienne est capable de faire encore mieux, de couvrir 70% des besoins locaux en médicaments, comme vous l'avez souhaité et annoncé Monsieur le chef du gouvernement, dès lors qu'on lui offre les conditions nécessaires. Mais, le secteur est freiné, voire menacé sérieusement». M. Zahar pointe en particulier les dernières décisions prises par l'administration de tutelle. Il s'est engagé, à soumettre au gouvernement des propositions réalistes capables de redorer le blason de l'industrie pharmaceutique tunisienne.
L'industrie pharmaceutique tunisienne se trouve menacée de déchéance lente et irréversible, étouffée par une règlementation qui lui serre les vis chaque jour un peu plus jusqu'à l'étranglement. Les industriels pointent notamment des freins à l'exportation et la lenteur pour l'obtention des AMM ou les licences d'exploitation d'unité de fabrication. Ils appréhendent aussi les nouvelles conditions imposées aux médicaments dans le cadre des négociations des accords de libre-échange, Aleca. Ils dénoncent aussi le fait d'appliquer aux produits locaux une TVA de 7% contre aucune imposition, droit de consommation ou autre pour les produits importés. La compensation est l'autre mal qu'il dénonce et qui est en train de ranger le secteur et de l'affaiblir face à la concurrence.
Pour faire face aux lenteurs et étant conscients des difficultés du gouvernement à mettre en place les moyens nécessaires, certains industriels se disent prêts à financer les laboratoires de contrôle pour accélérer les choses, ces blocages leur coûtant des centaines de milliers de dollars. D'autres réclament l'aide des autorités pour l'enregistrement, en concluant des accords internationaux, ce qui va leur faciliter les procédures.
Tous rêvent que la Tunisie emboite les pas de la Jordanie, pour qu'elle soit elle aussi un exportateur de médicaments.