Par Lassâad BEN AHMED L'actuel blocage entre la centrale syndicale et l'organisation patronale à propos des majorations salariales dans le secteur privé était attendu. D'un côté, les salariés n'en peuvent plus avec l'augmentation du niveau de vie et la hausse des prix des biens de consommation. De l'autre côté, les entreprises vivent une crise aiguë, dont le dénouement ne se profile pas pour bientôt. Ainsi, donner raison à l'un ou l'autre des deux organisations devient presque impossible, tellement les arguments des uns et des autres sont forts, et la question est délicate aussi bien pour le bien-être de l'employé que pour la prospérité de l'entreprise. Et la question de renfermer une dimension vitale et décisive pour l'économie nationale, puisqu'elle est liée à la stabilité sociale, condition sine qua non de la relance économique, de l'investissement et de l'emploi. L'engrenage étant tel, tout le monde s'interroge sur les éventuelles évolutions et les différentes possibilités, allaient-ils parvenir ou non à un accord ? Dans l'affirmative, de combien serait alors l'augmentation salariale ? Dans une sphère plus restreinte d'expertise, la réflexion est poussée encore plus en profondeur. Le mécanisme des négociations sociales, dites aussi salariales, a été mis en place dans les années 90 dans le but, justement, d'instaurer la stabilité sociale et permettre au secteur économique de se développer tranquillement. Pendant plus d'une décennie, la Tunisie n'a pas connu de grèves ou de mouvements sociaux majeurs, jusqu'au soulèvement du 17 décembre 2010-14 janvier 2011. Sous l'égide du ministère des Affaires sociales, le patronat et les syndicats se mettaient à table pour décider des majorations du Smig et du Smag une fois tous les trois ans. C'est un système qui a permis aux salariés de voir leurs revenus augmenter à une moyenne de 3% par an environ, mais qui a conduit, tout le monde le constate, à une dégradation du pouvoir d'achat, aggravée par la crise internationale des matières premières de 2008 et devenue insupportable à partir de 2010. C'est que les augmentations conclues n'ont pas suivi la même courbe que l'inflation, plus de 5% pendant une période prolongée. De même, ces augmentations n'ont pas non plus suivi la courbe de la croissance économique, 5% en moyenne pendant plusieurs années. D'où, l'inéquitable répartition des revenus et des fruits de la croissance. Les instances d'évaluation économique reconnaissent que la croissance en Tunisie n'a pas profité à tous les Tunisiens de la même manière. Cela devrait remettre en question les miettes de 3% (4% au meilleur des cas) jetées aux salariés toutes les trois années, mais aussi tout le mécanisme qui les a générées. Certaines critiques évoquaient même une complicité entre l'Ugtt et l'Utica contre les intérêts des salariés, et ce, pendant de longues années ! Reprendre donc la même méthode risque de donner les mêmes résultats. Les menaces de grèves sont d'ailleurs de plus en plus persistantes. Einstein disait un jour : «C'est de la folie de refaire la même expérience et s'attendre à des résultats différents»... Mettre donc des mois à négocier, juste pour sortir avec un taux, risque d'avoir l'effet hypodermique d'un calmant, sans résoudre le problème en profondeur. Aujourd'hui, il existe plusieurs solutions plus audacieuses que de déterminer un taux directeur d'augmentation. Les théoriciens de l'économie ont développé pas mal de mécanismes dans le cadre de l'économie sociale et solidaire, qui tiennent compte de la disparité endogène du tissu économique, mais aussi de la spécificité de chaque entreprise. C'est que les entreprises ne vivent pas la même difficulté et que les salariés n'ont pas tous le même rendement. De ce fait, le taux de majoration de 3% s'avérerait excessif pour certaines entreprises ou activités qui arrivent à peine à vivoter comme le cas du tourisme par exemple. Et inversement, il s'avérerait trop réduit pour un employé qui travaille dans une entreprise qui affiche une croissance annuelle à deux chiffres. C'est dire ainsi que la majoration doit être indexée sur l'état de santé de l'entreprise et qui tiendrait, sans doute, compte de la productivité de l'employé. Certaines entreprises peuvent même prendre en charge les dépenses exceptionnelles de leurs employés, à l'occasion des fêtes ou des moments difficiles. D'autres entreprises, en Tunisie même, distribuent des primes de bilan et des enveloppes exceptionnelles, en cas de grande performance. Mieux encore, certaines entreprises offrent un mécanisme permettant à l'employé de prendre des actions dans le capital de sa société. Ce sont des solutions à même de permettre de stabiliser le climat social et de réduire les revendications hostiles. Les partenaires sociaux devraient s'inspirer de cette expertise pour développer un nouveau mécanisme qui tient compte de la diversité et de la disparité de l'activité économique, au lieu de stagner dans un schéma qui s'avère révolu.