Elyes Fakhfakh décide avec qui il formera son gouvernement mais surtout qui en sera exclu. S'il préfère ne pas évoquer le mot « exclusion », il se montre plutôt intransigeant. Pas de Qalb Tounes dans son équipe. De quoi donner déjà une dimension politique à un gouvernement qu'il voulait pourtant garder à l'abri des tiraillements et pour lequel il a promis d'assurer le plus large soutien possible… Première conférence de presse ce matin vendredi 24 janvier 2020 pour Elyes Fakhfakh. Le chef du gouvernement fraîchement désigné à la Primature par le président de la République Kaïs Saïed, souhaite visiblement se démarquer de son malheureux prédécesseur Habib Jamli. Une conférence de presse qui commence pile à l'heure et où on répond à toutes les questions. De quoi trancher avec les rendez-vous à rallonge, plusieurs fois retardés, de Habib Jamli qui ont fait jaser journalistes et observateurs de la scène politique. C'est un Elyes Fakhfakh plutôt ferme qu'on a vu aujourd'hui répondre sans sourciller aux nombreuses interrogations entourant son équipe. Une question était sur toutes les bouches. « Pourquoi avoir exclu Qalb Tounes des concertations autour de la formation du gouvernement ? ».
Arrivé deuxième aux élections législatives, le parti de Nabil Karoui compte 38 députés au Parlement. Pourtant, il a été le grand absent des concertations autour de la formation du prochain gouvernement d'Elyes Fakhfakh. Le candidat à la Primature explique cette « exclusion » - qui n'en serait pas une selon lui – par « des critères basés sur la symbolique du deuxième tour de l'élection présidentielle et la volonté exprimée massivement par le peuple ». Un peu étonnant pour un Elyes Fakhfakh qui a était loin de passer au second tour et n'a récolté au premier que 0,34% des voix, à la tête d'un parti politique qui a disparu de la scène depuis des années.
Mais Elyes Fakhfakh semble vouloir d'emblée donner une dimension politique à son gouvernement, avant même d'en exposer le programme. Il lui donne même une couleur, celle de « la ligne révolutionnaire, des réformes et de la lutte an-corruption ». Pour cela, il se cache derrière Kaïs Saïed et prend à son compte le score massif réalisé par l'actuel chef de l'Etat. Il s'agirait donc bel et bien d'un gouvernement du président, contrairement à ce que Kaïs Saïed lui-même a déclaré.
« Le vote a permis de connaitre les valeurs exprimées par le peuple. Le peuple a dit non à la corruption » a affirmé Elyes Fakhfakh aujourd'hui lors de sa conférence de presse. Il ajoute : « 2,6 millions de Tunisiens ont choisi ce cheminement. On ne peut pas mettre tout cela de côté et partir dans l'autre sens ». C'est pourtant dans l'autre sens que Kaïs Saïed a décidé d'aller en nommant Elyes Fakhfakh, un choix contesté par une partie de la classe politique puisque massivement rejeté par les urnes. Cependant, Elyes Fakhfakh semble vouloir aller en cohérence avec les idées exprimées par le chef de l'Etat, à savoir un choix de rupture. Si le parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi s'est d'emblée déclaré dans l'opposition, affirmant qu'il ne proposera aucun candidat à ce gouvernement dont il ne veut pas faire partie, ce n'est certes pas le cas de Qalb Tounes. Le parti de Nabil Karoui n'a, en effet, pas émis de « réserves particulières au sujet d'Elyes Fakhfakh » et l'a même appelé à « s'ouvrir à tous les partis politiques et aux organisations, sans exclusion, et d'entamer des concertations afin de s'assurer du soutien politique et parlementaire nécessaire pour relever les défis et faire sortir le pays de la crise ». D'ailleurs, réagissant à la conférence de presse de ce matin, le député Qalb Tounes, Oussama Khlifi, a affirmé que « le parti était décidé à s'opposer au gouvernement de l'exclusion ». Il est ainsi très probable que le parti Qalb Tounes n'accorde pas sa confiance au gouvernement Fakhfakh au Parlement, pour pouvoir se placer du côté de l'opposition. Le gouvernement devra donc se passer des voix de Qalb Tounes et du PDL, soit 55 voix en moins. De quoi amoindrir ses chances de réunir les 109 voix nécessaires pour obtenir la confiance du Parlement.
« Ce gouvernement marquera le début d'une ère nouvelle », a affirmé Elyes Fakhfakh expliquant qu'il « veillera à élargir le soutien politique autour de ce nouveau gouvernement afin qu'il puisse obtenir la confiance devant le Parlement ». Il a en effet expliqué avoir « entrepris des concertations avec les partis politiques qui se ont exprimés, lors du deuxième tour de l'élection présidentielle, en partageant les valeurs du chef de l'Etat Kaïs Saïed et la volonté des citoyens pour le changement et la lutte contre la corruption ». Hier, la veille de sa conférence de presse, il s'est entretenu avec les représentants d'Ennahdha, d'Attayar, d'Al Karama, d'Echaâb, de Tahya Tounes, de l'UPR, d'Afek Tounes et d'El Badil. Il a d'ailleurs expliqué qu'il veillera à « élargir le soutien politique pour que ce gouvernement obtienne une confiance large et solide au Parlement, représentant de la volonté du peuple », tout en le maintenant « à l'égard des tiraillements politiques qui pourraient entraver son action ». Et pourtant, il n'hésite pas à déclarer officiellement Qalb Tounes persona non grata dans son équipe, l'associant ouvertement à la corruption et aux pratiques non-révolutionnaires.
Cette rupture nette avec le parti arrivé deuxième au Parlement n'est certes pas le choix le plus prudent d'Elyes Fakhfakh. Si cette annonce peut sembler courageuse, elle lui a été visiblement soufflée par le chef de l'Etat Kaïs Saïed. Ce que lui-même laisse entendre dans sa conférence. Mais l'exclusion du PDL et de Qalb Tounes n'est pas seulement une idée de Kaïs Saïed. Elle est partagée par les partis politiques qui l'entourent et le soutiennent et qui prônent un gouvernement révolutionnaire donnant ainsi naissance à une coalition nouvelle formée par Ennahdha, Attayar, Echaâb et Tahya Tounes. Un point sur lequel les deux hommes sont en totale harmonie...