Outre le front libyen, la Tunisie risque de voir s'ouvrir un autre, peut-être non moins dangereux, avec l'Algérie. Neuf soldats algériens (14 selon les assaillants) ont été tués samedi à la suite d'un attentat qui porte probablement la griffe de Daech. Deux mois auparavant, trois soldats avaient péri dans presque les mêmes circonstances. Il s'est avéré que cette organisation terroriste est passée par là. Bien avant ces deux faits saillants, et plus précisément début 2015, les hordes sauvages de Aboubaker Al Baghdadi ont déjà fait irruption en Algérie, d'abord secrètement, c'est-à-dire le temps d'installer leurs quartiers, d'acheminer des armes et de renforcer leurs effectifs, avant de passer à l'action. En effet, adoptant le même style qu'il avait brutalement imposé tour à tour en Irak, en Syrie, au Yémen, au Mali, en Somalie, au Niger et au Nigeria, Daech s'est empressé d'abord de faire tout pour couper l'herbe sous les pieds de son ennemi juré, en l'occurrence Al Qaïda qui, au bout de seulement deux mois de combats acharnés et de règlements de comptes sanglants, a fini par baisser pavillon et en matière de jihadisme, les commandes sont désormais aux mains du groupe daechiste «Wilayet Al Jazaër» (ex-Jond Al Khilafa), nouveau maître à bord à la place d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) de Abdelmalek Droukdel, alias Abou Mossaâb Abdelwadoud dont plus de 90% des hommes ont prêté allégeance à Daech, mettant fin à un règne sans partage qui durait depuis 2007. Or, le plus grave est que Daech ne s'est pas contenté de se débarrasser d'Aqmi. Il a poussé son hégémonie au point d'amadouer, puis d'accaparer d'autres petits réseaux jihadistes sévissant dans ce pays tels que «Al Mouakkaoun Biddem», «Houmet Al Daâoua Al Islamia», «Mouvement Abna Assabra Min Ajl Al Adala» et autres mouvements comme «Attawhid Wal Jihad Fi Gharb Ifrikia». Toutes ces factions évoluent aujourd'hui, tantôt en cachette, tantôt à coups d'attentats spectaculaires, sous les ordres d'un certain Abou Moâdh Al Jazaïri, sucesseur de Abdelmalek Gouri qui a été éliminé par l'armée algérienne, au mois de décembre dernier, à la suite d'un guet-apens judicieusement planifié dans la ville de Boumerdès. Après avoir fini donc par y asseoir son autorité sur tous les mouvements islamistes radicaux, Daech n'avait plus qu'à passer à l'offensive dans un pays dont la très vaste étendue territoriale constitue, stratégiquement parlant, un atout inestimable et inespéré pour les terroristes de tous bords, en quête de champs de manœuvre plus larges. Aujourd'hui, mine de rien, on ignore encore en Algérie le nombre de cellules dormantes existantes, combien de daechistes y sévissent, où ils se terrent, de quel arsenal ils sont en possession. Ce que savent, par contre, les autorités algériennes, jusqu'à présent, est que Daech fait déjà sensation sur la Toile où, selon les dernières statistiques officielles, il a été découvert 41 comptes (30 sur twitter et 11 sur facebook) tous acquis à la cause daechiste et appelant, à l'unisson, à «mener la vie dure aux soldats et policiers». Mais, nos frères algériens ne sont pas au bout de leurs peines, d'autant plus que leur inquiétude ne cesse de monter, en raison de ce qu'ils appellent «le calvaire des frontières avec la Tunisie et la Libye». Il est vrai que ces frontières sont toujours très sollicitées par les passeurs jihadistes dont les ruses et les moyens détournés sont devenus un vrai casse-tête. C'est d'autant plus vrai que les services de renseignements algériens ont rapporté récemment que «pas moins de trois mille jihadistes de différentes nationalités y font la navette à l'aide de faux passeports», et que «ces navettes s'effectuent sous le couvert du tourisme par voies terrestre et matitime». D'où d'ailleurs de fréquentes saisies d'armes et de munitions opérées, ces derniers mois, aussi bien aux frontières terrestres (avec la Tunisie et la Libye) que dans le port d'Annaba. Par ailleurs, les autorités algériennes, conscientes du danger grandissant que représente Daech pour leur sécurité nationale, ont récemment informé leurs homologues tunisiens de la montée subite des menaces terroristes aux frontières sud des deux pays avec la Libye. Là où on fait état d'une «invasion sans précédent» des groupes jihadistes à la solde des tristement célèbres caïds daechistes, Othman Mlikta et Abderrahman Souihli, tous deux activement recherchés par Interpol. Plus grave encore, ces groupuscules seraient derrière les derniers incidents ayant émaillé le sud tunisien (Douz, El Hamma, Souk Lahad...) et la ville algérienne de Ghardaya. Cette implication, vraie ou fausse, est tout de même à voir d'un mauvais œil, quand on se souvient des menaces proférées, au mois de novembre dernier par Aboubakr Al Baghdadi, et visant l'implantation d'un émirat daechiste englobant le sud tunisien et algérien et une partie de la Libye. Et ce n'est pas un hasard si l'Algérie a ordonné, au mois de septembre dernier, la fermeture de ses frontières avec la Libye et le Mali, tout en multipliant l'aménagement de zones militaires dans le sud du pays, sans compter les dizaines de milliers de soldats acheminés en renfort le long de ces frontières. Peur légitime Face à cette impressionnante mobilisation algérienne, il y a vraiment de quoi avoir peur pour la Tunisie. Et c'est légitime. D'abord, parce que si ce pays est déstabilisé, la Tunisie le sera à son tour. Ensuite, parce que paradoxalement (fatalement ?), les deux pays accusent un énorme déficit en matière de démantèlement des cellules dormantes. Enfin, parce que les frontières libyennes avec ces deux pays, quoi qu'on en dise, ne sont pas encore suffisamment maîtrisées. Et dire que ces frontières sont devenues la plaque tournante de l'internationale intégriste.