Par Mansour Moalla Si l'objectif premier de l'école de base réside dans l'éducation de l'enfant, celui de l'enseignement secondaire doit normalement avoir pour objectif de le préparer à un emploi : l'indignité majeure et la déchéance suprême, c'est de devenir un chômeur, un sans-emploi. Le chômage, c'est la perte de l'espoir dans la vie et c'est la porte ouverte à toutes les déviations, les révoltes et tous les excès. C'est pour atteindre un tel objectif que le VIe Plan a adopté une nouvelle conception de l'enseignement secondaire qui attribue à la formation pour l'emploi une grande priorité. L'enseignement secondaire traditionnel, tout entier concentré sur le baccalauréat, ne se préoccupe guère de l'emploi. Or tous les élèves de ce cycle secondaire ne parviennent pas jusqu'au baccalauréat, seuls la moitié d'entre les candidats y parviennent. L'autre moitié est exclue. En cours de scolarité, les abandons (25%) et les redoublements (10%) restent importants. Ceux qui n'obtiennent pas le diplôme n'ont plus que des « bouts » de Bac non finalisés, allant de 10 à 90% de « Bac », ce qui est absurde. Ces sacrifiés du Bac doivent rechercher une issue à leur échec dans un enseignement professionnel, resté parent pauvre, ou dans un emploi non qualifié. Il fallait éviter ces difficultés et ces insuffisances et mettre au point un système finalisé et varié, intimement lié au domaine économique et aux entreprises qui peuvent jouer un rôle considérable dans ce domaine. Le brillant exemple du Japon en est la meilleure illustration. Dans ce pays, l'entreprise a « confisqué » la formation professionnelle, assure la formation à ses frais, soulageant ainsi l'Etat qui est très peu performant dans ce domaine. L'entreprise en Tunisie est absente dans ce domaine et s'en remet à l'Etat pour faire le travail qui lui incombe en priorité. L'Allemagne aussi, avec le système « Dual », associe étroitement l'entreprise à la formation des jeunes dont ils ont besoin pour fonctionner. D'où les grandes insuffisances dans ce domaine. Les chiffres dont je dispose montrent que le système éducatif ne fournit pas encore à l'économie les cadres et le personnel qualifié dont elle a besoin. Le taux d'encadrement de l'économie n'est que de 5,6% dont 4,1% de cadres administratifs et seulement 1,3% de cadres techniques et 0,2% de cadres commerciaux. En Tunisie, il n'y avait jusqu'au début du 21e siècle que 90 ingénieurs pour 100.000 habitants contre 4.000 en Suède et 5.000 au Japon. La faible croissance économique fait que nos ingénieurs partent à l'étranger. Tout ce qui vient d'être exposé implique donc une grande réforme dans le cycle de l'enseignement secondaire. Celle proposée par le VIe Plan consiste dans l'institution d'établissements secondaires (collèges) puisque l'enseignement de base est abrité par des écoles de base. Ces collèges de 4 ans doivent assurer l'ossature d'un enseignement secondaire finalisé conférant une grande priorité à l'emploi. Ces collèges doivent être établis en collaboration étroite avec le monde économique et l'entreprise. Une sorte de jumelage à établir entre le système éducatif et le domaine économique. Les programmes de ces collèges doivent être établis d'un commun accord. Ils doivent assurer la formation générale de l'élève et en même temps le préparer à l'exercice d'un emploi en le familiarisant avec le monde du travail, de la production et de l'entreprise, alors qu'actuellement nos bacheliers ignorent tout de ce domaine. Du reste, notre système éducatif n'accorde guère la place qu'il faut à l'enseignement de l'économie, enseignement qui intéresse la vie de tous les habitants, quelle que soit leur spécialité, depuis l'enseignant précisément jusqu'au magistrat, médecin, avocat, agriculteur, industriel ou autres. L'ignorance collective dans ce domaine est tragique. Elle constitue un obstacle majeur à tout dialogue entre les autorités et les différentes catégories de la population qui « acceptent » les décisions quand il ne faut pas et les rejettent quand il faut les