Par Mohamed KOUKA Un malentendu perdure, il a la vie dure. Il réside dans la confusion entre culture et loisir. Ce n'est pas un hasard si les activités du ministère de la Culture connaissent un pic durant l'été à la faveur des festivals dont la programmation s'organise substantiellement de la variété, à telle enseigne que ledit ministère semble se muer ,à l'occasion, en un véritable ministère des loisirs. Cela dit, la question est loin d'être aussi simple mais, pour aller au plus près du problème, j'invoque l'expérience de l'action culturelle du ministère Malraux ,en France, qui semblait avoir influencé la politique culturelle des tout débuts de l'ère bourguibienne, avant le naufrage de ce département culturel sous le pouvoir de la clientèle de Ben Ali, où l'on avait observé le triomphe de la variété de masse au détriment de la création. Cet héritage de l'ancien régime persiste, malgré le changement politique. Il demeure inaltérable... Mais revenons à Malraux, qui semble avoir inspiré une certaine idée de la culture à un ou deux de nos ministres ès qualités du tout début des années soixante. L'art et la culture ne valent seulement pas pour assurer un supplément d'âme, ils relèvent plutôt d'une problématique et non d'une esthétique. Cette problématique est celle du pouvoir de la culture à fonder un sentiment d'appartenance, à donner sens au vivre-ensemble, à partager les mêmes valeurs. A travers l'expérience artistique, il y a une prise de conscience de la nécessité d'arracher l'expérience vécue à la contingence des faits, de faire signifier le monde; le ministre de la Culture a alors pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l'humanité au plus grand nombre possible, d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d'art et de l'esprit qui l'enrichisse. Une revendication des plus démocratiques ! Contrairement à la variété, la création artistique a cette vertu suprême, c'est de nous rendre le regard plus libre, de nous ramener à une relation sensible, poétique avec le monde. L'art a cette vertu de nous conduire de la nature à la liberté, de nous permettre de nous réaliser. «Je dis bien que la culture est une aventure dans le domaine de l'esprit, parce qu'il faut que l'on comprenne bien que le mot ‘loisir' devrait disparaître de nôtre vocabulaire commun. Oui il faut que les gens aient des loisirs ! Oui il faut les aider à avoir les meilleurs loisirs du monde, mais si la culture existe, ce n'est pas du tout pour que les gens s'amusent parce qu'ils peuvent aussi s'amuser, peut-être bien davantage ,avec tout autre chose et même avec le pire(...) «Ce qu'on appelle ‘la culture', c'est l'ensemble des réponses mystérieuses que peut se faire un homme, lorsqu'il regarde dans une glace ce qui sera son visage de mort». Bref, l'homme face à son destin et au sens de sa vie. Ces propos de Malraux sont, toujours, à méditer pour rendre un tant soit peu, actuel, notre ministère de la Culture.