Par Nejib OUERGHI La mort, jeudi dernier, dans la localité de Doghra, aux alentours du mont Chaâmbi, de deux militaires suite à l'explosion d'une mine au passage de leur véhicule constitue un signal grave et un risque sérieux de propagation de la menace terroriste dans le pays. En guise d'affront, les terroristes ont sciemment posé la mine au milieu d'un parcours bien fréquenté par les habitants de la région. Une signature qui montre leur omniprésence, leur grande mobilité et les complicités dont ils ont bénéficié au fil du temps, rendant leur mise hors d'état de nuire aussi complexe que difficile. Alors que tous les efforts de l'armée et de la garde nationale sont concentrés, depuis plus d'un mois, sur le ratissage de cette région montagneuse au relief accidenté, l'acte commandité par les éléments terroristes se réclamant d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) a surpris et beaucoup inquiété. Au moment où l'on a cru que la menace terroriste était provisoirement contenue, cette nouvelle opération vise à instaurer un climat de peur, créer une spirale de violence aux conséquences désastreuses et bloquer durablement le processus de transition du pays vers la démocratie. L'unanimité de la classe politique tunisienne qui s'est empressée de dénoncer cet acte terroriste et la profonde colère ressentie par la population de Kasserine ne peuvent occulter les questionnements qui ne cessent de titiller tout un chacun à propos de la fragilité inhabituelle du système national de sécurité, le peu de réussite du système de renseignements qui n'a pas pu anticiper ou avoir une meilleure connaissance sur cette nébuleuse terroriste qui est parvenue à étendre ses tentacules un peu partout dans le territoire, du nord au sud. Il semble qu'on n'a pas pris la juste mesure de tous les messages parvenus suite aux événements tragiques de Bir Ali Ben Khlifa, Rouhia et la découverte de caches d'armes parfois sophistiquées. Organisés et travaillant dans une quasi-clandestinité, ces groupes qui n'ont pas hésité à adresser des mises en garde claires entendent faire de la Tunisie une terre de jihad, en semant la mort et la peur comme ils l'ont déjà fait en Afghanistan, Pakistan, Irak, Syrie, Somalie, Mali... Face à cette nouvelle donne, engager une lutte sur tous les fronts, sur le terrain, en matière de renseignements, de coordination des actions sécuritaires avec les pays voisins et, également, au plan réglementaire, est une affaire vitale. Cela, en faisant preuve de diligence dans le traitement de ce cancer qui menace les fondements de notre société, non, en épiloguant longtemps sur l'opportunité d'appliquer ou non une loi de lutte contre le terrorisme ou de jeter abusivement l'anathème sur des personnes dans le dessein de leur faire endosser tous les échecs et les déboires jusqu'ici enregistrés. L'appel à la vigilance lancé par le ministère de la Défense à l'adresse de la population sur le risque terroriste rampant revêt une certaine symbolique. Il implique, assurément, que la société tunisienne, dans sa diversité, se dresse contre cet hydre, ne pas céder à la peur ou considérer ce phénomène comme une fatalité, mais en poursuivant la construction de l'Etat civil et démocratique dans un esprit de réconciliation et de concorde. A l'évidence, la résurgence de la menace terroriste et le renforcement des groupes djihadistes dans le pays trouvent leur explication dans la discorde qui n'en finit pas de diviser la classe politique à propos de toutes les questions et de tous les dossiers, l'exacerbation de la crise économique et des tensions sociales. Deux ans et demi après les élections du 23 octobre 2011, le pays connaît un immobilisme frustrant et l'absence de visibilité et de calendrier n'a fait qu'épaissir le flou, accentuer les appréhensions des opérateurs et accélérer la chute du pays dans l'inconnu. Les dernières déclarations du président du gouvernement provisoire à Berlin sur l'éventualité d'organiser les prochaines élections législatives et présidentielles, avant la fin de 2013, ne peuvent qu'a priori réjouir et lever un épais voile à même de restaurer la confiance qui sortirait le pays de la tourmente actuelle. Cela exige, au demeurant, de mettre un terme à la confusion qui règne au sommet de l'Etat et de parvenir à un compromis sur le texte de la future constitution et de lever toutes les ambiguïtés qui ont, jusqu'ici, suscité plus de polémiques que des convergences positives utiles nécessaires pour faire des avancées réelles en matière de libertés et de droits de l'Homme. La réalité est venue doucher cet optimisme, puisque le projet de constitution du 1er juin 2013 ne fait l'unanimité ni des experts ni de certains constituants. Ils y décèlent même un recul par rapport aux versions précédentes, laissant planer doute et velléités hégémoniques. Si les experts sont insatisfaits de la qualité de la copie présentée au regard des incohérences relevées au sujet de l'équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif et des menaces qui pèsent sur les droits et libertés, certains constituants sont allés jusqu'à déposer une requête à l'encontre du président de l'ANC (Assemblée nationale constituante) et du rapporteur général de la constitution au Tribunal administratif, demandant la nullité du draft du 1er juin. Encore une fois, toutes les cartes se trouvent brouillées et il est fort probable que la cacophonie provoquée par le projet du 1er juin ne vienne nous enfoncer, de nouveau, dans l'attentisme et les surenchères, à l'origine de tous les maux dont souffre le pays. Aujourd'hui, les acteurs politiques se trouvent face à des choix d'une extrême gravité. Il leur incombe d'élever le niveau du débat politique pour le situer dans un contexte qui l'éloigne des enjeux électoralistes et partisans. L'avenir de la Tunisie, sa stabilité, sa sécurité et son unité méritent un effort et une prise de conscience qui nous épargneraient bien des déboires et menaces dont on mesure actuellement la persistance et la gravité.