accepter. Un dialogue de sourds permanent. Les dirigeants semblent se satisfaire de cette situation. La politique est plus séduisante et on travaille avec les discours. L'économie est ingrate et les résultats ne s'obtiennent guère avec de tels discours. Il y a lieu donc de penser aux futures générations pour en faire des adultes aussi bien comme citoyens que comme opérateurs économiques. C'est l'objectif des collèges secondaires de quatre ans. Ce collège permet de mobiliser toutes les ressources de formation et d'apprentissage qui existent dans les différents domaines de la vie du pays et notamment dans le monde économique. On peut ainsi concevoir des « collèges » spécialisés dans l'agriculture, d'autres dans l'artisanat ou le tourisme, d'autres dans les différents secteurs industriels ou dans le domaine de la médecine etc... Ces collèges sont jumelés avec les entreprises du secteur concerné. L'enseignement général et l'apprentissage des bases de l'économie se feront au lycée, la pratique et l'apprentissage des métiers auxquels prépare le collège se feront dans les hôtels, les hôpitaux, les usines, les champs, les banques etc. Cette organisation concerne aussi bien le système éducatif que l'ensemble des organismes économiques et sociaux du pays. Toutes ces parties doivent participer à la mise au point des programmes et des stages pratiques. Il y a dans les institutions du pays un immense réservoir de savoir et de connaissances et on doit en faire profiter l'éducation des futures générations. Cela contribuera d'ailleurs à l'amélioration de la gestion de telles institutions qui auront à recevoir des générations de futurs cadres et à leur montrer leurs performances. Cette réforme du collège de quatre ans, quoique inscrite et adoptée par le VIe Plan, n'a pas vu le jour et n'a pas été évoquée depuis plus de 30 ans, une génération : la Tunisie aurait progressé sur le chemin de la stabilité et du progrès. Il appartient aux jeunes de s'apercevoir de son utilité et de sa nécessité, eux qui peuvent être demain les victimes d'un chômage qui ne peut que devenir de plus en plus important en l'absence de l'adaptation de nos systèmes dans tous les domaines et dans celui de l'éducation en premier lieu. Cette coopération et cette interpénétration entre le système éducatif et l'ensemble des institutions du pays et notamment celles du domaine économique sont un enrichissement pour toutes les parties appelées à y participer. Accepter ou laisser le système éducatif et le monde économique s'ignorer totalement et se tourner le dos, comme ils n'ont cessé de le faire depuis le rejet de la proposition du VIe Plan concernant les collèges de 4 ans, est un non-sens et ne fait que contribuer à l'arriération du pays qui s'accentue chaque année un peu plus. Ces collèges étaient la continuation nécessaire de l'école de base, qui doit être, elle, perfectionnée comme l'école finlandaise en l'adaptant à notre propre génie national. Ecole de base et collège de 4 ans conduisent à l'enseignement supérieur et l'Université qui nécessitent aussi des réformes importantes. Enseignement supérieur et universités L'Université, une « fabrique de chômeurs », tel est l'intitulé « provocateur » d'un article réquisitoire publié par Noureddine Kridis, professeur universitaire, dans Maghreb Magazine du 31 janvier 2012 qui cite les statistiques publiées pour 2010 par « The Academic Ranking of World Universities (ARWRU). Situation tragique En ce qui concerne la Tunisie, ces statistiques traduisent une situation très dégradée de l'Université tunisienne. C'est ainsi que la « première » université, celle de Sousse, est à la 6719e place dans le monde et la seconde, celle d'El Manar à la 6729e place, toutes deux bien loin des trois universités égyptiennes, la première (Mansoura University) étant au 466ème rang et loin derrière l'Université de Tlemcen en Algérie qui est au 3509e place, et aussi celle de Nouakchott, en Mauritanie, qui est à la 5359e place, c'est-à-dire 1333 places avant celle de Sousse ! On a le droit de