Par Brahim OUESLATI La proclamation par le président de la République de l'état d'urgence pour une durée d'un mois qui pourrait être renouvelée, le cas échéant, continue à susciter des interrogations, à alimenter les débats et à faire palabre. Chacun y va de sa propre interprétation, suivant sa propre lecture et selon ses propres convictions politiques et idéologiques. Et pourtant, aussi bien le chef de l'Etat que le chef du gouvernement ont expliqué les raisons de cette décision qui intervient après un attentat sanglant, le plus meurtrier jamais enregistré, et qui a coûté la vie à 38 touristes étrangers et à un moment où le pays se trouve confronté à une guerre non conventionnelle contre le terrorisme. Tous les deux ont assuré qu'en aucun cas, cette mesure ne compromettrait les acquis de notre jeune démocratie. Mais elle est destinée plutôt à augmenter le niveau de vigilance et à renforcer la mobilisation générale. L'état d'urgence vise à assurer la primauté de la loi, mais aussi à réaliser un choc psychologique auprès des Tunisiens. Il n'est pas une invention tunisienne destinée à restreindre les libertés et occulter les droits de l'Homme. Alors que le pays a vécu pendant plus de trois ans sous ce même régime depuis le 14 janvier 2011 et qui n'a été levé qu'en mars 2014. Il en a déjà connu des précédents. Un texte inspiré de la loi française D'ailleurs le seul texte de référence, le décret n°78-50 du 26 janvier 1978 a été promulgué par le premier président de la République, Habib Bourguiba, le jour même du déclenchement par l'Ugtt de la grève générale qui s'était soldée par plusieurs victimes et l'arrestation et la condamnation de plusieurs dirigeants syndicalistes dont le secrétaire général, Habib Achour. Ce texte a été largement inspiré de la loi française d'avril 1955 qui stipule que «l'état d'urgence confère aux autorités civiles, dans l'aire géographique à laquelle il s'applique, des pouvoirs de police exceptionnels portant sur la réglementation de la circulation et du séjour des personnes, sur la fermeture des lieux ouverts au public et sur la réquisition des armes». Cette loi avait été votée pour mater l'insurrection algérienne mais elle est restée toujours en vigueur et sa dernière application «remonte aux émeutes de 2005 dans les banlieues françaises». L'état d'urgence a été décrété, en Tunisie, une deuxième fois en janvier 1980 à la suite de l'attaque contre la ville de Gafsa par un commando venu de Libye et une troisième fois en janvier 1984 à la suite des émeutes du pain. Certes, le texte «exhumé» donne des pouvoirs étendus aux autorités publiques et notamment au ministère de l'Intérieur et aux gouverneurs des régions, ce qui ferait planer l'inquiétude sur les libertés fondamentales et son application pourrait dégénérer en exactions. Mais faudrait-il trop s'en inquiéter, quand des vies humaines sont en jeu et quand le pays est menacé dans son intégrité ? Le premier des droits humains, n'est-il pas celui de la vie ? Calculs politiques sournois Les partis politiques et les organisations de défense des droits humains ont le droit de s'inquiéter et de s'interroger sur les éventuelles conséquences de cette mesure sur les libertés publiques de manière générale et la liberté de la presse en particulier. Mais de là à prédire un retour aux anciennes pratiques et une régression vers un état policier, il n'y a qu'un pas que certains n'ont pas hésité à franchir. Douter de la bonne foi des trois hauts responsables du pays, les deux chefs de l'exécutif et le président du Parlement, en leur prêtant l'intention de vouloir réinstaurer «un régime répressif», tout en occultant les menaces sérieuses qui pèsent sur le pays et qui ont justifié la proclamation de l'état d'urgence, procéderait de calculs politiques sournois. Que d'anciens responsables, comme l'ex-président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar considère que cette mesure «ouvre la voie à l'atteinte aux droits et libertés individuelles et collectives», alors qu'elle a été appliquée pendant sa présidence de l'Assemblée constituante, a de quoi surprendre. Ni hypermédiatisation, ni communication minimale Toutefois, force est de constater que la communication sur cette mesure et sur l'attentat de Sousse n'a pas été tout à fait claire, pour ne pas dire un peu chaotique. Au niveau des intervenants d'abord et ils sont plusieurs, alors qu'après l'adresse du président de la République, il fallait unifier le discours pour le rendre mieux pertinent et plus convaincant et limiter au strict minimum le nombre d'intervenants et les choisir parmi ceux qui maîtrisent bien et le sujet et l'art de la communication. Pour éviter de tomber dans les contradictions et dans les imprécisions comme ce fut le cas pour l'attentat de Sousse. Une confusion autour du nombre des victimes, leurs nationalités, le nombre d'arrestations, le profil de l'auteur de l'attentat... beaucoup de lacunes ont été relevées et qui dénotent d'un manque de coordination et d'un excès de précipitation. La communication en temps de crise est très importante. Il ne faudrait tomber ni dans l'hypermédiatisation, ni dans la communication minimale sur la réalité des menaces qui pèsent sur le pays, sans excès ni sous-estimation. Pas de confusion dans les discours et un choix pertinent des intervenants. Des messages clairs et percutants transmis avec assurance et une certaine fermeté, quand il s'agit notamment de hauts responsables de l'Etat. Savoir gérer sa communication en temps de crise c'est le premier pas vers sa résolution.