Les Mogods, jadis rudes montagnes où la vie était un véritable parcours du combattant, sont aujourd'hui très accueillantes et grouillent d'activités de toutes sortes. Leurs habitants en sont fiers et ne demandent qu'à y rester, même si les jeunes d'entre eux étaient autrefois attirés par les villes. L'agriculture moderne a supplanté celle de survivance pratiquée souvent dans des conditions inhumaines. L'électricité, l'eau à profusion, les pistes agricoles ont tout changé dans cette Tunisie profonde et envoûtante. Les Mogods, cette prestigieuse montagne du tell septentrional, sont l'une des plus peuplées des hauteurs de la Tunisie, avec la Kroumirie qui va vers l'ouest. En sortant de Béja, empruntant la route allant vers Nefza, on est d'emblée subjugué par le paysage envoûtant des alentours. Jeudi dernier, une petite randonnée dans cette région généreuse nous a permis de découvrir combien les Mogods, montagne, versants, clairières et habitants étaient d'une richesse inestimable. Le décor est déjà planté avec la couleur verte qui domine partout. Le 28 mai, et on était comme au mois d'avril. Les champs de blé n'ont pas mûri, le fauchage des fourrages à peine commencé, et ces étendues de tournesol à perte de vue qui couvrent des milliers et des milliers d'hectares sont des preuves insoupçonnables de la prodigalité de la nature et des hommes. Jamais par le passé cette région ne m'avait autant impressionné ni suscité en moi un intérêt tel que ressenti cette fois-ci, où on sent qu'elle change positivement. Changement positif ! La rigueur du climat en hiver, le relief difficile, le manque d'infrastructure routière, les moyens limités dont pouvaient disposer les habitants des Mogods rendaient difficiles toutes sortes d'activités pouvant mettre en valeur la grande richesse naturelle qu'elles recèlent. Mais que de chemin a été fait depuis les années quatre-vingt. L'électricité qui était circonscrite à Nefza et Sejnane (grands villages) a gagné les hameaux les plus difficiles, les routes agricoles ont facilité l'accès à ces hameaux où on trouve de tout. Les Tbaba, Ouled Gacem, Gmara, Tabouba juchés sur les flancs des collines et en contrebas de la montagne sont devenus des coins de rêve et pour les habitants et pour tous ceux aimant la nature. L'activité dans ces petits villages est intense à tout point de vue. L'agriculture, élément moteur de leur économie, est sortie de ses carcans pour épouser les méthodes d'exploitation modernes. Le constat est déjà fait avec la culture du tournesol qui, nous dit-on, rapporte beaucoup pour ceux qui la pratiquent. Elle détrône déjà celle du blé. Du côté du lac réservoir du barrage Sidi El Barrak, entre Nefza et Sejnane, un exploitant nous fait une petite comparaison sur les deux cultures (blé et tournesol) : une tonne de blé se vend à 700d,000 alors qu'une tonne de tournesol peut se négocier jusqu'à 5.000d,000, voire plus! Il n'y avait pas photo! Ceci explique cet engouement sans précédent sur une telle spéculation agricole. Mais dans cette région aux terres très fertiles et aux eaux abondantes, surtout après la construction des barrages de Sejnène et Sidi Al Barrak, l'agriculture qui était traditionnelle, basée sur les céréales, le petit élevage, le tabac et l'exploitation de la forêt, a changé et s'est beaucoup diversifiée. L'arboriculture gagne aujourd'hui du terrain du côté de Teskraya notamment où on a mis à profit, depuis plus d'une quinzaine d'années, la disponibilité des eaux du barrage Sejnène pour développer une vraie arboriculture de pommiers, poiriers et autres pruniers, etc. Le maraîchage d'été et d'hiver jadis inconnu est de nos jours pratiqué à une grande échelle dans les plaines et sur les versants des collines où souvent on n'a pas besoin d'irriguer les cultures, le melon et les pastèques notamment. Intense activité agricole Cette région, en raison de son relief montagneux et de sa population nombreuse, est dominée par la petite propriété. Beaucoup d'exploitants ne disposent que de quelques hectares, mais avec l'introduction des méthodes modernes, la facilité d'accès et l'électricité, on a substitué un petit élevage à la culture de l'orge et des fourrages, l'arboriculture avec des petits vergers bien entretenus, une culture intensive faite de maraîchage selon la saison, élevage de poules de ponte, de lapins et même d'abeilles. L'apiculture est surtout développée dans les coins où il y a des arbres, et elle est réputée dans cette région pour son miel pur et aux vertus multiples. Cela rapporte, selon l'affirmation d'une bonne dame qui n'a connu du monde que son village qu'elle jure ne pas vouloir quitter pour tout l'or du monde, tellement elle se sent bien chez elle et en parfaite harmonie avec son milieu. Tout comme d'ailleurs ces pasteurs rencontrés sur les bords des pistes agricoles et qui ne cachent jamais le bien-être qu'ils ressentent et la fierté qui les habite, appartenant à ces montagnes fabuleuses qui ont abrité leurs ancêtres fuyant les occupants depuis la nuit des temps, qui les ont peuplées et apprivoisées pour ne plus songer à les quitter, d'autant qu'ils peuvent aujourd'hui jouir de toutes les commodités de la vie moderne. Nullement exagéré, ce constat, puisqu'il nous a été confirmé par la plupart de ceux avec qui nous avons pu discuter et échanger quelques paroles, tel ce jeune que nous avons pris en autostop du village de Ouled Gacem et qui nous a parlé de la grande réputation d'une soignante traditionnelle, spécialisée dans le traitement des reins d'où elle fait sortir les calculs. Om Hani, c'est son nom, a une réputation qui va jusqu'en Algérie. D'ailleurs, elle se trouve sur le passage des Algériens venant de la frontière soit du côté de Tabarka, soit du côté de Aïn Draham. C'est la fameuse «Ougaâ» de Nefza. Elle vit dans une grande demeure avec sa nombreuse famille composée de ses enfants et arrière-petits-enfants. Affable à souhait, la dame connaît ses limites et ne se hasarde jamais à prétendre soigner autres chose que les reins et les oreilles purulentes. Elle affiche une sérénité qui force le respect et ne cache pas son bonheur de vivre dans ces montagnes qu'elle aime jusqu'à la vénération. Aller dans ces montagnes, jadis peu accueillantes, c'est découvrir cette Tunisie profonde et la bonté de ses habitants qui font des miracles pour vivre décemment loin des villes et leur rythme infernal. Les Mogods, c'est aussi la grande zerda des marabouts Ouled Houimel, aujourd'hui interdite par les autorités suite aux débordements qui ont eu lieu après 2011. Beaucoup d'habitants nous ont priés de faire entendre leur souhait pour lever cet interdit. Voilà qui est fait. On aura peut-être l'occasion de parler de ce grand rendez-vous estival qui coïncidait avec la fin des moissons et qui drainait toutes les tribus de ces montagnes qui venaient égorger des moutons, des chevreaux et même des veaux et s'adonner à des fantasias et chantonner leur glorieuse montagne où il fait bon vivre aujourd'hui.