se demander pourquoi une situation aussi tragique qui s'est probablement dégradée depuis 2010. Pourquoi ce rang injurieux et inacceptable de l'Université tunisienne ? Il est en relation avec les insuffisances constatées dans les cycles précédents, malgré l'introduction de l'école de base et à cause de l'absence de réforme concernant le cycle secondaire, celle du « collège de 4 ans » proposée au début des années 1980 en même temps que l'école de base dans le VIe Plan et n'ayant pas été retenue et rien de vraiment substantiel n'est venu fondamentalement modifier « l'état » du cycle secondaire qui demeure sans lien avec le monde économique, constituant lui aussi une « fabrique de chômeurs » poursuivie par le cycle universitaire. C'est avec la plus grande amertume et la plus intense des déceptions qu'on est obligé de faire état de ces constatations qu'on ne doit plus cacher. Aussi devons-nous regarder les choses bien en face et rechercher les solutions à ce grave problème. Problème qui a commencé à être diagnostiqué dès 1970 par les planificateurs qui se sont heurtés aux politiques qui continuaient à ne pas croire aux chiffres, chiffres qui établissaient sans aucun doute une « production » accélérée de bacheliers qui devaient être accueillis par des établissements universitaires dont notamment des facultés de médecine qui étaient fortement demandées à l'époque par les nouveaux bacheliers ainsi que par le corps médical. Ce n'est qu'après les efforts entrepris pour les convaincre que la décision a été prise de créer rapidement deux facultés de médecine à Sousse et à Sfax. Outre cette prise de conscience bien tardive, l'importance du problème a rendu nécessaire l'improvisation et inévitable la précipitation. L'accès à l'Université : un simple formalisme administratif Le mode d'accession à l'Université est d'ordre technique et bureaucratique. Il s'agit simplement d'une répartition des places disponibles dans les différents universités et établissements d'enseignement supérieur en fonction des demandes des candidats et de leur cursus scolaire, les plus méritants obtenant l'affectation demandée, les autres placés selon les places disponibles. Ainsi les universités n'ont qu'à prendre ce que « l'ordinateur » leur affecte et la majorité des candidats ce qui reste après avoir pourvu les demandes des plus méritants. Les universités ne recrutent pas directement leurs étudiants, n'établissent pas elles-mêmes leurs programmes, l'administration décide du programme et du recrutement. Ces universités ne choisissent pas elles-mêmes leur corps enseignant. Tout est uniforme comme si les étudiants étaient standardisés. Aucune initiative n'est laissée donc à ces établissements, lesquels n'ont pas à faire preuve d'innovation ni d'originalité. Ils étouffent sous le poids de l'encadrement administratif. Il s'ensuit que la motivation n'existe ni chez l'enseignant ni chez l'enseigné. Ce dernier n'apprend pas à se prendre en charge en décidant de son parcours et de son université. Il devient un assisté. Il ne pense pas à créer son propre emploi. Il y a lieu donc de « libérer » l'Université et de lui conférer l'autorité et des pouvoirs en matière de recrutement, d'organisation de la formation, des programmes et de restaurer ainsi l'innovation, l'esprit d'initiative et la diversité. Les étudiants sont différents. Leurs potentialités ne sont pas les mêmes. L'Université doit pouvoir leur offrir des formations compatibles avec leurs possibilités. Diversifier la nature, la dimension et les niveaux des différents établissements universitaires est nécessaire pour que chacun puisse trouver « chaussure à son pied » et réduire ainsi les échecs et les abandons et améliorer le rendement interne du secteur. C'est ainsi par exemple qu'il y a aux Etats-Unis. Harvard et MIT mais aussi de nombreuses universités très différentes de nature qui permettent de former des cadres employables dans diverses spécialités et à des niveaux moins qualifiés mais indispensables. L'Université ne connaît pas le monde réel