Deux semaines déjà que nous connaissons, ou presque, la composition du nouveau parlement sans que cela ne débouche sur une perspective claire concernant le nouveau gouvernement. Il est vrai que le compte à rebours n'est pas encore enclenché pour le parti islamiste du fait que les résultats définitifs des élections législatives n'ont pas encore été proclamés par l'ISIE. Mais les tractations préliminaires tenues durant les deux dernières semaines entre Ennahdha et ses alliés potentiels, ou du moins ce qui s'est laissé transparaitre de ces tractations, montrent à quel point la marge de manœuvre pour le parti islamiste est serrée. Pour l'instant, Ennahdha continue à s'attacher à son discours de parti vainqueur des élections, qui cherche des alliés pour son prochain gouvernement, mais à ses propres conditions. Ces dernières se résument en trois points : accepter que le chef du gouvernement soit nahdhaoui, accepter que le programme du gouvernement soit celui d'Ennahdha et accepter de soutenir la candidature de Rached Ghannouchi à la présidence de l'ARP. Seulement, ce discours de parti vainqueur est truffé de contre-vérités qui n'ont pas échappé ni aux adversaires d'Ennahdha, ni à ses alliés qui semblent décidés d'en profiter. En politique, comme dans une partie de poker, à trop vouloir bluffer, on risque de jouer à découvert. La première de ces contre-vérités est de dire qu'Ennahdha a gagné les élections législatives. En fait, le parti islamiste n'a pas gagné les élections. Il est juste le parti qui a eu le plus de sièges ce qui lui donne le droit selon la constitution de proposer le chef de gouvernement. D'ailleurs, l'actuel mode de scrutin exclue pratiquement l'idée qu'un parti politique puisse gagner des élections législatives et obtenir une majorité de 109 sièges à lui seul, lui permettant de gouverner sans être obligé de recourir à des alliances, donc d'accepter de faire des concessions à ses alliés. Dans le cas présent des élections législatives 2019, on peut même affirmer que, non seulement Ennahdha n'a pas gagné les élections, mais qu'il y a laissé des plumes. En effet, les 52 sièges récoltés le 13 octobre dernier représentent moins du quart des sièges du parlement alors qu'il y a à peine huit ans, le parti islamiste se pavanait de plus du double de ses sièges aujourd'hui et de presque de la moitié du nombre total des sièges du parlement. La seconde contre-vérité est en rapport avec l'élection du président de la république. Le parti islamiste veut faire croire que le président Kais Said a été élu grâce à lui et aux mots d'ordre de vote en sa faveur. Bien entendu, cette affirmation est totalement fallacieuse, car au premier tour de l'élection présidentielle, Ennahdha avait engagé son propre candidat en face de Kais Said, qui n'est autre que son premier vice-président Abdelfettah Mourou. Ce dernier à connu un échec cuisant et a échoué à passer au second tour, dépassé par Nabil Karoui, un candidat emprisonné et empêché donc de mener sa campagne électorale. Au vu du plébiscite récolté par Kais Said au second tour, les consignes de vote des islamistes en sa faveur deviennent presque insignifiantes et anecdotiques. C'est pourquoi ce discours victorieux d'Ennahdha ne pèse pas lourd dans ses tractations avec ses alliés potentiels. Le parti islamiste sait qu'il sera amené à faire des concessions au Tayar de Mohamed Abbou et au mouvement Echâb de Zouheir Maghzaoui, quitte à nommer un chef de gouvernement qui ne soit pas officiellement membre d'Ennahdha. Après tout, nous avons déjà eu un chef de gouvernement, Habib Essid, qui n'était pas officiellement du Nida, mais qui l'était réellement. Nous avons aussi connu des ministres indépendants, nawfel jammali, Nadhir Ben Ammou, Faycel Derbal et autres, qui se sont présentés comme des indépendants pour les retrouver, quelques temps après, sur les listes électorales d'Ennahdha. La seule condition sur laquelle le parti islamiste sera intransigeant au cours des tractations politiques avec ses alliés potentiels, est le soutien à la candidature de Rached Ghannouchi à la tête du parlement. Pour ce faire, elle agitera au moment opportun, son joker majeur qui est la possibilité d'aller vers des élections législatives anticipées. A ce moment là, tout rentrera dans l'ordre et tous accepteront les conditions du parti islamistes pour éviter un scénario trop risqué pour eux. En effet, dans l'éventualité d'élections anticipées, seule Ennahdha peut garantir environ 40 sièges. Les autres formations politiques, y compris Kalb Tounes et notamment le Tayar, Le mouvement Echâb et la coalition Karama ne garantissent pas l'amélioration de leurs scores et ne garantissent même pas la préservation de leurs sièges actuels. A titre strictement indicatif, tous les 14 sièges de Tahya Tounes ont été obtenus grâce aux plus forts restes.