Comme prévu, Eros Ramazzoti a fait le plein, jeudi à «Carthage». Un événement, vraiment, qui n'était pas sans rappeler, en affluence, en qualité d'affiche et en prestation artistique, aux mémorables soirées de l'âge d'or du théâtre romain, à l'époque, bénie, où le plus coté de nos festivals accueillait les géants de la musique et de la chanson internationales, les Ferré, Bécaud, Ray Charles, Hampton, James Brown, Nina Simone, Reggiani, Nougaro, Sacha Distel et autres interprètes historiques de la chanson de variétés, du jazz, du blues et du rock. Un record d'entrées, oui, eu égard aux tarifs élevés des billets. Cinquante dinars, gradins, et quatre-vingts, chaises, mais autour de dix mille spectateurs accourus par vagues, dès la tombée de la nuit, enthousiates, excités même, n'ayant eu visiblement cure de la dépense, sûrs, en tout cas, d'être largement payés en retour. Et ce fut le cas, voire davantage, avec un Eros Ramazzoti au sommet de son art et de sa forme, tonique, charismatique, jouant de sa voix avec les nuances et la puissance d'un chanteur lyrique, touchant des notes impossibles, traversant avec une dextérité et une facilité inouïes tous les registres du chant, guitariste virtuose par à coups (il y excellait déjà à ses débuts), bougeur en diable, communiquant à son auditoire, tour à tour, sensations, contemplation, frénésie. La grosse pointure, il n'y a pas d'autre mot. Et un artiste au sens plein du terme : talent, backround, maîtrise, prouesse vocale, prouesses musiciennes, qui donnerait bien la leçon a beaucoup de «vedettes» d'ici, pseudo-produits du marketing télévisuel et du star-systèm. Eclectisme accompli Il est difficile de classer le style de Eros Ramazzoti dans la chanson italienne moderne. C'est un style unique parce que, précisément, éclectique. On le situe, volontiers, au confluent d'écoles diverses surgies voilà plus de quarante ans dans la péninsule. Celle de la tradition mélodique qui eut pour chef de file Domenico Modugno ; celle encore de «la génération déchaînée» des chanteurs rockeurs, Mina, Celentano, Rita Pavone et, surtout, Gianni Morandi. Celles, enfin, de la chanson d'auteur représentée par Gino Paoli, Luigi Tenco et Sergio Endriguo, de la synthèse du rythm'n' bleus et du «bel canto» incarnée de façon si originale par Lucio Battisti, ou mieux, peut-être, de l'école intimiste de Roberto Vechchioni et de la romance, récupérée avec l'audience mondiale que l'on sait par Pavarotti, Bocelli et Lucio Dalla. Cet éclectisme ne signifie guère, insistons là-dessus, absence de personnalité. Chez Ramazzoti, bien au contraire, il donne à découvrir la consistance et la richesse d'un répertoire et d'un interprète en tous points accompli, reflétant un savoir musical entier et découlant d'un travail créatif constamment impliqué et de longue date. Le tour complet des chants Tout cela a été brillamment démontré jeudi soir. Eros Ramazotti a fait le tour des genres et des chants. De l'ancien au plus récent. De «Terra promessa» avec laquelle il gagna San Remo, aux tout derniers titres de son album de 2009 (Alie radici), en passant, bien sûr, par la chanson qui fit sa gloire, et qui maintient encore sa renommée mondiale, la superbe «Storia importante», par la non moins savoureuse «Adesso tu» (autre victoire à San Remo (1986) aussi, et «Parla con me», single de fraîche naissance, repliqué à la lettre par la quasi totalité du public. Circonstance oblige, peut -être, Ramazzoti a un peu trop privilégié son répertoire rock. Pratiquement les deux tiers du récital consacrés aux rythmes forts. Cela a fait le bonheur des milliers de jeunes présents, qui en sont montés sur leurs chaises, mais sans doute pas tant celui des puristes, et ils étaient aussi nombreux, venus apprécier davantage le beau timbre nasal du chanteur et sa légendaire sensibilité et qui n'ont probablement pas été assez servis à leur goût. Un peu dommage, mais ce Ramazzoti du 5 août à «Carthage» a culminé si haut qu'il aura, au final, tout racheté.