Pour réduire les échecs et améliorer l'employabilité et le rendement interne, il y a lieu d'organiser la liaison des universités avec le monde économique et social. De nombreux médecins ne connaissent pas la différence entre une loi, un décret et un arrêté, les composantes d'une balance des paiements et sont indifférents à l'activité politique et économique du pays. Les diplômés d'études économiques ignorent les éléments de base de la mécanique et ne savent pas pourquoi leur voiture tombe en panne et comment la réparer comme ils ignorent tout en matière culturelle ou artistique. Or former un étudiant destiné à être un cadre de la nation, c'est aussi former un homme pouvant être utile au pays en dehors de sa spécialité de médecin, d'avocat ou d'ingénieur ou de banquier ou d'assureur ou de transporteur. Il est citoyen et doit pouvoir s'intéresser aux différents aspects de la vie du pays. L'Université doit donc se préoccuper de la formation de ce citoyen et attribuer à la culture générale la place qu'il faut. Le « collège de quatre ans », jumelé avec les divers secteurs de la vie économique et sociale, s'il avait été retenu, aurait contribué à l'intégration de l'Université et de l'Enseignement supérieur à la vie de la nation à laquelle il appartient. Isolé dans sa faculté et enfermé dans sa spécialité, il aborde sa vie professionnelle ignorant ce qui se passe dans le monde actif et risque ainsi de ne pas pouvoir se frayer un chemin et se créer ou se trouver un emploi. Uniformité et standardisation Cette organisation de l'Université et de l'Enseignement comme d'ailleurs celle de tout le système éducatif a élevé le monopole et la standardisation au rang d'une préoccupation nationale majeure. Elle s'explique par l'esprit général du système politique adopté, à caractère autoritaire, et la crainte qui, au départ, n'était pas tout à fait négligeable, d'une fragilisation de l'unité du pays. L'évolution du pays depuis l'indépendance et la structuration d'un Etat moderne rendent le système incompatible avec les exigences de la compétition et de la compétitivité du monde actuel. Le système doit évoluer vers plus de diversification avec moins d'uniformité, devenir plus créatif et créateur et plus adapté aux aspirations des nouvelles générations. L'éducation n'a plus à être le monopole de l'Etat, monopole qui risque de stériliser toutes les énergies créatrices. Les quelques établissements universitaires privés qui ont été créés au cours des dernières années l'ont été au prix de sollicitations, de restrictions, de pressions, d'insistances. Ils ont eu le mérite de ne pas se décourager et le succès obtenu et la diversification réalisée sont la preuve de leurs succès. L'utilisation de la langue anglaise pour l'enseignement et l'ouverture vers des universités de langue anglaise aux Etats-Unis, au Canada et ailleurs sont une novation importante. La « routine » était telle il y a peu de temps que les étudiants tunisiens titulaires de diplômes américains devaient les faire reconnaître par l'administration même s'il s'agit d'universités connues mondialement comme celle de Harvard. On ne connaissait que les diplômes français. L'Etat doit remplir sa propre fonction : concevoir une stratégie de l'éducation en consultation avec les professionnels du secteur et l'ensemble des organisations de la société civile, réformer régulièrement une telle stratégie pour l'adapter à l'évolution du monde pour qu'elle ne soit pas figée et devienne surannée. Il peut intervenir et instituer des organismes universitaires modèles qu'il dirige directement pour rester en contact avec la réalité. Parallèlement, il doit permettre aux institutions, groupes et personnes de la société civile qui veulent participer au développement de l'enseignement supérieur, de prendre des initiatives dans ce domaine répondant aux exigences de la stratégie nationale adoptée par l'Etat. Ce dernier doit vérifier cette compatibilité du projet qui lui est présenté avec les données établies par la stratégie nationale. Il lui revient