Par Hella LAHBIB Comme nous le savons, ce sont les équilibres économiques et la situation sécuritaire qui posent le plus de problèmes et qui appellent à unir les efforts et renforcer l'esprit de concorde de tous les Tunisiens, aussi bien ceux qui sont en Tunisie que ceux résidant à l'étranger. C'est ce que n'a cessé de marteler Béji Caïd Essebsi à la clôture de la conférence annuelle des ambassadeurs. Le président de la République a encouragé les représentants de la Tunisie à avoir une politique entreprenante, pour faire connaître notre pays, attirer les investisseurs et pour impliquer amis et partenaires «pour que la Tunisie ne soit pas seule à affronter le terrorisme». Il faut dire que pour ce qui concerne la stratégie sécuritaire et l'apport des diplomates, les contours n'en sont pas encore définis, et quand bien même ils le seraient, ils gagneraient en efficacité à ne pas être révélés. On sait, en revanche, que la stratégie nationale de politique étrangère fait du développement de la Tunisie la priorité de l'action des ambassadeurs tunisiens. C'est très bien, qui oserait dire le contraire ? Tout le monde est d'accord là-dessus. Pourtant, pour être fonctionnel, l'on doit dire que c'est l'exemple-même de la fausse bonne idée. Prenons un exemple, l'ambassadeur tunisien en France. C'est un des postes les plus importants. Il a , comparativement, le plus de moyens. Ce qu'il faut savoir d'emblée, c'est qu'il lui faudra des années pour se constituer un réseau au sein des milieux d'affaires. On n'obtient pas un rendez-vous du jour au lendemain, ni même dans le mois, avec Franck Riboud, Arnaud Lagardère, Jean René Fourtou, les ténors du CAC 40. Ce n'est pas parce qu'on est ambassadeur de Tunisie qu'on l'obtiendrait. Franck Riboud est à la tête de Danone, le numéro 1 mondial des produits laitiers frais. Son chiffre d'affaires 2014 est supérieur à 21 milliards d'euros, c'est-à-dire la moitié de la richesse de toute la Tunisie. Pour attirer ces gens-là, pour être audible, il faut être crédible. Il faut avoir quelque chose à offrir. Un investisseur privé ne viendrait jamais investir dans un pays s'il n'a pas la certitude ou la très forte probabilité d'y gagner de l'argent. Or, il faut se rendre à l'évidence, notre pays, lui, envoie, pour l'instant, des signaux peu rassurants pour la sphère de l'investissement : insécurité, terrorisme et ... les grèves à répétition. Jamais un investisseur ne se rendrait dans un pays où il y a autant de risques ! Un exemple édifiant En second lieu, l'économie tunisienne n'est pas dynamique, elle connaît des taux de croissance faible, de l'ordre de 1%. Le taux de croissance en 2016 pourrait même être négatif. Surtout si les investisseurs nationaux eux-mêmes venaient à prolonger leur...attentisme. Nos ambassades souffrent d'un grand manque en ressources humaines et en moyens. Comment peut-on dans ces conditions leur demander de répondre à la double exigence d'être à la fois au service du développement et de la sécurité du pays ? Comment peut-on demander à nos ambassadeurs d'être à la fois des VRP et, si l'on ose dire, des agents de renseignement ? Sans doute, la guerre contre le terrorisme se gagne aussi à l'extérieur , nos diplomates pourront y contribuer par les efforts de sensibilisation des capitales étrangères à l'effort de guerre et au soutien à la Tunisie. Il serait seulement préférable qu'ils concentrent leur plus grande énergie à la question du développement et à la polarisation des flux d'investissements directs étrangers dont le pays a aujourd'hui grandement besoin pour répondre à l'impératif d'une croissance porteuse d'emplois, de justice sociale et d'équilibre régional. Prenons encore un exemple français que le président de la République a révélé, et qui a été fortement relayé dans les médias nationaux, à savoir que le groupe français PSA (Peugeot Citroën) devait investir en Tunisie et finalement a opté pour le Maroc. Oui, c'est une grosse perte pour la Tunisie. Et, l'investissement en question va confirmer le Maroc dans son nouveau métier de fabricant et exportateur de voitures. Il va créer des dizaines de milliers d'emplois et surtout une véritable industrie automobile. Mais, est-ce que PSA a choisi le Maroc, parce que l'ambassadeur de ce pays a offert à son président un verre de thé à la menthe, ou un dîner dans le plus chic restaurant de France ? Et bien non. Selon une source autorisée, le dossier a été pris en charge, d'emblée et dès le premier jour, par le ministre de l'Industrie marocain qui était en relation directe avec le roi. C'est le roi du Maroc qui a suivi, en personne, le dossier presqu'au jour le jour. Pendant trois mois, les équipes du ministère de l'Industrie ont exclusivement travaillé pour Peugeot. Le Maroc a tout prévu, tout proposé, même la ligne de chemin de fer et le port par lequel les voitures seront exportées. Le terrain sera offert par l'Etat avec les écosystèmes industriels, et la fourniture de gaz naturel pour l'usine. Un port en eau profonde sera construit dans la ville de Kénitra, à proximité de l'usine de PSA ! Alors, si l'on veut que le développement devienne une priorité dans notre pays, il faudra d'abord qu'il le soit en interne. Comment un pays, qui est incapable de ramasser ses ordures, peut-il se développer ? Un pays où des enseignants refusent de passer les examens aux enfants, et menacent de compromettre la prochaine rentrée ? Un pays où des agents des forces de l'ordre agissent en électrons libres et diffusent des documents secrets ? Un pays où les grèves sont décrétées pour un oui, pour un non ? Lorsque le développement sera une priorité nationale, tout changera. Le changement doit être d'abord interne. C'est seulement à ce moment-là que les ambassadeurs auront alors quelque chose à vendre et qu'on pourra leur demander des comptes et évaluer leur rendement.