Sur les colonnes du Courrier de l'Atlas, Hatem M'rad, professeur de sciences politiques procède à une analyse du phénomène de la violence qui envahit la phase postrévolutionnaire en Tunisie et l'espace politique. Sous le titre révélateur « Ennahdha et l'éclatement de la violence », le professeur distingue une violence désorganisatrice de la cité, une violence qui n'est pas fondatrice, une violence qui est oppression plutôt que résistance, car l'on est dans une phase de construction de la démocratie. Il pointe du doigt le parti islamiste au pouvoir qui s'est, d'ores et déjà, attelé à substituer une Révolution islamique à une Révolution civile. L'analyste pose la question de savoir pourquoi ce parti se trouve-t-il acculé à recourir à la violence alors qu'il a été majoritairement élu et a accédé au pouvoir. Le recours à la violence d'un parti élu démocratiquement, deux propositions dont ne semble pas douter Hatem M'rad, rappelle, comme il le souligne, les pénibles souvenirs des chemises brunes de la 2ème guerre mondiale. Le professeur M'Rad fonde cette apparition de la violence, apparue en cette phase de transition, sur l'incapacité de la majorité islamique à gouverner face aux innombrables revendications de la population. Elle est aussi une réponse aux changements rapides des forces politiques défavorables au parti au pouvoir. Elle résulte enfin, souligne l'auteur, du dogme islamiste d'Ennahdha. Ayant eu à expérimenter la violence en tant qu'opposants clandestins, les islamistes ont aujourd'hui l'occasion de l'expérimenter à l'intérieur même du pouvoir. Ils ont retrouvé le pouvoir, écrit-il, à un moment défavorable à leur réussite politique. Les grandes difficultés que les islamistes éprouvent à gouverner l'Etat sont une conséquence de leur formation volontairement et exclusivement traditionnelle, théologique ou coranique, de leurs lectures essentiellement réduites au Coran ou aux exégètes de l'islam. Elus pour juste quelques mois, les islamistes se trouvent en fait, élus jusqu'à l'adoption de la Constitution et la tenue des élections, rappelle l'auteur. Du coup, commente-t-il, ils ont la conviction qu'ils vont se maintenir durablement au pouvoir et ils cherchent à gouverner dans ce sens. Ils ne lésinent sur aucun moyen pour conférer de l'efficacité à leur action. Et si ces pratiques ne suffisent pas, fait remarquer le professeur M'rad, ils recourent à la violence comme ultime solution. La création des LPR s'inscrit dans ce sens, argue-t-il. La violence est également une réponse aux changements des rapports de force entre Ennahdha et les autres partis. L'avènement de Nidaa Tounes a produit un bouleversement dramatique sur l'échiquier politique et modifie son agenda politique de fons en comble. Cependant que les autres partis, et particulièrement l'UGTT s'imposent en tant qu'acteurs de contre-pouvoir face aux islamistes et que les médias échappant à tout contrôle ont acquis un réel pouvoir défavorable à Ennahdha. Aussi, pour canaliser ces forces montantes, le recours à la force a été privilégié comme moyen de défense « politique ». Le professeur M'rad développe l'idée que les fondements mêmes du parti au pouvoir basés sur le dogme religieux, intangible et irrécusable est de nature à intensifier la confrontation politique. L'intolérance se confond avec la violence et cette dernière s'explique par la nature du régime ou de l'idéologie qui le préside, mais non de la conjoncture. Faisant remarquer que la violence a été moins intense sous les gouvernements de Caïd Essebsi et de Mohamed Ghannouchi que sous les gouvernements successifs islamistes, l'auteur affirme qu'elle se rapporte en profondeur à l'idéologie islamiste. C'est que, explique-t-il, les idéologues de l'islam politique ont une vue messianique de la politique, déterminée par une fin. Les moyens devant être assujettis aux fins supérieures.