également de contrôler le fonctionnement de ces établissements privés pour s'assurer de son efficacité et de sa tenue générale. Que ces établissements universitaires appartiennent au secteur étatique ou au secteur national (c'est-à-dire privé, ce mot gardant une connotation péjorative), ils doivent bénéficier de la plus large autonomie possible pour ne pas tuer leurs facultés d'innovation et de création. La hantise de la standardisation des cerveaux qui persiste devrait laisser la place à l'innovation et à la diversification. Cette liberté doit concerner l'organisation, les programmes, les méthodes d'enseignement, le recrutement et les diplômes. L'émulation et on peut même dire la concurrence dans ce secteur ne peuvent être que salutaires et améliorer l'ensemble du secteur de l'enseignement supérieur. La « fabrique de chômeurs » On peut ainsi parvenir à améliorer le rendement interne du système ainsi que son employabilité. Le système standardisé en vigueur a fini par devenir une « fabrique de chômeurs ». Les diplômés de l'enseignement supérieur à la recherche d'un emploi sont au nombre de 250 à 300.000 et ce chiffre risque d'augmenter. La formation reçue en a fait des agents passifs, ignorant les règles et les données du système économique et social et attendent de l'Etat qu'il leur trouve un emploi. Normalement, un « élève » qui a fait quatre ans d'enseignement secondaire après l'école de base et 4 ou 5 ans dans l'enseignement supérieur aurait pu se faire une idée de ce qu'il veut devenir dans la vie après ces 10 ans et s'y préparer : le système actuel ne le permet pas. La réforme et le nouveau système à établir doivent lui permettre de le faire. Dix ans d'enseignement secondaire et supérieur à « étudier » en rupture totale avec la vie qui l'attend dans le domaine économique et social est une aberration : de l'encyclopédisme surabondant et inefficace. Au surplus, il est coûteux économiquement, financièrement et humainement. Les effectifs de l'enseignement supérieur étatique sont de l'ordre de 350.000 et sont appelés à augmenter malgré le fait que n'ont de vocation à intégrer cet enseignement que les 50% environ des candidats ayant réussi au diplôme du Baccalauréat. Si l'enseignement « secondaire » était plus efficace, « n'éliminant » qu'un pourcentage plus modeste d'échecs et non 50%, on aurait eu des effectifs plus importants dans l'Enseignement supérieur. L'Etat ne peut que succomber sous la tâche s'il doit gérer de tels effectifs ; l'importance des « déchets » et du « chômage » ne peut qu'augmenter. Multiplier les acteurs, et des acteurs valables dans ce domaine, est une issue qui s'impose d'elle-même. Une meilleure répartition de la charge financière Et ce, d'autant plus qu'elle peut permettre une meilleure répartition de la charge financière entre les différents opérateurs. L'enseignement supérieur de l'Etat ne doit normalement être offert gratuitement qu'aux catégories de la population aux revenus modestes. La dépense la plus prioritaire pour un parent est représentée par celle consacrée à l'éducation de son enfant. On a tort de le priver de ce « privilège » quand il en a les moyens. Il n'en sera que plus exigeant envers le système d'éducation dirigé par l'Etat. Le système universitaire public devrait alléger ses coûts en réduisant au maximum toutes les dépenses qui ne concernent pas directement l'éducation de l'élève ou de l'étudiant. Tous les frais administratifs de contrôle, d'inspection, d'administration doivent être réduits au maximum. C'est ce qu'ont fait les Finlandais qui ont écarté toutes ces dépenses, les élèves et le corps enseignant remplissant toutes les tâches y afférentes, se contrôlant et « s'évaluant » eux-mêmes sans avoir besoin d'inspecteurs et de contrôleurs. C'est en supprimant tous ces frais qu'ils ont pu, avec le progrès de l'économie et des ressources de l'Etat, parvenir à un enseignement gratuit « généralisé » y compris les livres scolaires et le repas chaud quotidien. C'est un objectif à atteindre lorsque le revenu par habitant