Demain, mercredi 25 juillet 2018, la Tunisie fêtera le 61ème anniversaire de la République. Une République arrachée au sang des martyrs tombés sous l'occupation et à la force de la détermination des militants qui n'ont reculé devant rien pour récupérer un pays vendu aux Français. Aujourd'hui, l'heure est grave et ce précieux acquis est en souffrance. A force de tiraillements, d'appauvrissement de ses institutions, la République est plus que jamais affaiblie et menacée… Le 25 juillet 1957, l'assemblée nationale constituante décidait l'abolition de la monarchie et l'instauration de la République. Habib Bourguiba est alors proclamé président de la République de Tunisie et entame avec l'ardeur qu'on lui connait les réformes qui feront du pays la « Suisse de l'Afrique ». Aujourd'hui, 7 ans après la révolution et l'avènement de la deuxième République, la Tunisie touche le fond et contre la liberté d'expression, a perdu tout ce qui a fait d'elle la perle de l'Afrique.
Si l'an dernier, nous assistions à la célébration de la République avec trois présidents souriants et complices. Cette année, les choses ne se passeront certainement pas comme ça. En cause, les intrigues qui secouent la cour du palais de Carthage et la guerre qui oppose le dauphin du chef de l'Etat, Hafedh Caïd Essebsi et son fils spirituel devenu illégitime, Youssef Chahed. Une guerre qui vient s'ajouter à un paysage économique et social dans la tourmente et à un constat édifiant de l'impuissance manifeste des institutions de la République.
Nous avions, à cette même occasion, évoqué l'an dernier la dispersion des pouvoirs et l'incompétence des personnes nommées à des postes de responsabilité. Rien n'a changé depuis, si ce n'est en pire. Avec un exécutif partagé en deux pouvoirs et un parlement de moins en moins crédible, les équilibres et les enjeux politiques priment sur ce qui n'est désormais qu'un slogan : la préservation des intérêts de la nation et donc de la République.
Avec un roi en fin de règne, influençable et vulnérable, tous les espoirs mais aussi tous les coups sont permis. La cour qui gravite autour de Béji Caïd Essebsi est semblable à celle qui a de tout temps accompagné tous les monarques. Divisée en camps soutenant un successeur contre l'autre, elle se livre une guerre sans merci. Entre un Youssef Chahed qui représente pour certains une stabilité politique nécessaire à l'avancement des réformes dans le pays, malgré la réussite relative de son bilan, et un Hafedh Caïd Essebsi pantin exploitable à souhait selon de nombreux observateurs, les cœurs, mais surtout, les intérêts balancent. Viennent s'ajouter à cela les nombreux blocages dus principalement à l'incapacité du pouvoir législatif à voter des lois et installer définitivement des institutions piliers de la République. Le parlement en a donné l'exemple aujourd'hui en étant incapable d'élire les trois membres restants de la cour constitutionnelle. Pourtant, ce n'est pas le temps qui leur a manqué. Ce qui manque c'est tout simplement la bonne foi. Pris dans le cercle vicieux des tiraillements partisans tous les partis se sont accordés à ne pas se mettre d'accord peu importent les conséquences que cela peut avoir sur le pays. Avidité et égos surdimensionnés obligent ! Les lois elles-mêmes se sont avérées inapplicables car inspirées d'une constitution qui a péché par idéalisme et par précipitation. Encore un motif de blocage. L'union nationale porteuse de tous les espoirs a fait place à une anarchie qui a mené à l'immobilisme, à l'heure où la Tunisie tire sa dernière cartouche pour se rattraper et retrouver une crédibilité ébranlée surtout par son instabilité politique. De l'Accord de Carthage, à l'Accord de Carthage 2, le chemin a été semé d'embûches. Armés de bâtons, les acteurs politiques bloquent toutes les roues et les discours ne sont plus que de vaines critiques qui ne changent rien à la vie de citoyens éberlués et impuissants. Privés d'eau, privés de lait, privés d'un pouvoir d'achat capable de leur offrir une vie digne, ils sont de plus en plus nombreux à être las des choses de la politique mais la révolte populaire commence à gronder et ne tardera pas à éclater si les choses continuent ainsi.
Ce n'est donc pas sous les meilleurs auspices que la fête de la République sera commémorée en 2018. Car la République n'est désormais que le joli mot qui vient signer une constitution, elle-même achevée dans la douleur, et qui pour nombreux ne veut plus rien dire. Dénuée de ce qui fait sa noblesse et trainée dans la boue, elle survit dans l'amertume des anciens, qui ont connu de près les sacrifices consentis pour la mériter. Pour un pays qui a connu l'occupation et l'oppression, le fait de ne pas protéger cet acquis très chèrement payé, est d'une absurdité affligeante. Heureusement que les commémorations sont là, pour que l'on s'en rappelle au moins une fois par an !