en Tunisie se rapprochera du revenu actuel en Finlande. La gratuité du système étatique est aujourd'hui un pur gaspillage si elle est généralisée sans nuance : elle se traduit par les « heures supplémentaires » et une grave injustice envers des populations aux revenus limités qui ne peuvent supporter de tels frais ou ceux de l'école privée. L'ouverture sur le large monde : la richesse humaine La Tunisie est un pays aux dimensions réduites et aux ressources limitées. La plus précieuse de ces ressources est constituée par la composante humaine. Il n'est de richesse que d'hommes. Cette richesse implique un système éducatif évolué, à la pointe du progrès, éduquant et formant des êtres humains appelés à vivre en société tout en leur permettant d'acquérir les savoirs nécessaires. L'éducation, c'est plus que l'instruction, c'est la formation civile, civique et morale d'un citoyen ayant le culte du devoir bien accompli, de l'effort généreux et du respect d'autrui, de la loi et des règles de la vie en commun. Pour aboutir à un tel résultat, le système éducatif doit être ouvert sur le monde. Un petit pays comme la Tunisie replié sur lui-même est voué à la décadence. Il lui faut donc acquérir une vocation internationale et vivre avec le vaste monde. Aujourd'hui, c'est le réflexe de la fébrilité et de l'enfermement qui domine. Cela pouvait s'expliquer avec la colonisation asservissante et l'indépendance obtenue après une longue lutte. C'est comme si le pays avait toujours peur d'être dominé, occupé, exploité. Aussi a-t-on procédé après l'indépendance à des nationalisations touchant tous les secteurs pour aboutir aujourd'hui à multiplier les efforts pour attirer des investissements étrangers, investissements qui ne sont pas toujours traités comme il faut pour se multiplier comme on le souhaite : administration tatillonne... réglementation touffue, autorisations multiples, grèves et perturbations répondant à une gestion des ressources humaines qui n'est pas toujours évoluée. Ils arrivent en invités, ils s'aperçoivent qu'ils sont traités en envahisseurs ou occupants. Ce réflexe de peur et d'enfermement peut s'expliquer par les évènements du passé. Il n'a plus de raison d'être aujourd'hui que l'on s'oriente, après la révolution, vers un régime démocratique, un gouvernement légitime, ce qui implique des citoyens responsables conscients de l'intérêt du pays, excluant tout ce qui lui porte préjudice. Cette perspective implique que la vocation régionale, continentale et internationale de la Tunisie se confirme dans l'avenir. Cette vocation appelle l'enseignement des langues étrangères les plus utilisées : outre le français, l'anglais principalement devenue langue mondiale et aussi les autres langues les plus utilisées : l'allemand, l'espagnol, l'italien, le russe, le chinois. Ce sont là les moyens les plus sûrs pour l'ouverture sur le monde. Nous sommes aujourd'hui handicapés par notre limitation à l'arabe et au français. Toutes les banques du monde parlent l'anglais et l'utilisent professionnellement. Je n'avais, à la BIAT, qu'un seul diplômé en anglais qui a occupé de longues années le service étranger à la banque. Aucun autre membre du personnel n'utilisait couramment l'anglais. Le mien n'était pas très performant. Je sentais bien une telle insuffisance, personnelle et collective. Un pays neutre et pacifique C'est en renforçant sa vocation internationale et son rôle de pays d'accueil que la Tunisie pourrait accéder à un statut de neutralité adaptée à sa situation pour pouvoir rester à l'abri des luttes, contestations et confrontations extérieures et servir ainsi la paix mondiale, comme la Suisse et d'autres pays « neutres ». Elle n'a aucun intérêt à intervenir dans les affaires des autres pays comme certains dirigeants ont cru pouvoir le faire en ce qui concerne l'Egypte ou la Syrie avec la prétention de donner des leçons à tout le monde au lieu de se pencher sur les problèmes du pays. Ainsi, nous aurons le moins possible d'ennemis et nous pouvons espérer vivre en paix.